Mort de Gabi Delgado. Oeuvre souterraine, cuir, pédérastie, fascisme sonore. Dernier album en date, fidèle à l’esthétique de D.A.F., “1”, avec, parmi les titres majeurs, Lippenstift et Laut.
Mouvement 20
Gentil ce voisin. Ou aimable. Je n’en sais rien, c’est Gala qui lui parle, mais gentil, oui, sans doute. D’ailleurs, de l’avis de Gala, mieux vaut que je m’abstienne autant que possible de me présenter, d’agir, de faire, de dire. Car nous avions, une fois de plus, la police l’autre soir. Ce n’était pas ma faute. “C’est ta faute!”, a dit Gala. “Tu aurais dû me laisser faire!”. Elle me connaît. Je suis souple. Plus ou moins. Elle croit me connaître. Ce que j’en dis (cependant): j’ai du plaisir à m’entretenir avec les deux-trois-quatre zombies qui arpentent le territoire de notre station-refuge, dont moi-même; je me parle, oui, jour et nuit. Avec les zombies, à la différence des sujets que je fabrique, nous parlons de temps, de fermeture, de chiens (les leurs), nous ne parlons de rien. Chacun retourne ensuite dans son placard. Solitude immense. Méritée. Quelle maladie? N’était-ce pas le destin de notre Occident? Soit, je me trompe. D’accord! Je ne connais pas cette société. J’ai été éduqué sur les terrains secondaires, en zone tiers-monde. Ce que j’en pense? Qu’il n’est pas normal. Ici, n’est pas normal. Fesses serrés. Et cerveau. A visserie. Planète cubique. Pas normal. Que nous. Soyons. Aussi. Aussi énergétiquement pauvres.
Etions
Hier, avant que de naître, je multipliais des gestes qui, aujourd’hui encore, siècle XXI, sont rares, réservés à quelques spationautes habitants des navettes. Il m’en est resté assez de mémoire corporelle pour que la nuit, le rêve réassimile au corps les routines vécues, répétées, sur-répétées, parmi lesquelles celle-ci, première: je me déplace en volant à travers des espaces architecturés, propulsé à la force des mains comme un nageur lourd.
Mouvement 19
Nuit difficile. Les oiseaux, les chants d’oiseaux, le silence, les chants, j’aime beaucoup; sauf que j’en ai eu pour trois heures tapantes, du réveil des premiers volatiles de montagne au silence biologique de l’aube avancé. Moment auquel enfin, nerveux, fâché, énervé, au maximum de l’angoisse, je me rendors et tutoie les cauchemars. Midi, je fais un pas hors de la chambre, tire les rideaux. Brouillard. Bientôt réveillé par les nouvelles néfastes, achat gouvernemental d’applications de traçage et blocage de frontières. Réfugié en pièce, je tourne sur moi-même. Et tourne, et tourne. Pour décanter, je rejoins le Sanatorium, dépense de l’énergie. Sauts de grenouilles et attaques contre les arbres. Que se passe-t-il? Un horaire robotique. Plus concentré et robotique que jamais. Lever-pianotage-sport-bière-lit. Preuve d’exclusion des aléatoires. Lesquels? Détruits par les décisions de pouvoir. Et la conformation? L’entrée en matière? Le respect? J’ai devant l’immeuble une voiture capitaliste, vendue au prix capitaliste. La mienne. Chère. Plus que chère. Coûteuse. Et que je paie pour demeurer raide, sur un parking de montagne. Il faut l’utiliser. Erreur évidente cette automutilation, cet émondage des gestes propres, effet de la sidération, ne pas faire ce qu’il faudrait ne pas faire — selon les recommandations. Faire.
Création
D’un Ministère du loisir. Les plans existent. Simple prolongation de l’état habituel. Ici affronté à une crise qui demande réorganisation et l’autorise, la justifie, impact de la crise (sanitaire à l’ignition, économique ensuite). Avec cooptation dans les rôles de porte-paroles, des directeurs de théâtres, directeurs de conscience, directeurs de festival, directeurs de direction, ceux qui dirigent déjà en temps ordinaire, mais avec un pouvoir augmenté. J’ai le souvenir d’avoir paru sur un plateau de télévision, en direct, autour de 2005, au Salon du livre de Genève, avec Anne Bisang, alors directrice de La comédie de Genève, et quelques autres rémunérés municipaux. Question que pose l’animateur d’Etat: “êtes-vous en faveur d’une professionalisation du statut de l’écrivain?”. Le parterre, unanime: “oui”. A quoi j’objecte, “pourquoi pas une Société officielle des écrivains, comme en Union soviétique ou dans l’Allemagne hitlérienne?”. Hors plateau, la dame, égérie de la monétisation de la pensée culturelle, alors cinq ou dix fois plus rémunérée que je l’étais (minable colleur d’affiches), me glisse à l’oreille : “toi, tu es toujours contre tout!”.