Journée entre Tarn et Hérault. Longues heures de silence à grimper seul. La forêt s’élève au-dessus de la route, le col est là-haut, enfoui. Quand il y a une épicerie (rarement), j’achète un litre et demi d’eau, le consomme en entier. Après Castanet où un restaurateur vieille France (ah, comme ce pays était beau!) me sert de la charcuterie de Lacaune, l’orage éclate et je pédale sous les averses, sans cesse obligé de me déshabiller et de me rhabiller. Mais ce mauvais temps, je ne le redoute plus. Du moins quand les gouttes ne sont pas trop épaisses et la chaussée pas noyée car alors il faut rouler avec modération et le but recule. Au Nord de Millau, je pense à José Bové avec qui j’ai fait le déplacement de Davos en 1997. Bien cette casse au McDonald’s; ridicule son engagement européen — un classeur sous le bras, un salaire dans la poche, on ne l’a pas entendu protester… Cependant le paysage est toujours au relief. Il est vert et rude. Les nuages amoncelés le remplissent d’ombre. Par endroit, on se sent perdu. Et puis c’est monotone: longue montée, longue descente, et longue montée… Cela s’appelle — d’après un panneau — le Tarn Vert. J’aime mieux ce qui est jaune et sec et vaste comme une mer de blé, le Gers ou la Castille. De plus, je ne vois rien d’important sur l’horizon. Les villages sont petits; il faut dire hameaux. La lumière commence de baisser quand j’arrive à Lacaze (Lacasa). Ne reste qu’à poursuivre. Une départementale minuscule est lovée contre le Gijou, un ruisseau qui ronfle en terre. Lové, cela à l’air sympathique, sauf qu’après au bout une heure à pédaler sur le petit pignon, j’ai l’impression de m’être lancer dans l’ascension de l’Hymalaya. . Quand je débouche, j’ai roulé 16 kilomètres à la montée. Du plateau, je m’élance en direction d’une campagne moussue, spongieuse, ronde. Mon regard accroche le mot “gîte” suivi de “biblioteca”. Travers malheureux, je déteste me détourner de ma route. Malheureux car dans un endroit qui est désert lorsque l’on vous appelle à quitter le désert, il ne faut pas refuser l’invitation. Je la refuse, j’atteins Saint-Pierre-de-Trivisy. Il pleut, il fait nuit, il va pleuvoir et continuer de faire nuit. Un adolescent en treillis militaire monté su un quad me rassure: comme je veux, camping ou hôtel. Le premier est fermé et que les chambres d’hôtes du second “ne sont pas prêtes” m’apprend le couple qui fait aussi bar et restaurant. “Ai-je le temps de boire une pression?”. “Volontiers, mais nous n’allons pas tarder à fermer, me dit la dame, nous n’avons eu personne de tout le jour. Un heure plus tard, je suis toujours accoudé au comptoir, la conversation est plus que sympathique, intéressante, et je découvre que je suis à la “biblioteca”, que celle-ci n’est pas qu’un mot, qu’il existe là, derrière le mur, de splendides étagères de bois rustique garnies de livres et une cheminée géante, mais encore des tables de cuir fumé, des lustres qui donnent un belle lumière et quand j’annonce que je vais aller dormir dehors (trop fatigué pour continuer), la dame qui se prénomme Pascale annonce qu’elle prépare une chambre et tous trois, elle, son mari et moi, d’ascendance andalouse elle, catalane lui, dînons autour d’une table haute dans le bar.