Embrassades et photographie en famille — celle de mes hôtes — sous la verrière de la Biblioteca à l’heure où affluent les premiers clients. De Saint-Pierre-de-Trivisy, quelques pentes encore après quoi je n’ai plus qu’à me laisser couler jusqu’à la plaine (façon de parler et de faire littérature car en fin de compte, à vélo, on pédale, on n’arrête pas de pédaler à fortiori lorsqu’on est comme moi, par nature, pressé). Seulement voilà, j’entend un bruit. Aussitôt je sais: un rayon a lâché. Je me pousse dans le talus. C’est la roue arrière. J’attrape le rayon libre et le ficelle autour d’un rayon fixe. Puis je me donne deux heures avant de rappeler le numéro inconnu qui s’affiche sur mon téléphone. Quatre tentatives hier. Chaque jour plus compliquée cette relation au téléphone. Qu’une envie, jeter l’outil dans la forêt. De plus, “inconnu”, cela m’agace. Surtout quand il s’agit d’un numéro suisse. Ce qui vient de Suisse m’agace. D’ailleurs il ne peut venir de Suisse que des ennuis puisque je n’y suis pas et n’y connais presque plus personne. A la fin je rappelle: au bout du fil, la maman vaudoise de l’ahuri de trente ans qui a bloqué ma sortie de parking avec sa Panda, n’a pas répondu à mes coups de klaxon, n’a pas dégagé la voie, Panda que j’ai attaquée à coups de pied avant que d’être maîtrisé par trois policiers. “Oui, oui… dis-je à l’interlocutrice, mais qui êtes-vous?”. Réponse incompréhensible. Alors je dis: “oui, je vais payer et je raccroche”. Car je n’ai qu’un problème: ce rayon. Restent 180 kilomètres, je viens de prendre la route. Et ça s’aggrave. Je le vois en lorgnant sous la selle: la roue est voilée. Dix fois, je regarde. Elle est voilée, elle se voile. “Le voyage s’arrête là”, me dis-je. Sur l’écran GPS, je cherche ma position. Comme il se doit, aucun village en vue, alors une ville, et donc un atelier de cycles… Premier giratoire, je dévie de la route, je roule en direction de ce qui semble gros, vivant, commerçant. En l’occurrence Bessières. Passé le pont sur le Tarn, je suis sur la place ancienne devant un café PMU, une pharmacie, un boucher. Un panneau indique Stade. Je prends à gauche, et voilà, fin de Bessières, retour dans la campagne. Un menuisier dresse une porte devant une façade. Je veux le rejoindre. Il pose sa porte, fait la circulation, me guide jusqu’à son trottoir. J’essaie de me calmer, de sourire. “Y a‑t-il une ville où je pourrais trouver un marchand de vélos?”. “Mais pas du tout, il y en a un ici!”. Et d’expliquer le chemin à suivre. Que je suis. J’imagine une boutique avec un ouvrier en bleu muni d’un tournevis et d’un marteau, j’arrive devant un splendide magasin rempli de cadres de luxe, de pneus de luxe, de jantes de luxe. A peine ai-je franchi le seuil que le patron fait: “Frank m’a appelé! C’est vous?”. Autre miracle, le magasin distribue la marque Felt, la marque de mon vélo! “Seulement, précise le patron, cela va prendre du temps, parce que j’ai toutes sortes d’urgences, aujourd’hui tout le monde casse!”. Je m’assombris. Il dit: “… une heure, ça ira?”. Je suis ravi. Le soir, j’atteins Montech près de Montauban qui dispose d’une merveilleux camping municipal (gratuit s’il l’on arrive tard et que l’on repart tôt) et un affreux bar à Arabes alcooliques où buvant ma bière je dois subir un énergumène arabe et alcoolique qui chante à la gloire du tueur islamique Merah.