Phantom

Au juge respon­s­able du procès de l’in­cendie de l’u­sine Phan­tom de Bayeux, il expli­qua qu’il ne pou­vait plus allumer l’écran de son téléviseur car alors les ani­ma­teurs s’ar­rê­taient de par­ler pour le regarder lui.

Mouvement 25

Gala sort sur la mon­tange chaussée d’escarpins de cui­sine. J’ai mes chaus­sures de marche à tige mon­tante lorsque nous emprun­tons le chemin du  hameau de Hagne. Un cou­ple de ran­don­neurs sur­git. Pour me ren­seign­er sur le lieu-dit, je m’a­vance. Où se trou­ve le chalet que nous voulons vis­iter? Ils ne savent pas, ils s’in­quiè­tent pour Gala. Avec ces escarpins? Sur ce chemin? En une phrase et trois sourires, Gala obtient de leur emprunter des chaus­sures de marche. Elle annonce sa taille, prend ren­dez-vous, dit au revoir. Après quoi, elle suit sur deux cent mètres et retourne à la voiture (il reste trois kilo­mètres de laie forestière jusqu’au chalet). Le soir, de retour dans notre sta­tion, Gala obi­ent sa paire de chaus­sures auprès des ran­don­neurs. Le lende­main, elle fait: “Zut! Rita!”. Qui est-ce? “La dame que j’ai ren­con­trée l’autre jour, lors de ma prom­e­nade!”. Et? Celle-ci est allée chercher à Lau­sanne des chaus­sures pour Gala. En milieu d’après-midi, je demande: à quelle heure vois-tu cette Rita?. “Qua­tre heures…”. Mais enfin, je m’écrie, il est qua­tre heures sept et il pleut des cordes! Tu ne m’as pas dit qu’elle t’at­tendait dans la forêt ? “Les chaus­sures! Rita! Vite, vite, vite! Je me maquille et j’y vais!”. Fin de journée, voici Gala à la tête de deux paires de chaus­sures. Lun­di , comme nous allons une fois de plus en recon­nais­sance, je vois qu’elle porte des bot­tines de cuir qui lui appartiennent.

Batte

Le pre­mier qui aperçoit une robot reni­fleur dans nos rues appelle les autres, puis à l’aide d’une bat­te de base­ball ren­voie l’én­er­gumène mécanique au mag­a­sin des pièces détachées.

Mouvement 24

Fort brouil­lard. Les immeubles-chalets se dépla­cent à vue. A la fenêtre, sur un pré, trentes mou­tons, mâles et femmes, petits et adultes, bêlent. Pen­dant ma prom­e­nade, je par­le avec eux. Ces mou­tons ne méri­tent pas la répu­ta­tion qu’on leur fait: cha­cun a son ton de gorge, sa curiosité, son physique. Une fois quit­té de l’équa­tion l’a­bat­toir, ils me sem­blent bien plus dignes que ces “amis de l’homme”, fab­riqués en lab­o­ra­toire, dévelop­pés en apparte­ment, nour­ris aux poudres de pro­téine. Qui n’é­taient, à l’époque, la belle époque, avant la con­ner­ie générale, que “trente mil­lions”. Plus bas, accrochées à la pente, les vach­es écos­sais­es. Elles ruis­sel­lent. Est-ce la terre qui les retient? Et dans le choco­lat mou? Com­bi­en de temps sans déviss­er? Les pau­vres! Il faudrait mar­quer une pause, les met­tre au chaud. La péri­ode est idéale pour une expéri­ence d’étholo­gie. En temps de pandémie, per­son­ne n’y com­prenant goutte, la cré­dulité devient asymp­to­tique. Donc, chaque chien de récon­fort est échangé (“Ts, ts! Madame, nous ne nous basons que sur des critères sci­en­tifiques!”) con­tre une vache écossaise.

Tactique

En terre d’église, le principe de fonc­tion­nement de toute répres­sion con­siste à annon­cer, en même temps que la con­trainte la plus absurde, fatale­ment assor­tie d’une puni­tion en cas de désobéis­sance, le prochain relâche­ment de la con­trainte. Clef du dis­posi­tif, l’e­spérance. L’ex­pres­sion scan­daleuse de “nou­velle nor­mal­ité” indique bien que l’in­di­vidu a été trompé, et volon­taire­ment, à des fins de pou­voir (par d’autres indi­vidus, pro­mo­teurs d’une par­ti­tion de la société entre ayant-droits et n’ayant-pas-droits).

Frontières

Le con­sulat me répond de rester chez moi, il n’y  pas d’en­trée pos­si­ble en Espagne, je serai avisé en temps voulu, en même temps que les autres, les touristes — si jamais ils sont autorisés à revenir.

Mouvement 23

Assis sur un tronc aux Moss­es. A mes pieds, un ruis­seau vol­u­bile. Cile vaste. Haut soleil. Au loin, bruit des motos qui chavirent dans les virages. Nous débal­lons du parme­san, des œufs, du lard. Aplo et Luv ont choisi une berge plate, dans l’om­bre des sap­ins. De l’autre côté du ruis­seau, der­rière une racine mise à nue par le flot, on planterait volon­tiers une tente pour se tenir à l’é­cart du monde (et cess­er d’en­ten­dre ses lamen­tos). N’é­tait-ce le mal de ven­tre — ces jours lanci­nant — je prof­it­erais pleine­ment de la sérénité de ce lieu, à la fois ouvert, ten­dre et bril­lant. En début d’après-midi, nous regagnons nos cham­bre, nous dor­mons. Au lever, le soleil est tou­jours aus­si généreux. Sur le ter­rain du sana­to­ri­um, nous trans­portons un tapis, des haltères, des pots d’eau. Puis réal­isons un pro­gramme com­plet, échauf­fe­ment, bras-jambes, abdom­inaux. Du bâti­ment d’é­cole, fusent des rires anglais (chanque langue impose sa musique au rire). Mais nul ne s’aven­ture à l’ex­térieur, pas même de pro­fil. Comme d’habi­tude, je demande: “que peu­vent bien faire ces appren­tis hôte­liers coincés en cham­bre  depuis six semaines, loin de leur Chine, Syrie et Japon? Soudain, con­finée sous un para­pluie, une gamine jaune longe preste­ment le ter­rain. Elle descend les 467 mach­es qui sépar­ent le sana­to­ri­um de la suc­cur­sale de Den­ner. Plus tard, dans les mêmes con­di­tions, elle repasse ser­rant un paquet de chips sur la poitrine.

Fascisme

Pro­to­cole san­i­taire adressée aux écoles de France: 60 pages. Une maîtresse: “c’est com­plexe… et puis nous n’avons plus droit aux jeux collectifs…”.

Uber

Bonne nou­velle: cette com­pag­nie dont les fonds de com­merce ser­vent à empiéter sur la vie privée afin de rentabil­i­sa­tion perd chaque heure des dizaine de mil­liers de cours­es. Nou­velle meilleure, airbnb, qui mon­naie votre salon, votre lit, votre intim­ité, airbnb qui vam­pirise l’en­vi­ron­nement affec­tif, est en déconfiture.

Art

Le maître de classe, débon­naire et supérieur, vêtu d’un man­teau, le physique de Joseph Beuys, m’en­cour­ageait dans mes dessins au cray­on gras. Le sen­ti­ment, qua­si physique, d’une com­préhen­sion intel­lectuelle me per­suadait que j’avais touché le lieu idéal où désor­mais je déroulerai ma vie. Affaire étrange car ce rêve, com­mencé le lun­di 4 mai, repre­nait aus­sitôt que je trou­vais le som­meil, le mar­di 5, pour se pro­longer toute la nuit.