Revu par hasard ce chat dont le comportement est étrange. Il était accompagné de son maître. Et voici pourquoi, lorsque j’attirais l’attention de l’animal, il s’arrêta pour me dévisager, tendit l’oreille, n’ayant pas compris, se remit enfin en marche: son maître lui donne des ordres en bon français, qu’il accomplit, plus ou moins (assis! debout! en arrière! en avant…!), mais toujours avec la volonté de bien faire.
Estéthique mentale
Cet essai épatant de Sartre, L’Imaginaire, ne contient que des contre-vérités. L’intentionnalité prise chez Husserl permet de donner configuration de système aux observations (Sartre a‑t-il vraiment fait l’expérience du regard intérieur, cela reste à voir) concernant les images mentales, rétiniennes, hypnagogiques, profondes. Mais cela n’a rien à voir avec un effet second de la volonté. L’inversion cause-effet, où l’image est toujours l’effet d’un vouloir-penser, alors même que nous croyons subir les effets de l’image, me semble faux. Toujours est-il qu’il y a si peu de littérature sur le sujet, que la théorie ne peut réellement être démise: elle est pis-aller. Quand j’en aurai fini avec les quatre livres que j’ai en cours, je vais reprendre ce sujet sur la base d’expériences vécues (par moi). De fait, je ne sais pas s’il est possible de décrire ce train d’images qui se produit une fois les yeux fermés, dans cette phase existentielle intermédiaire entre la veille et le sommeil. Cela, avant tout parce que le double positionnement exigé, observant-observé, relève du paradoxe. Autrement dit, il faudrait considérer que le degré d’expérience possible est l’expérience racontée, ce qui reconduit le problème typique du rêve raconté de la psychanalyse. Quoiqu’il en soit, après passé trente ans d’un intérêt soutenu pour ce monde des mages intérieures, ma curiosité a été une fois de plus relancée hier, par le fait que je n’ai, au moins immédiatement, trouvé qu’une littérature minime sur la “vision les yeux fermés”, phénomène que je réussis régulièrement.
Mouvement 30
Toujours dans la montagne. Cela prendra fin vendredi. Sans argent, comment s’acquitter d’un tel loyer? Et le polichinelle majeur Pedro Sanchez qui demande pour l’Espagne une sixième prolongation de l’Etat d’urgence! L’Editeur de Paris m’envoie un contrat de travail: avec ça, je devrais pouvoir rentrer. Comment les peuples ont-ils réussi à placer pareils paltoquets au sommet des pyramides humaines? Après quoi, l’air contrit, ils répètent les interdits qui leur son faits et s’y plient en jouissant. Faut-il ajouter que mes enfants trouvent cela normal? L’apanage de la jeunesse est de ne pas comprendre, mais aussi de servir de dupes aux malveillants. Ce qui ne facilite pas le dialogue entre les générations. Pendant ce temps, l’Etat me laisse sans le sou et empêche mon travail, ce qui va m’obliger dès demain matin à décrocher le téléphone pour expliquer à une assistante du régime social de la Glâne que je n’ai plus, ne peux pas et, bien entendu, à compter de samedi, ne sais pas où dormir. Que va-t-on me proposer: un centre pour immigrés de l’intérieur? Une chambre dans une ferme? L’hospice? Du travail? Qu’il soit dit que je récolte volontiers le raisin des communes, les pommes des communes, le blé des communes, mais pas pour le salaire plancher versé aux saisonniers dont la seule utilité est de permettre au patron helvétique de rouler en Porsche. Quelle belle saloperie que notre beau pays! En attendant de le constater, je profite encore un peu de l’esplanade du sanatorium, de l’odeur chaude des fleurs dans l’orage, du pépiement des oiseaux, ici très audibles, dans cette station de morts-vivants et de Français d’importation (travaillant). Puis rejoins Gala qui tente de pénibles traversées du salon, reprise comme elle est de violents vertiges, séquelles de son infection de janvier à l’oreille interne.
2020–3
L’Amérique septentrionale est pauvre en esprit. Terre de pratique. Un Dieu médiocre. Surdéfini. En musique, en prière. Bras au ciel, cerveau bridé. Une hypnose collective. Pour l’imagination, un peuple perdu. Qui jamais n’a su cultiver de vrai rapport au texte. Barbares évadés des basses classes de l’Occident au 18ème, au 19ème. Quand ce peuple aujourd’hui imagine, il le fait en couleurs, sur les écrans. Ce qui a lieu sous la puissance d’inertie de cet empire assis sur nos faces depuis 1945, hier, avant-hier comme ces jours, a d’abord été joué sur les toiles de Holywood. Les Etats-Unis s’enivrent de leurs propres images, puis passent à l’action, et c’est le même scénario.
2020–2
Ce qui est attaqué? L’humanité. En nous. Par de pseudo-mathématiciens. En réalité, des doublons de mathématiciens. Privés d’intuition poétique, donc de sens de la beauté, de sens de l’équilibre : des informaticiens. Vulgaires ingénieurs capitalisés pour qui le monde n’existe que derrière un écran. Ils cherchent naturellement à réduire le monde à l’écran. Afin d’advenir dans un corps qu’ils n’ont jamais réussi à habiter
Napalm 2
En retenue, hier encore, sur cette saloperie, l’Etat. Qui édicte, s’octroie et impose en nom propre. Peuple, à la trappe! Trente jours que j’attendais la quantité d’argent arbitrairement dévolue aux pékins de mon rang à qui on a interdit l’effort de travail. Ceci, car les interdits de faire société condamnent toute pose d’affiches. Seule chose que je sache faire. Ai fait. Fait. Moralité, on est jamais assez négatif: je me trompais encore sur le degré de cynisme des coalitions fonctionnarisées d’individus qui prélèvent sur mon gain depuis 13 ans : il vient de m’être signifier qu’à l’avenir, mon salaire serait de Fr. 0.-. Et ce, dès le mois passé. Or, par mesure du gouvernement de la santé et des libertés, mes clients sont interdits de production. Donc, je vaux aujourd’hui au pays moins qu’un négroïde débarqué d’un pneumatique par les bons offices de Bruxelles. A quand la guerre?
Mouvement 29
Déjà dit, ce soir j’étais remonté. Pour ne pas lutter contre les arbres, briser un objet ou me jeter du balcon de Sirius 23, je sors avec mes haltères. Séance de sport. Escalier dans les pissenlits, accès au terrain. Exercices pour idiots, sueur et fatigue. Soudain, il est tard. Je ne sais pas moi, mal contrôle de l’horloge, et surtout, pas encore avalé de bière. Bref, retour dans notre logement-échappatoire, Gala me reçoit en cuisine: “comment va-t-on faire!”. Ce n’est pas une question. Trois heures plus tôt, elle était habillée, voulait que je fasse chauffeur pour la descendre au village. Non-Non. Fini, maintenant elle a repassé son pyjama. J’empoigne ce qu’il faut, cette camelote de l’homme moderne, les clefs-contrôle, le fric plastifié, le cabas écologico-recyclable et je me mets au volant de mon truc roulant de 2500 kilos pour me rendre au creux de la montagne et acheter un pain, un beurre, du café. En bas, après achats, je recule la voiture, la voici qui s’arrête. Sur l’écran, un message. Jamais vu. Charabia yankee: “cruise-tank-netlink-autostop”. Dodge me parle. Je comprends pas. J’éteins. Le moteur. Je rallume. Le moteur. Dodge continue. Parle. Comprends pas. Ennuyé, car je suis au milieu de la route. “P… de bourgeois¨”- moi, c’est moi ce putain de bourgeois qui a besoin d’un 4 x 4 pour acheter un paquet d’endives. Les ouvriers portugais que je bloque, ils ont raison. Deux trois manipulations, eh les gars, je fais de mon mieux. Vous voyez… j’essaie! Avant de conclure à part moi : impossible. Calme, dégoûté, je sors de la voiture, je m’achemine vers une terrasse de bistrot. Pour boire un canette. Dernier coup d’œil: une dizaine de voitures en attente. Ma Dodge? Que Dodge apporte la solution depuis les Etats-Unis! Qu’on l’emmène! Seulement, au vu de la tête que font les buveurs en terrasse, je suis le seul à penser ainsi. En Suisse, pas comme ça. Donc je me recolloque le cerveau. A l’évidence, ces gens n’apprécient pas que je boive ici, une canette, parmi eux, avec là, mon tank. Prenant acte, je remonte en houature (comme dit Queneau). Et la houature repart.
Ami
“Ecoutez, vous tous qui tolérez cet ordre de choses avilissant et infâme. Ecoutez, mais écoutez donc! Et d’abord ouvrez les fenêtres. Ouvrez toutes les fenêtres. En voilà une qui se ferme! Attendez que je descende pour la faire voler en éclats. Milady Wrongh, par exemple, au lieu de fermer sottement cette fenêtre, au lieu de vous barricadez comme si j’étais fou, ouvrez-la donc. Montrez que vous n’avez pas peur de la vérité toute nue. Ce n’est pas une raison parce que je crie pour ne pas écouter ce que je crie. Je crie parce qu’il faut crier, parce qu’il faut signifier, sur un registre éclatant, ce que personne n’ose dire. Ecoutez donc, mademoiselle la sotte, écoutez donc petite puanteur, écoutez donc tas de capons, tas de couards, et vous aussi les gendarmes et les officiers du bord qui gardez le mort. Celui-là peut attendre que la dinanderie et les récipients d’argent de la merde de Son Excellence aient passé. Moi je n’attendrai pas. Bougre non que je n’attendrai pas. Tuez-moi mais ne vous ne m’empêcherez pas de hurler toute la force de mon ventre, cette chose nécessaire et sensée et vraie que j’emmerde Son Excellence et le train de son Excellence…“
Les autobiogaphies de Brunon Pomposo, Charles-Albert Cingria.