Arrivé tard dans cette ville-garage comme il en existe légion au Mexique. Route poussiéreuse que traverse jour et nuit le trafic poids-lourd, stands ambulants de “sopes” et de *tacos” éclairés à l’ampoule, vulcanisateurs crasseux et débits de Mezcal grillagés. Pris un taxi avec des Catalans qui avaient réservé une cabane sur un terrain de campagne. Je cherche un hôtel, je le trouve: de passage, gras, miteux, sans fenêtres, couru par les cafards. Et le restaurant: entre deux karaokés la serveuse en collants apporte un plat gros comme une montagne. J’identifie du riz, de la semoule de maïs, de la sauce rouge, du poulet râpé. Maux de ventre et nuit affreuse à respirer un air propre-sale.
Attente 2
Des Français en voiture de location proposent de me conduire à Uxmal. Je vais dans l’autre direction. Comment? Je l’ignore. Au bureau des Touristes, on me dit: “il y a un taxi collectif”. Au marché, je trouve un sigle (TAS) peint contre un mur. Un vendeur de mangues confirme: “c’est là, mais demandez quand même”, et d’indiquer un creux dans le mur, juste après les lettres (ce n’est pas une porte). J’entre. Dans la cavité, le ventre à l’air, un type dans un hamac. J’appelle. Encore. Je reviens vers le type aux mangues: “je n’arrive pas à le réveiller”. Celui-ci: “ne vous en faites pas, le “colectivo” viendra vers 13h00”. En effet, peu à peu les clients arrivent. Un paysan qui transporte des oeufs, une étudiante, un couple. Le mari déballe un pain, il prend une bouchée, il donne une bouchée à sa femme. Ainsi, jusqu’à finir le pain. Il sont gros. Ils débordent. Il fait 37 degrés. Le paysan aux oeufs me dit: “je vais aller faire des achats, je reviens”. Il ne revient pas. J’attends. J’attends encore. Je renonce. Je retourne à l’hôtel Castelmar.
Attente
Attendu une heure devant le marché au poulets un “colectivo” qui n’est jamais venu (j’essayai de rejoindre des ruines). Un document d’hôpital en main, une femme mendie pour acheter le médicament dont a besoin son fils. Les Mexicains donnent, je donne. Pour regagner mon hôtel sur le port de Campeche j’emprunte la ruelle des coiffeurs: des dizaines d’échoppes en plein air où l’on coupe, rase, égalise. Assis sur le trottoir, les clients attendent. Il sont accompagnés de leurs familles venues assister au spectacle.
Izamal
Toldo médite dans la jungle, embrasse les arbres, s’élève sur les pyramides et fustige le pape. A Izamal, village de colons implanté sur un site des mayas du Yucatan, cinq édifices sur un terrain infini et plat dont deux pyramides en regard, lune et soleil. Les Espagnols rabotent l’un des pôles pour bâtir une église jaune au clocher qui tutoie le ciel. Nous grimpons sur la pyramide Kinich Kak Moo rejoignons l’église ou plutôt le couvent de Saint-Antoine de Padoue, ensemble bâti avec les pierres de réemploi de la pyramide Hun Pik Tok. De l’enceinte (la plus grande après Saint-Pierre de Rome), vue sur la place majeure où se déroule ce soir le carnaval. Et un bronze de Jean-Paul II bénissant les indigènes “et tous les habitants d’Amérique” sujet de la colère de Toldo contre Rome et l’effacement calculé de l’histoire commencé il y a cinq cent ans par la crémation des livres mayas, mais la véritable surprise est à l’intérieur de la basilique. Comme nous cheminons avec le peintre-yogi en direction de l’autel, Toldo nous arrête. Il fait remarquer sur le carrelage de terre cuite de la travée centrale le joint de maçonnerie. Il va s’élargissant, il se brise. Plus loin les carreaux se soulèvent. Toldo désigne alors au sol, non loin du chœur, une surface entièrement brisée de la taille d’une tombe. Les maçons font tout pour aplanir les carreaux et les sceller. Sous la poussée d’une force souterraine, ils continuent de se soulever et se brisent. “Lilith”, déclare Toldo. Et le peintre-yogi, au fait de l’histoire: “… qui n’a de cesse de revenir.”.
Cenote
Descente par une double échelle de vingt-trois mètres. J’évite de regarder en haut, en bas, je descends les yeux rivés à la paroi, il faut éviter de penser “si je lâche, je suis mort” — j’y pense.. Toldo, lui, est déjà dans l’eau, au fond du trou. Tout à l’heure, Toldo a fait monter dans la voiture un gamin de la région. Il nous a guidé le long de la piste. Maintenant, il nous rejoint au fond du cenote, décroche un radeau, en tire à mains nues sur un filin d’acier, l’amène au centre du cratère d’eau. Le peintre-yogi est sur le radeau. Il avance vers nous telle une apparition. “Des plongeurs ont voulu atteindre le fond, dit Toldo, ils ne l’on jamais atteint”. Après la baignade, Toldo essaie de convaincre l’indigène d’apprendre le maya, sa langue. “Tu devrais profiter, ton père parle le maya”. Le gosse n’est pas ravi. Par politesse, il hoche la tête. “Je vais t’envoyer un conte, tu verras, tu vas vite apprendre.” Sortis de l’eau, revenus sur le terre ferme, vingt-trois mètres plus haut, nous remontons en voiture. Aussitôt quitté la piste, Toldo conduit selon son habitude, à une vitesse folle. Sans ceinture, torse nu, plus que calme, extatique.
Sudzal
A Schambalante, cuisine délicieuse et belle concoctée par un chef sur les indications de Toldo. Dans l’assiette les arrangements sont précieux, les produits choisis quand ils ne sont pas récoltés. Régime sans viande avec une préférence pour les légumes et les fruits, et des eaux à boire, rouge, verte, jaune, de Jamaïque, de citrus, de courgette — bien les eaux, mais passer la soif ne suffit pas, je pense aussitôt: “il va falloir trouver la parade”. Elle est au village de Sudzal. Là où vit le peuple, on boit. Le gardien des bâtons me remet un vélo. Je pédale trois kilomètres sur une route tracée au cordeau. Au bout, dans un nuage de poussière chaude, l’église hispanique, une croix de béton, la place de jeux et le poste de police. Camions, motos et charrettes roulent en direction de Mérida. Les chiens dorment au milieu de la route, les véhicules contournent. J’arrête mon vélo devant l’épicerie. Murs de parpaings, porte de ficelle. En façade des pochages publicitaires, à même le trottoir les bouteilles de gaz et l’armoire à glace. A l’intérieur, des jeux d’arcade des années 1980, et les produits en vrac, grain, farine, pois. Ces épiceries de village ne vendent pas d’alcool. Un gosse me renseigne: “mais je crois qu’aujourd’hui c’est fermé.” Il a raison. L’unique débit de Sudzal appartient à la chaîne Sixx et les jours d’élection le débit n’ouvre pas. Deux paysans affairés sur une moto qui a perdu sa roue: “depuis la boucherie, tu comptes deux blocs, c’est derrière la maison jaune”. Il me faudra encore parler avec d’autres villageois car la boucherie c’est l’ancienne boucherie, “normal que vous ne l’ayez pas vue, me dit une autre gosse, c’est ce truc, là (un bâtiment condamné). En revanche, pour ce qui est de l’alcool, tout le monde est d’accord : derrière la maison jaune. Deux blocs plus loin je me glisse à travers une palissade, je me retrouve dans une cour privée. Des hommes boivent au milieu des poules. Ils m’avancent un chaise. Je commande un “missil” pour la tablée (bouteille de 1,2 litres). Les hommes parlent boxe, football, élections municipales. “C’est aujourd’hui, on ne boit pas pendant les élections, mais c’est fini maintenant, on sait déjà qui a été élu, dit mon voisin”. Il se présente: je suis l’adjoint du maire.
Voyage 4
Après le repas à l’hacienda servi dans un restaurant aéré où dînait un groupe venu assister à un séminaire de « biotypes », Toldo me promène à travers la propriété, 100’000 mètres de jardins, de cellules, de communs pour méditer, jeuner, manger, réfléchir et des palapas (sortes de palestres où s’entraîner), des serres, des terrasses. Dans ce vert paradis, les ruines d’une ancienne fabrique de chanvre (tresse de cordes destinées à la marine). Toldo me montre les pièces d’eau (il aime se baigner, dans le froid, dans le chaud) et un habile système d’adduction qui distribue l’eau de la nappe souterraine au moyen de “bisses”. Piscines, étangs, puits, arrosage, couloir de natation, fontaines, tout est connecté. Sur notre passage, des grenouilles s’enfouissent entre les nénuphars. « Il y a aussi des crocodiles », fait Toldo. Je crois à une plaisanterie. « Un était déjà là, l’autre c’est le voisin qui nous l’a donné ».
-Et ils mangent quoi ?
-Des iguanes.