Vers l’Espagne 4

Embras­sades et pho­togra­phie en famille — celle de mes hôtes — sous la ver­rière de la Bib­liote­ca à l’heure où afflu­ent les pre­miers clients. De Saint-Pierre-de-Triv­isy, quelques pentes encore après quoi je n’ai plus qu’à me laiss­er couler jusqu’à la plaine (façon de par­ler et de faire lit­téra­ture car en fin de compte, à vélo, on pédale, on n’ar­rête pas de pédaler à for­tiori lorsqu’on est comme moi, par nature, pressé). Seule­ment voilà, j’en­tend un bruit. Aus­sitôt je sais: un ray­on a lâché. Je me pousse dans le talus. C’est la roue arrière. J’at­trape le ray­on libre et le ficelle autour d’un ray­on fixe. Puis je me donne deux heures avant de rap­pel­er le numéro incon­nu qui s’af­fiche sur mon télé­phone. Qua­tre ten­ta­tives hier. Chaque jour plus com­pliquée cette rela­tion au télé­phone. Qu’une envie, jeter l’outil dans la forêt. De plus, “incon­nu”, cela m’a­gace. Surtout quand il s’ag­it d’un numéro suisse. Ce qui vient de Suisse m’a­gace. D’ailleurs il ne peut venir de Suisse que des ennuis puisque je n’y suis pas et n’y con­nais presque plus per­son­ne. A la fin je rap­pelle: au bout du fil, la maman vau­doise de l’ahuri de trente ans qui a blo­qué ma sor­tie de park­ing avec sa Pan­da, n’a pas répon­du à mes coups de klax­on, n’a pas dégagé la voie, Pan­da que j’ai attaquée à coups de pied avant que d’être maîtrisé par trois policiers. “Oui, oui… dis-je à l’in­ter­locutrice, mais qui êtes-vous?”. Réponse incom­préhen­si­ble. Alors je dis: “oui, je vais pay­er et je rac­croche”. Car je n’ai qu’un prob­lème: ce ray­on. Restent 180 kilo­mètres, je viens de pren­dre la route. Et ça s’ag­grave. Je le vois en lorgnant sous la selle: la roue est voilée. Dix fois, je regarde. Elle est voilée, elle se voile. “Le voy­age s’ar­rête là”, me dis-je. Sur l’écran GPS, je cherche ma posi­tion. Comme il se doit, aucun vil­lage en vue, alors une ville, et donc un ate­lier de cycles… Pre­mier gira­toire, je dévie de la route, je roule en direc­tion de ce qui sem­ble gros, vivant, com­merçant. En l’oc­cur­rence Bessières. Passé le pont sur le Tarn, je suis sur la place anci­enne devant un café PMU, une phar­ma­cie, un bouch­er. Un pan­neau indique Stade. Je prends à gauche, et voilà, fin de Bessières, retour dans la cam­pagne. Un menuisi­er dresse une porte devant une façade. Je veux le rejoin­dre. Il pose sa porte, fait la cir­cu­la­tion, me guide jusqu’à son trot­toir. J’es­saie de me calmer, de sourire. “Y a‑t-il une ville où je pour­rais trou­ver un marc­hand de vélos?”. “Mais pas du tout, il y en a un ici!”. Et d’ex­pli­quer le chemin à suiv­re. Que je suis. J’imag­ine une bou­tique avec un ouvri­er en bleu muni d’un tournevis et d’un marteau, j’ar­rive devant un splen­dide mag­a­sin rem­pli de cadres de luxe, de pneus de luxe, de jantes de luxe. A peine ai-je franchi le seuil que le patron fait: “Frank m’a appelé! C’est vous?”. Autre mir­a­cle, le mag­a­sin dis­tribue la mar­que Felt, la mar­que de mon vélo! “Seule­ment, pré­cise le patron, cela va pren­dre du temps, parce que j’ai toutes sortes d’ur­gences, aujour­d’hui tout le monde casse!”. Je m’as­som­bris. Il dit: “… une heure, ça ira?”. Je suis ravi. Le soir, j’at­teins Mon­tech près de Mon­tauban qui dis­pose d’une mer­veilleux camp­ing munic­i­pal (gra­tu­it s’il l’on arrive tard et que l’on repart tôt) et un affreux bar à Arabes alcooliques où buvant ma bière je dois subir un éner­gumène arabe et alcoolique qui chante à la gloire du tueur islamique Merah.