Sauterelle

Aux pris­es la nuit avec un insecte de la taille d’une main. Il volette dans mon rêve. La taille du corps, mais encore le vrom­bisse­ment effraient mes com­pagnons. Sai­sis la bête, me cri­ent-ils. Je la fixe. Je ne ressens aucune peur. , ne fais rien. Au petit-déje­uner, assis près de la fenêtre qui donne sur la jardin, je remar­que une ombre. Je m’ap­proche. Le soleil éclaire une sauterelle améri­caine de la taille d’une main. Elle est immo­bile entre la vit­re de fenêtre et la mous­ti­quaire extérieure. Elle fixe le jardin. Je dis “sauterelle améri­caine” car j’ai traduit il y a trente ans pour le Wash­ing­ton Insti­tute un dossier sur ces pré­da­teurs du blé et me sou­viens des pho­togra­phies d’il­lus­tra­tion. Plutôt que de me débar­rass­er de la bête, je la laisse accrochée face au soleil pour la mon­tr­er le soir venu à Aplo qui arrive par l’avion de l’après-midi à Barcelone. Lorsque nous revenons dans la mai­son le soir, je vois que la sauterelle à creusé dans le treil­lis de la mous­ti­quaire, à l’en­droit pré­cis où je l’ai vue accrochée le matin, un trou de la taille d’une paume de main. S’il lui a fal­lût creuser ce trou pour s’échap­per, d’où a‑t-elle pu venir? 

Piedralma

En route pour le ter­rain. La voie par la val­lée n’est tou­jours pas réparée. Hier le jour­nal local annonçait la fin des travaux. Nous roulons soix­ante kilo­mètres sup­plé­men­taires, gravis­sons un col. Evola nous accueille entouré de ses chats. Nous tirons à l’arc, au pis­to­let, dînons d’une fon­due française brassée dans un pot de grès. Il fait doux pour la sai­son, la riv­ière est basse, chevreuils et san­gliers vien­nent boire. Je fais mon lit en par­tie basse du van, Aplo dort à l’é­tage. Il sort sur le court de ten­nis en milieu de nuit et pho­togra­phie le ciel.

Musique

Ce matin arrivée d’Ap­lo par le train de Saragosse. Dès l’après-midi nous instal­lons les claviers, les écrans, le micro. Puis je cui­sine. Nous dor­mons. Le lende­main, étude du logi­ciel de musique FL stu­dio. J’ai pris mes pre­miers repères il y a deux ans. Plein d’il­lu­sion, je croy­ais alors fab­ri­quer des titres en quelques jours. Ce n’est pas com­pliqué, c’est com­plexe. Les instru­ments tombent en cas­cades sur l’écran, cha­cun a plus de bou­tons qu’un ado­les­cent. Puis il faut savoir la musique. Du moins si l’on veut tirée d’autres sons que ceux qu’of­fre le mode d’emploi. Dans les années 1980, avec la TR-909, la Bass-Line ou le sequencer MC-202, j’é­tais comme aujour­d’hui par­faite­ment igno­rant de ce que l’on nomme par­ti­tion, har­monie ou octave. Dans cette généra­tion, nous étions des pio­nniers. Un titre qui se résumait à penser que la musique ne requiert ni savoir ni tal­ent. Trente ans ont passé. Le résul­tat est là: une musique robo­t­ique, mal faite, répéti­tive, une déca­dence. His­torique­ment, je suis donc moins mau­vais qu’au­par­a­vant. Plus représen­tatif. Ce qui ne veut pas dire que l’af­faire est emportée. Nous tra­vail­lons tous les jours. Au bout de la semaine nous aurons “mis en boîte” un titre. Nom de mon groupe Long­fas­fucked­whitelife. Celui d’Ap­lo Avid-core. Pour le style, il relève de l’art brut. Ou plutôt de ce que je sais faire (et surtout de ce que je ne sais pas faire). Ajou­tons que l’in­tu­ition du fonc­tion­nement de la machine est du côté d’Ap­lo. Seul, j’en serai encore à chercher l’allumage.

Bon mot

Cet ordre des phras­es qui aboutit au bon mot, témoigne de votre esprit, place en société. Dans le groupe des sym­bol­istes (Rég­nier, De Gour­mont, Schwob), le souci est con­stant. Pas le bon mot des vaude­villes qui est une jon­g­lerie, un à‑propos, une cla­que­tte, le trait d’e­sprit, ce jeu pro­fond qui en quelques syl­labes capte et sidère. En tant que régime lit­téraire et social, il per­siste et tourne à l’in­quié­tude — peut-être parce qu’il se perd — chez les mod­ernes Valéry, Léau­taud, Gide. Longtemps il est cul­tivé. Le ciné­ma en joue. Dans un film comme “La maman est la putain”, cent cinquante ans après la fin de la cour royale, Eustache s’en moque, mais c’est du ciné­ma, c’est répété, chauf­fé et réchauf­fé. Donc il se peut que cet art fin, qui oblige au cal­cul en temps réel, déjà pose des dif­fi­cultés aux inter­locu­teurs. Aujour­d’hui? Où les ouvri­ers en langue pensent que la rime fait le poète? Puis l’Amérique lit­téraire est passée par là! “J’i­rai cracher sur vos tombes”, c’est d’abord l’aveu de la fin du monde-langue.

Piedralma

Evola se promène avec son chat. “Quand la pente est trop raide et que Tao peine, dit Evola, je ralentis”.

Révolution

Si l’on inver­sait les droits et les devoirs, servir en tant que fonc­tion­naire rede­viendrait un mérite. Ain­si, chaque fonc­tion­naire, en fonc­tion de sa caté­gorie de ser­vice, serait rémunéré sur une base virtuelle. En début de mois, l’employé d’E­tat sait pou­voir attein­dre le salaire fixé par con­trat et peut-être le dépass­er. Pour cela, chaque ser­vice ren­du au citoyen est payé par le citoyen à con­di­tion que le fonc­tion­naire pré­posé à la tâche ait résolu un prob­lème facil­i­tant la pro­duc­tion économique, c’est à dire que l’in­ter­ven­tion du fonc­tion­naire a con­tribué à l’en­richisse­ment général de la société. A l’in­verse, une procé­dure qui ralen­tit ou empêche l’in­no­va­tion, la créa­tion, l’in­ven­tion ou encore entrave l’ini­tia­tive, bref pénalise le tra­vail, n’est pas rémunérée et le salaire du fonc­tion­naire demeure virtuel. Côté inci­ta­tion, il est aisé d’imag­in­er qu’un fonc­tion­naire qui con­tribue à la flu­id­ité des échanges donc à la richesse de la nation puisse prof­iter, en sus de son salaire con­tractuel, de bonus. Ce que sig­ni­fie le mot “fonc­tion­naire”: con­tribuer par un acte respon­s­able, au nom de l’E­tat, au fonc­tion­nement de l’économie.

Feu

Les feuilles pla­nent, tombent, la tem­péra­ture baisse, l’hiv­er vient — comme chaque année la chaudière tou­sse, elle cale. J’ap­pelle le plom­bier. Vic­tor n’est pas au vil­lage. Il est à hue et à dia, les chaudières des Pyrénées ont toutes calé, il vien­dra “dès que je peux”. Du jardin, je monte des bûch­es. Or, il a plu. Je fais séch­er. J’al­lume. Le feu peine. Il ne fait pas froid. Dans la soirée, la mai­son prend quelques degrés. A dix-huit heures, cours de Pilates dans la bib­lio­thèque com­mu­nale puis résul­tat des élec­tions dans l’Em­pire améri­cain: on veut croire à une amorce de démon­di­al­i­sa­tion. Si Kennedy devient min­istre de la san­té, lui qui croit que le virus est poli­tique, ira-t-il jusqu’à mon­ter des tri­bunaux ? En atten­dant, j’é­coute Meth et Chat Pile, j’achète des bil­lets d’avion pour le Mex­ique, je recom­mence mes envois aux édi­teurs de “Gou­ver­nance et Gam­ing — Scé­nar­ios pour un esprit arti­fi­ciel”. Le lende­main, l’un des édi­teurs sol­lic­ités répond: “sur ces sujets, nous n’ac­cep­tons que les travaux uni­ver­si­taires”. Allia, qui n’a pas accusé récep­tion du man­u­scrit envoyé fin juin pub­lie ce jour d’Adorno “Com­bat­tre l’an­tisémitisme”. On ne peut mieux (plus mal) choisir le moment. Moi qui suis ama­teur d’Adorno et admire sa fig­ure intel­lectuelle, je préfère retenir en matière de four­voiement sa con­tri­bu­tion à l’abom­inable “Etudes sur la per­son­nal­ité autori­taire” dont il a d’ailleurs, avec hon­nêteté, fait la cri­tique et dénon­cer la responsabilité.

Week-end

Trois jours sur les bor­ds du lac de Neuchâ­tel, à Bevaux, avec Gala, Aplo et Luv, et son ami, un aimable étu­di­ant à boucles d’or­eilles et pan­talon bouf­fant. Le pro­prié­taire de la loca­tion allume un feu dans une soucoupe géante posée sur le gravier du jardin. Aplo sculpte une cit­rouille. Il m’of­fre un abon­nement UFC. Le lun­di et le mar­di, cha­cun repart dans sa direc­tion, Gala Lau­sanne, Aplo Genève, Luv Neuchâ­tel, pour moi l’Es­pagne, via le camp­ing de l’Isle-Blanc et ses cen­trales près Montélimar.

Schweiz

Après huit heures de route au départ de l’Alle­magne, récupéré les socles de bois qui servi­ront d’as­sise pour le cube à la sci­erie de Zoll­haus, en con­tre­bas du Lac noir. Comme le périmètre de l’u­sine ferme à 19h00, il faut cacher une moitié des socles — ceux qui ne tien­nent pas dans le van — der­rière un stand de tir aban­don­né si l’on veut en dis­pos­er avant lun­di. Je viens de pay­er ce matériel Fr. 1700.-. Et alors? Le ser­vice n’est pas com­pris. Gala déposée à l’hô­tel de Swartzen­burg, Domo et moi revenons à Zoll­haus, char­geons le reste des socles, roulons sur le Pont de Berne, déchar­geons le stock en vielle-ville de Fri­bourg, puis je reviens à Schwartzen­burg, dans le brouil­lard, la nuit, man­quant écras­er un fou qui marche le long de la route et sur la route, un fou qui marche de nuit, sans torche. 

Culture

Mag­nifique Bav­ière à Waal. Tables de bois à l’auberge, bock de blonde servis par de jeunes gens blonds, mar­ronniers cen­te­naires der­rière les fenêtres à croisil­lons, clocher à bulbe et une cham­bre au par­quet ver­nis qui occupe un demi-étage. Terre riche, paix, langue, un havre pour l’esprit.