Toujours conformer ses actes à ses idées. “Toujours” signifie: dans la mesure du possible. Autrement dit, le possible est la mesure et doit, avant qu’il y ait défaite des idées ou perte d’énergie, le demeurer. Aussi suis-je content de voir qu’un an à peine après avoir subi les premières menées néfastes qui, depuis lors, n’ont fait que gagner en force et négativité, l’échappatoire conçue avec quelques amis de rencontre, conforme à nos idées partagées, est en place et que je vais dès la semaine prochaine prendre possession d’un nouveau mode de vie à l’écart de la grande machine.
Mois : janvier 2022
Ivan et Pablo
Ivan Denissovitch dans Une journée… c’est Soljenitsyne au Goulag. Pablo dans Le mur, ce n’est pas Sartre (qui est au premier étage du Flore occupé à recevoir des groupies). Aujourd’hui, on peut espérer. Non, il le faut. Mais il faut aussi, de toute urgence, trouver l’endroit pour le faire. Trouver avant que soit mis fin à l’espérance.
Progrès
Pour parler comme nos hérauts modernes Smith, Ricardo, Friedmann, dans la théorie libérale classique le régime de marché est soumis à la spontanéité des individus atomiques. Ce qui fait, avouons-le, désordre. Mieux vaut commander au moyen d’une minuterie l’allumage et l’extinction des ampoules afin de distinguer nettement entre les heures de production, les heures de repos et les heures de reproduction. Un système bien tempéré de récompenses-punitions permettra en outre de quantifier pour chacune de ces phases l’influx vital nécessaire et suffisant.
Lausanne
Etrange atmosphère, ville en bleu-gris. Taches d’eau sur les sols, façades blêmes, voix étouffées. Quelques passants. Qui semblent perdus. Marchent et marchent… à reculons. La balayeur du quartier, un noir à tignasse jamaïquaine, hésite: “faut-il continuer de balayer?” Propreté démesurée. Pour passer le temps, il bavarde avec les voisins tombés des immeubles. Ces voisins racontent ce qu’ils vont faire: descendre au parc de Milan, ausculter un chien asthmatique, vernir des ongles de vert (pourquoi de vert, je n’en sais rien, c’est ce que dit la petite vielle à chignon). Plus tard je m’extrais de la boutique d’antiquités (elle mériterait d’être rebaptisée : “Winston and Julia”), cherche à emprunter le passage sous-gare: il est condamné par un emballage savant de tentures publicitaires qui montrent les phases d’exploits par lesquelles transiteront les maîtres architectes-rénovateurs qui préparent “pour vous” la gare vaudoise de l’an 2030 (plutôt que les esclaves économiques français dont sait ce qu’ils font, piocher et peller). Lorsque j’émerge côté Petit-Chêne, même désolation, des humains sans trajectoire ni destin qui filent les yeux baissés. Au change pour touristes “best rate in town”, le Maghrébin me fait comprendre qu’au point où nous en sommes il prendra tous mes billets, quelle que soit leur forme, leur couleur, leur taille et leur ancienneté. Fin d’après-midi, je me promène sur les berges du lac Léman avec Mamère, promenade ralentie non pas le rythme de notre pas mais par une ambiance toute “intérieure” — on se croirait dans un film muet. Pour l’occasion Mamère me présente les autres promenant, tous connus, des réguliers me dit-elle, au demeurant sympathiques et loquaces. Il n’empêche: y a‑t-il une issue, je veux dire pour sortir du décor? De retour vers le centre névralgique du quartier d’Ouchy, là où commence et finit le métro qui relie haut et bas du Grand Lausanne, des gens sont assis sur des terrasses. Les parias qui ont interdiction d’entrer dans la salle à boire reçoivent leur commande des mains d’une fille masquée et la sirote l’écharpe remontée sur le menton, par trois degrés, le cul sur une chaise de plomb.
Séjour 2
Couché sur le flanc, un cheval paresse au milieu du champ enneigé. La ferme est alimentée par des sources, elle est chauffée à l’érable ondé, possède un calvaire. Il y a une salle de jeux, ping-pong, baby-foot, Monopoly et des cartes de géographie punaisées au mur. Une carte du monde, une autre de l’Europe, une troisième de la Suisse et ce mot: “indiquez d’où vous venez”. Tous les trois ou quatre heures, de petites avalanches glissent avec fracas sur le toit.
Vélo
Occupé à me renseigner sans ordre ni hâte sur les courses d’ultra distance. Pays, terrains, dénivelés, temps et jours maximum. Avant Noël, je m’étais décidé pour le raid du “kilomètre zéro”, course en autonomie et en une fois qui relie sur 700 km de chemins et routes secondaires la Castille au départ de Madrid à Finisterre en Galice — son organisation est annulée pour 2022. Le Biking man du Portugal pourrait être une alternative, mais il a lieu en juin. Quatre mois d’entraînement, c’est trop peu. Donc je me renseigne, je cherche.