Une bande de malfaisants sous prétexte de sauver l’humanité la punit. Dans les pays primitifs, les victimes désignées ne font pas le choix de la souffrance car c’est déjà le lot commun; partout ailleurs, où l’argent a perverti les consciences, le masochisme est à son comble.
Mois : janvier 2022
Rendez-vous
Ce mois de janvier, parmi les tâches professionnelles, obligatoires, quelques rendez-vous, certains travaillés depuis des années, et qui enfin tombent, que j’inscris au calendrier, pour lesquels je me prépare, pour lesquels je rentre en Suisse. Cette fois, peu avant la date, je m’interroge: “que va-t-on exiger au nom de la folie sanitaire? Que je me pique, que je me teste, que je me numérise?” Je demande. On me répond: ne venez pas, nous ferons cela en ligne. Les interlocuteurs ne peuvent savoir que je parcoure 1200 kilomètres pour les rencontrer. Trop tard, j’y suis, je suis à Lausanne — matériellement. Alors je me mets en quête d’un ordinateur, vérifie son fonctionnement, installe une chaise, préviens l’employé: “le lendemain, tandis que je ferai mon exposé, que l’on ne me dérange pas”. Me prépare une fois encore à dire, vendre, convaincre et à la fin je me couche. Le matin, un des employés me réveille affolé: “vite! tout le monde est là!”. Où? En ligne. Je suis en culottes, j’ai la gueule de bois, je soupire. Aussitôt me requinque: “ils se trompent, le rendez-vous est à 14h00!”. L’employé bat en retraite. Au téléphone, je l’entends expliquer: “vous vous trompez, c’est à 14h00.”. Une fois débarbouillé et remis, je vois que l’erreur est mienne. Nous sommes le jeudi 27, il est dix heures un quart et nous avions rendez-vous ce même jour à dix heures, ce que confirme une ligne de caractères en pattes de mouche en haut à gauche du programme de visio-conférence: “créneau 10h00-11h00”. Si personne ne s’est avisé de me le dire — je parle d’interlocuteurs que je n’ai jamais vu — c’est que le programme l’énonce clairement, en haut à gauche de l’écran, en caractères pattes de mouches — il suffisait de consulter le programme.
Hiver
Splendide Lac noir de Fribourg serti dans ses montagnes, glacé tel un œil. Au loin, les promeneurs forment des points sombres. Ils vont en groupe, en couple, avec des chiens et des luges, d’autres jouent au hockey. Le froid est intense. Cela ne surprend pas mes amis. J’ai perdu l’habitude. J’ai des gants, eux pas. Nous quittons les berges, marchons vers le milieu du lac. V. apporte des canettes de Feldchlössen dans un cabas. Nous buvons au milieu dans ce spectacle entouré de crêtes qu’illumine le dernier soleil.
Märklin
Où je mesure mon acclimatation aux déserts d’Espagne, à l’espace illimité, au temps brut, c’est devant la réaction des citadins de nos villes romandes : pratiquement, il n’y en a aucune. L’endurance aux vexations est aberrante. Antinaturelle. Masochiste. Folle. Comme si passé une certain stade d’humiliation, le corps et l’esprit pouvaient encaisser les coups. Et se déformer jusqu’à la monstruosité. Pas de place, beaucoup de règles, trop de règles. Ce “motif gendarme”. A la moindre incartade, au moindre éclat de voix, le quidam s’improvise juge et flic. La maladie est ancienne, elle a dégénéré pendant la fausse crise du virus. Cela se comprend: ce n’était déjà pas drôle; pas libre; pas vrai. Les derniers repères tombés, c’est la chute libre.
Tintin
Racheté les vingt-deux albums (sans Les Soviets ni l’Alph-art). La collection est à nouveau complète. Les éditions originales de 1947 et des années suivantes sont celles qu’avaient acquises Monpère. Celles que je lisais enfant. Celles dont je consolide la tranche au scotch depuis quarante ans. Je viens de m’y employer un fois encore. A cette occasion, je me souviens du désarroi de l’été 1981. Mes parents avaient prêté la ferme familiale à des Parisiens: trop jeunes pour avoir appris à soigner, leurs enfants avaient réduit à l’état de loques les albums. Monfère et moi avions alors entrepris spontanément un véritable atelier de rénovation.
Naypyidaw
Enfin vu le livre. C’est un petit volume. Pour caricaturer, je dirais: qui tient dans la paume de la main. Dès la première ligne, on se sent aveugle. Il est vrai: je n’emporte jamais mes lunettes. Même quand je consulte des mots dans le Petit Robert, je m’en passe. Ici, c’est plus difficile. Ce qui témoigne de la petitesse générale de l’ouvrage. Les caractères fuient devant le regard, la page s’estompe. Le propos de mon “Naypyidaw — Cité de l’espace” n’étant pas du genre intrigue à feuilletons, la rencontre entre le lecteur et le texte est improbable. Pour ne rien arranger, ma commande en ligne, placée il y a deux mois, vient d’être annulée. Indisponibilité. J’imagine l’affaire: l’éditeur parisien se débarrasse du contrat en imprimant une centaine d’ouvrages. Résultat, un livre qui n’existe pas, mais que je ne peux republier sans difficultés. Du moins à ce que croit cet éditeur tordu. Je vais me mettre en besogne et republier.
Chemin
Fluidité moindre du sang dans les corps, des corps dans les villes. Le bleu est la couleur qui domine et le gris, des tons froids. C’est l’hiver, mais ce n’est pas toute l’explication ni la Suisse seulement, car en trois jours j’étais à Saragosse, Sète, Lausanne et Fribourg. Le doute règne. Partout les corps sont devenus trop grands pour être occupés par les idées qui hier encore les guidait. Si le mal était voulu (ce dont je suis persuadé), il est fait. Que s’ensuit-il? Eh bien, il va falloir reconstruire un horizon faute de claudiquer et de tomber dans les pièges supplémentaires qui déparent le chemin.