Accélération de l’état de catastrophe dans lequel a plongé notre entreprise des suites de la fausse crise sanitaire. Des mois à se battre contre la malveillance, la mesquinerie, le vol, l’esprit de lucre ; j’entrevois enfin une issue au conflit. Impossible d’en parler dans le détail, toute information pouvant réarmer les adversaires. J’attendrai. Si j’en parle un jour, j’aurai recours à la fiction, la traduction directe m’étant interdite par contrainte notariale. Conclusion provisoire: la société est folle, les individus sont fous. Ils le sont parce que le choc de deux années de destruction programmée des corps et des esprits a fait basculer la population occidentale dans la déraison. Ce n’est qu’un début. Les conséquences vont se dérouler, inexorablement. Dans l’immédiat, si ce conflit professionnel où je jouais l’ensemble de mes recours d’existence s’achève comme il semble par un rachat de mes actions, je vais pouvoir m’extraire une fois pour toutes de ce zoo qu’est devenu “notr pays” et me tenir loin de la société-machine.
Mois : mai 2022
Vers l’Espagne 6
Ascension du Portalet. Je ne me souvenais pas. J’ai gravi ce col sous la neige lorsque j’habitais le Gers, je l’ai emprunté ces dernières années, aujourd’hui il m’a semblé interminable. Il l’est, il y a 27 kilomètres de montée. Ce sont d’abord des villages dressés sur la pente, puis des forêts de pins et de fougères, ce matin humides, encaissées, pleines de voitures et de motards, de bruit et enfin, cela se dégage vers Artouste, la haute montagne commence, avec elle la respiration devient meilleure, la vue est dégagée, il y a des vaches sous les nuages et beaucoup de ciel. Sur la fin — les derniers 5 kilomètres — je manque d’entrain, je joue à gagner contre un cycliste filiforme que je vois dans mon rétroviseur, il s’est juré de dépasser le vieux aux sacoches. Arrivé le premier, je bute sur un Hollandais qui crache ses poumons. Je le plaisante, ce qui ne le fait pas rire. Il monte un vélo à piles et demande “de l’autre côté, c’est comment?”. Il veut dire “vers la France”. Plus dur. Or, sur son vélo électrique, il arrive de Salent de Gallego qui est situé à quatre kilomètres. Côté Aragón, la chaleur augmente. Je retire un habit, puis un autre. Quand il ne reste plus rien j’arrête, mais on pourrait circuler nu tant la chaleur est grosse. Sur le tronçon Sabiñanigo-Jaca, je compte 38 degrés. A l’heure du repas, je suis dans Agrabuey. Le paysan m’accueille. J’ai roulé 1050 kilomètres pour 11’000 mètres de montée en six jours et demi.
Vers l’Espagne 5
A Adé comme à Teruel, des Boeing posés au milieu des champs, mais c’est un restaurant que je cherche car à force de pédaler à travers les reliefs on oublie les situations et les hommes et faute d’attention je n’ai pas su que nous étions jour de l’ascension, jour férié. Je trouve des Macaronis quelque part sur une terrasse le long de la route et j’ai chaud et j’ai froid car le soleil ce jeudi est inconstant. Le café bu, je remonte à vélo. Déjà je sens la fin du voyage ou plutôt le début des Pyrénées et j’accélère. En milieu d’après-midi, je suis à Lourdes. De là, je remonte la vallée de l’Ouzoum, petite rivière encaissée, pontons de pierre, pacages, écrins de verdure, maisons au pied des pans de montagne; j’oubliais que la source est nécessairement en hauteur et qu’ici la hauteur se nomme le col de Soulor. Quand je commence l’ascension des 11 kilomètres, un cycliste hésite. Je lui montre mes sacoches, mon poids, la distance parcourue depuis le matin, je lui dis: “nous allons monter ensemble, je roule lentement”. Le premier panneau indique: 9% sur trois kilomètres”. Il renonce. Il n’a pas tort. C’est long, c’est dur. Au col, je vois que je n’en ai pas fini. Ma route passe par l’Aubisque. Or, la liaison par la montagne est fermée. La patronne du refuge dit : “vous pouvez y aller mais ne tombez pas, personne ne viendra vous chercher”. C’est ainsi que j’arrive de nuit et dans le brouillard à Laruns, en terre connue, prêt à affronter le lendemain la dernière droite vers l’Espagne.
Vers l’Espagne 4
Embrassades et photographie en famille — celle de mes hôtes — sous la verrière de la Biblioteca à l’heure où affluent les premiers clients. De Saint-Pierre-de-Trivisy, quelques pentes encore après quoi je n’ai plus qu’à me laisser couler jusqu’à la plaine (façon de parler et de faire littérature car en fin de compte, à vélo, on pédale, on n’arrête pas de pédaler à fortiori lorsqu’on est comme moi, par nature, pressé). Seulement voilà, j’entend un bruit. Aussitôt je sais: un rayon a lâché. Je me pousse dans le talus. C’est la roue arrière. J’attrape le rayon libre et le ficelle autour d’un rayon fixe. Puis je me donne deux heures avant de rappeler le numéro inconnu qui s’affiche sur mon téléphone. Quatre tentatives hier. Chaque jour plus compliquée cette relation au téléphone. Qu’une envie, jeter l’outil dans la forêt. De plus, “inconnu”, cela m’agace. Surtout quand il s’agit d’un numéro suisse. Ce qui vient de Suisse m’agace. D’ailleurs il ne peut venir de Suisse que des ennuis puisque je n’y suis pas et n’y connais presque plus personne. A la fin je rappelle: au bout du fil, la maman vaudoise de l’ahuri de trente ans qui a bloqué ma sortie de parking avec sa Panda, n’a pas répondu à mes coups de klaxon, n’a pas dégagé la voie, Panda que j’ai attaquée à coups de pied avant que d’être maîtrisé par trois policiers. “Oui, oui… dis-je à l’interlocutrice, mais qui êtes-vous?”. Réponse incompréhensible. Alors je dis: “oui, je vais payer et je raccroche”. Car je n’ai qu’un problème: ce rayon. Restent 180 kilomètres, je viens de prendre la route. Et ça s’aggrave. Je le vois en lorgnant sous la selle: la roue est voilée. Dix fois, je regarde. Elle est voilée, elle se voile. “Le voyage s’arrête là”, me dis-je. Sur l’écran GPS, je cherche ma position. Comme il se doit, aucun village en vue, alors une ville, et donc un atelier de cycles… Premier giratoire, je dévie de la route, je roule en direction de ce qui semble gros, vivant, commerçant. En l’occurrence Bessières. Passé le pont sur le Tarn, je suis sur la place ancienne devant un café PMU, une pharmacie, un boucher. Un panneau indique Stade. Je prends à gauche, et voilà, fin de Bessières, retour dans la campagne. Un menuisier dresse une porte devant une façade. Je veux le rejoindre. Il pose sa porte, fait la circulation, me guide jusqu’à son trottoir. J’essaie de me calmer, de sourire. “Y a‑t-il une ville où je pourrais trouver un marchand de vélos?”. “Mais pas du tout, il y en a un ici!”. Et d’expliquer le chemin à suivre. Que je suis. J’imagine une boutique avec un ouvrier en bleu muni d’un tournevis et d’un marteau, j’arrive devant un splendide magasin rempli de cadres de luxe, de pneus de luxe, de jantes de luxe. A peine ai-je franchi le seuil que le patron fait: “Frank m’a appelé! C’est vous?”. Autre miracle, le magasin distribue la marque Felt, la marque de mon vélo! “Seulement, précise le patron, cela va prendre du temps, parce que j’ai toutes sortes d’urgences, aujourd’hui tout le monde casse!”. Je m’assombris. Il dit: “… une heure, ça ira?”. Je suis ravi. Le soir, j’atteins Montech près de Montauban qui dispose d’une merveilleux camping municipal (gratuit s’il l’on arrive tard et que l’on repart tôt) et un affreux bar à Arabes alcooliques où buvant ma bière je dois subir un énergumène arabe et alcoolique qui chante à la gloire du tueur islamique Merah.
Vers l’Espagne 3
Journée entre Tarn et Hérault. Longues heures de silence à grimper seul. La forêt s’élève au-dessus de la route, le col est là-haut, enfoui. Quand il y a une épicerie (rarement), j’achète un litre et demi d’eau, le consomme en entier. Après Castanet où un restaurateur vieille France (ah, comme ce pays était beau!) me sert de la charcuterie de Lacaune, l’orage éclate et je pédale sous les averses, sans cesse obligé de me déshabiller et de me rhabiller. Mais ce mauvais temps, je ne le redoute plus. Du moins quand les gouttes ne sont pas trop épaisses et la chaussée pas noyée car alors il faut rouler avec modération et le but recule. Au Nord de Millau, je pense à José Bové avec qui j’ai fait le déplacement de Davos en 1997. Bien cette casse au McDonald’s; ridicule son engagement européen — un classeur sous le bras, un salaire dans la poche, on ne l’a pas entendu protester… Cependant le paysage est toujours au relief. Il est vert et rude. Les nuages amoncelés le remplissent d’ombre. Par endroit, on se sent perdu. Et puis c’est monotone: longue montée, longue descente, et longue montée… Cela s’appelle — d’après un panneau — le Tarn Vert. J’aime mieux ce qui est jaune et sec et vaste comme une mer de blé, le Gers ou la Castille. De plus, je ne vois rien d’important sur l’horizon. Les villages sont petits; il faut dire hameaux. La lumière commence de baisser quand j’arrive à Lacaze (Lacasa). Ne reste qu’à poursuivre. Une départementale minuscule est lovée contre le Gijou, un ruisseau qui ronfle en terre. Lové, cela à l’air sympathique, sauf qu’après au bout une heure à pédaler sur le petit pignon, j’ai l’impression de m’être lancer dans l’ascension de l’Hymalaya. . Quand je débouche, j’ai roulé 16 kilomètres à la montée. Du plateau, je m’élance en direction d’une campagne moussue, spongieuse, ronde. Mon regard accroche le mot “gîte” suivi de “biblioteca”. Travers malheureux, je déteste me détourner de ma route. Malheureux car dans un endroit qui est désert lorsque l’on vous appelle à quitter le désert, il ne faut pas refuser l’invitation. Je la refuse, j’atteins Saint-Pierre-de-Trivisy. Il pleut, il fait nuit, il va pleuvoir et continuer de faire nuit. Un adolescent en treillis militaire monté su un quad me rassure: comme je veux, camping ou hôtel. Le premier est fermé et que les chambres d’hôtes du second “ne sont pas prêtes” m’apprend le couple qui fait aussi bar et restaurant. “Ai-je le temps de boire une pression?”. “Volontiers, mais nous n’allons pas tarder à fermer, me dit la dame, nous n’avons eu personne de tout le jour. Un heure plus tard, je suis toujours accoudé au comptoir, la conversation est plus que sympathique, intéressante, et je découvre que je suis à la “biblioteca”, que celle-ci n’est pas qu’un mot, qu’il existe là, derrière le mur, de splendides étagères de bois rustique garnies de livres et une cheminée géante, mais encore des tables de cuir fumé, des lustres qui donnent un belle lumière et quand j’annonce que je vais aller dormir dehors (trop fatigué pour continuer), la dame qui se prénomme Pascale annonce qu’elle prépare une chambre et tous trois, elle, son mari et moi, d’ascendance andalouse elle, catalane lui, dînons autour d’une table haute dans le bar.
Vers l’Espagne 2
Quelques jours et j’oublie déjà ce que fut cette seconde étape. Pour le savoir, je dois consulter la carte. J’ai photographié des portions de route afin de retrouver la direction générale. Mon excellent outil de navigation a un écran si petit que l’on a beau savoir au centimètre prés où l’on se trouve il est difficile de connaître la destination finale. D’autant que je contourne les villes et les bourgs et trace ma route par les campagnes. Voilà, j’y suis; c’est jour d’Ascension, je roule sur une laie le long d’un canal de dérivation. Au loin un troupeau de moutons. Une famille de gitans flanquée de chiens guide les bêtes. Un agneau saute par-dessus le canal. Le gitan s’élance, rate son coup, la bête plonge dans le jus. Le gitan saute encore. L’agneau veut escalader la berge. Le gitan le prend par les pattes, le jette sur la route. L’agneau s’écrase tel un paquet de linge mouillé. Il détale. Cela recommence. Un bélier. Le gitan saute, non il vole. Le torse nu, musculeux. D’une détente il atteint le mâle. Le mâle se dégage. Sur le chemin la gitane parle aux chiens. Langue bizarre. Les chiens comprennent. Réaction immédiate. Comme s’ils recevaient des décharges électriques. Ce travail de rabattement dure un quart d’heure après quoi je reprends de la vitesse. Toujours pareil: au moindre ralentissement, j’ai le sentiment d’avoir perdu partie de mon voyage. J’ai tout le temps mais je suis pressé. J’accélère. Une ancienne voie ferroviaire est transformée en piste cyclable. Fin de matinée, je tiens un moyenne de 30 km/h. puis déjeune sur le bord de la Vidourles à Sommière. La chaleur est écrasante. Mon grand plaisir est d’avaler un litre de sirop grenadine. Ensuite, du vin. Le menu est espagnol. “Pourquoi?”. La fille des patrons ne sait pas. Elle est jeune, très jeune, élastique. Tarte aux myrtilles, petit noir, elle remplit mon bidon, je reprends la route. Droites semées de platanes, champs ouverts, ciel bleu et raide. Salinelles (où nous avions invité en 1998 nos amis de Genève pour un repas au château afin de fêter notre premier salaire d’afficheurs), Notre-Dame-de-Londres, Saint-Guilhem-le désert. J’enfile un ou deux giratoires l’ œil sur le GPS, double les voitures qui vont au pas, retrouve les champs. Je pédale sans relâche, absorbe les paysages sans les voir. Au cent-cinquantième kilomètre, il est temps de songer à un camping, un stade, un hôtel. Dans cet ordre. Je préfère dormir sous tente. Placer le vélo dans un garage pour monter en chambre, j’évite. Puis il y a le prix. A croire que les établissements, tous minables qu’ils soient, sont réservés aux voyageurs fortunés (on oublie que c’est juste fait pour dormir). Hélas, à Gignac où j’atterris après une recherche dans quatre villages demi-fantômes, le camping ouvre le surlendemain. Quant au stade de cette banlieue de Montpellier, il est fréquenté, surveillé, éclairé, impraticable. Pour seule offre à des kilomètres (170 Km parcourus), un Logis de France. Douché, je pars boire en ville. Ambiance interlope sur les terrasses. Content de ne connaître personne. D’être inconnu. Tablées d’excursionnistes retour des Cévennes, d’employés agricoles magrébins, de voyous. Restaurant? Fermés. Je me rabats sur un Kebap, commande des frites et observe. Pour nourrir la population dominicale — je parle des voisins qui descendent des immeubles de Gignac-centre — le Turc saisit dans un bac de congélation des sacs dont il balance le contenu dans son bac à huile. A même le trottoir, sur une table de plastique, un père fait manger son fils avec les mains. Fin du week-end de garde, ce père semble impatient de ramener le gosse. Un autre père, tout en dealant des cachets, amuse sa compagne et leur enfant de six ans. Quand l’enfant finit ses croquettes, prend la main de la mère, s’en va, le père lance : “à la prochaine!”.
Fabrique du divin
Abolir Dieu après création, preuve de force pour les plus forts. Et seulement pour eux. A travers Lui, ces Forts ont obtenu ascendance sur tous les indigents en demande de croyance. Confisquer par effet du progrès l’objet vénéré créé aujourd’hui un vide si grand que l’humanité s’y précipite.