Mois : septembre 2020

Film

Assis à la table du café de Umag, sur le port quand s’a­bat une puis­sante averse. Les chenaux giclent, les grilles d’é­gout recrachent, les dalles sont noyées. Je lève les pieds, laisse pass­er le flot, puis vais dans la pluie pour pren­dre une pho­to des façades jau­nies par la lumière d’or­age quand trois gamines tra­versent la place en riant des caiss­es à sar­dines retournées sur la tête. 

Viceversa 2

Cette femme, Clau­dine Gaet­zi, qui impose un thème à votre con­tri­bu­tion lit­téraire et vous dit que pensez, que n’écrit-elle pas tous les textes de sa revue? Bien sûr: elle doit faire accroire à l’E­tat que la revue pub­lie les “écrivains suiss­es” donc représente la “lit­téra­ture suisse”. Moi, pour Fr. 4000.- la page, j’écris volon­tiers sur com­mande et sur la famille: “Ce dimanche-là, papa, qui déjà n’aimait plus maman…”. 

Viceversa

Est une revue de lit­téra­ture suisse pub­liée dans nos langues nationales. Je ne con­nais­sais pas. En août, je tombe lors d’une recherche des arti­cles cri­tiques pub­liés autour de H+ sur un compte-ren­du de mon texte: doc­u­men­té, bien écrit, élo­gieux. De quoi se réjouir. Coïn­ci­dence, un mois plus tard, la rédac­teur en chef, Clau­dine Gaet­zi, me demande une con­tri­bu­tion. Les pages don­nées à la revue seront accom­pa­g­nées d’un entre­tien et d’une séance de pho­tos. Le tout payé Fr. 400.-. Moins ras­sur­ant, le thème imposé: “la famille”. Sur laque­lle, je n’ai rien à dire et souhaite ne rien dire (à part: “depuis quand impose-t-on un thème à des écrivains?), mais je me con­va­inc qu’en lit­téra­ture on ne par­le jamais que de lit­téra­ture et que les thèmes, tous les thèmes, sont à la fois présents. Sur quoi, ayant ter­miné trois textes (OM, Paléoé­mas­sifi­ca­teur et Notr pays) et une tra­duc­tion au cours de l’été, je décide de don­ner à la revue des extraits de ce tra­vail et réor­gan­ise mon cal­en­dri­er pour me trou­ver en Suisse au moment de l’en­tre­tien et des pho­tos. Trois semaines passent, je suis à Lau­sanne, la ren­con­tre avec la pho­tographe zuri­choise est prévue pour le lende­main quand je reçois — à 20h00 le soir — un cour­ri­er de la rédac­trice. Elle dit: nous (qui “nous”?) sommes choqués par cer­tains des pro­pos que vous tenez dans votre Jour­nal d’In­con­sis­tance. Elle dit: par ailleurs, les extraits que vous nous avez fait par­venir ne trait­ent pas de la famille. Elle con­clut: “nous” annu­lons. N’est-ce pas extra­or­di­naire? Cette femme et son équipe, payés par l’E­tat, ne vous lisent pas ou du moins ne savent pas ce que vous écrivez; vous sol­lici­tent; imposent un thème façon “racon­tez vos vacances d’été”; se ravisent; et vous font la morale. Plus exacte­ment: font com­pren­dre qu’ils pensent juste et que leur idéolo­gie étant la seule accept­able, vous êtes un paria. Ain­si, il existe une lit­téra­ture offi­cielle en Suisse, une lit­téra­ture d’E­tat: cela ne sur­pren­dra pas, elle est social­iste, fémi­nine et totalitaire.

France-poubelle

Le gou­verne­ment de France s’arrange pour faire entr­er, et laver, et soign­er et rémunér­er plus de 3’000 éner­gumènes pak­istanais sans papi­er par mois depuis des années et quand l’un de ces envahisseurs découpe au hachoir des pié­tons dans Paris, la presse de pro­pa­gande titre (toutes, de con­cert, voir les quo­ti­di­ens) : “la police enquête sur l’i­den­tité réelle de l’as­sail­lant”. Déporter quelques trois milles fonc­tion­naires parisiens par mois au Pak­istan ne peut que prof­iter au retour de la démoc­ra­tie sur le ter­ri­toire français.

Nos sociétés de la honte

Com­ment font-ils? Ignorent-ils délibéré­ment le change­ment? S’ag­it-il d’une fuite intérieure? D’une démis­sion? D’une forme de néga­tion, non seule­ment de la lib­erté, mais du corps, de l’e­sprit. Ou d’une néga­tion plus fon­da­men­tale, la néga­tion de la vie? Oui, com­ment font les gens d’hi­er, qui se com­por­tent ces jours sans rien mod­i­fi­er à leur quo­ti­di­en? A con­stater le dur­cisse­ment des pou­voirs, je me réjouis d’être par­ti à vélo. De vagabon­der. Bien­tôt, cela ne sera plus per­mis. Et pour longtemps. Je compte en généra­tions. Le ver­rouil­lage déli­rant des espaces vitaux pro­gresse. Allez savoir si le Pro­gramme ne va plus vite que l’avaient prévu ses con­cep­teurs? Pour un temps, le flot de men­songes qu’assè­nent à l’u­nis­son les gou­verne­ments trahit encore l’in­quié­tude: les imbé­ciles que nous sommes vont peut-être com­pren­dre qu’ils ont affaire à un expéri­ence d’ingénierie sociale et pos­er un refus. A moins que l’ar­ro­gance ne l’emporte et que les man­dants de cette prise de pou­voir sur les con­sciences aient une foi totale dans leurs instru­ments de cap­ta­tion de la volon­té. Quoiqu’il en soit, il en est fini du vieux monde hérité des généra­tions vail­lantes. Nous sommes dans la merde, et pour longtemps, pris en étau entre une admin­is­tra­tion omniprésente et des essaims d’én­er­gumènes prélevés sur les stocks du tiers-monde. Dans cette équa­tion, je ne vois qu’une incon­nue sus­cep­ti­ble de prof­iter aux défenseurs de l’in­di­vidu : l’ar­gent. Il manque. Il va man­quer. Dans des sociétés — les nôtres — où plus des deux tiers des citoyens sont occupés à dépenser le gains pro­duit par le dernier tiers, le point de chavire­ment n’est jamais loin.  Alors quoi? Rien de neuf sous le ciel: une guerre pour les ressources. Voiture, mai­son, quarti­er, nour­ri­t­ure, femmes… vieille his­toire. Une chose est sûre: il faut quit­ter les villes. Où les éner­gumènes se charg­eront, pour le meilleur prof­it des gou­verne­ments retranchés (ils le sont déjà, ces enne­mis), de faire régn­er la loi maffieuse et piller les éner­gies dernières des autochtones.

Umag 2

Toute la nuit je me suis félic­ité. Sur la place, en front de mer, les vents ont emporté para­sols et devan­tures. Ce matin, des ouvri­ers venus en camion­nette répar­ent. Ma tente n’au­rait pas résisté: dernière imper­méa­bil­i­sa­tion il y dix-huit ans. Surtout, j’au­rais eu de la peine à m’en extraire pen­dant l’or­age. Même dans le lit de l’auberge j’ai souf­fert, craig­nant de me retourn­er, renonçant à me lever, à aller piss­er. Au réveil, impos­si­ble de lac­er les chaus­sures. Cette pente dans le vig­no­ble, au-dessus de Bercht­es­gaden, prob­a­ble­ment. Le vélo à l’ar­rêt, j’ai arraché sans pren­dre la peine de pass­er le petit plateau. Le soir, la douleur était mod­este, mais depuis j’ai roulé 405 kilo­mètres. Donc me voici au port. For­cé d’at­ten­dre. Pas le plus mau­vais endroit. De la cham­bre, je vois deux petites car­avelles, l’une blanche, l’autre de bois. Elles se bal­an­cent à quai. La place dal­lée de pierre plate à des airs de Sans Mar­co en minia­ture. L’am­biance aus­si est agréable, non­cha­lante. Méditer­ranéenne, si l’on était sur l’Adri­a­tique. Côté musique, la patronne du café Paris est ama­teur de new-wave, ain­si j’ai droit aux tubes des années 1980: The Cure, Kaj­a­gogo, Talk Talk, Sim­ple Minds…

Chemin croate

Entre Luci­ja et Seca, mer­veilleux chemin de cam­pagne sur les collines qui domi­nent la baie. Enser­ré entres des murets de pier­res, il tra­verse une terre provençale. Je baisse la tête pour pass­er sous les plants d’o­livi­er. Alen­tour poussent des man­darines, des pommes et des grenades. Au sol, ma roue lève des mûres.

Umag

Bien fait de me réduire dans un hôtel (le Café Paris, devant la mer, en face d’une tour des cloches qui sonne les quarts d’heure). Sur le point de piquer ma tente, j’ai jugé que les restau­rants et la bois­son étaient trop loin (cinq kilo­mètres par le quai) et je suis retourné en ville. Là, il pleut des cordes. Vu l’é­tat de ma tente, je dor­mais dans une piscine.

Parecag

Tra­ver­sés les marais salants qui tien­nent lieu de zone fron­tière entre la Slovénie et la Croat­ie, j’en­tre dans un chemin signé D80 (une voie cycliste), roule un kilo­mètre sur de la terre inondée quand monte brusque­ment la végé­ta­tion. Plus loin elle cache le chemin, freine le vélo, les pneus enfon­cent dans la boue. Je per­sévère. D’abord parce que je suis imbé­cile, ensuite parce que, con­va­in­cu d’avoir tort, je demande à le véri­fi­er. Dans ces con­di­tions, je roule une ving­taine de min­utes en m’ar­rachant les mol­lets au con­tact de la brous­saille tan­dis que s’é­vadent vers le ciel des per­drix et des cygnes. Enfin je renonce et me casse le nez sur la patrouille douanière venue me chercher suite au sig­nale­ment d’un voisin. Le garde fron­tière : “vous faites quoi là?” J’ex­plique. Il demande: “vous étiez sig­nalé, mais on cherche aus­si une famille de clan­des­tins qui tran­site par les marais, vous avez vu dans le no man’s land?”

Koper-Istria

Quit­té ce matin Tri­este. Temps lumineux, rues à l’é­querre, archi­tec­ture des villes de com­merce et familles ital­i­ennes en bal­lade. Dans le port, un build­ing couché sur la mer, bateau de croisière, qua­tre étages de bal­cons blancs, le Cos­ta Delizia: à l’ar­rêt sous le coup de l’épidémie. Grand plaisir à voir ce bâti­ment de rap­port en déshérence. Dans les parcs, hordes de Pak­istanais crasseux et zomb­i­fiés. Per­son­ne ne s’en soucie. Pro­gramme d’im­por­ta­tion des crim­inels, tel que voulu par nos gou­verne­ments.  A traiter au pis­to­let. En com­mençant par les impor­ta­teurs. Je longe la mer, me four­voie, bute comme il se doit sur des zones pro­tégées, des parcs à con­teneurs, des hangars, des bar­rières, puis j’at­teins Mug­gia, ville satel­lite de Tri­este que j’ai repérée: elle per­met d’éviter les ponts autoroutiers et les zones filmées. Là, deux Alle­mands sur des VTT élec­triques. Aus­si per­dus, moins cau­sant. Un accord tacite est vite établi: eux ont un GPS, je me débrouille en ital­ien. Huit kilo­mètres à ser­pen­ter à tra­vers des quartiers ouvri­ers et nous voici sur la route côtière. Je prends de l’a­vance, les sème (près de la douane, deux clochards assis sur le digue pêchent le pois­son; ils ont des bouteilles de rouge à la main, ils ont plan­té leurs trois cannes en tra­vers de trot­toir de façon à ce que les promeneurs aient à enjam­ber et à savoir ce qu’ils font, essay­er de manger- rien de plus ras­sur­ant qu’un clochard). Slovénie. Pas de douane. Elle a été trans­for­mée en sta­tion-ser­vice (l’essence coûte 0,38 cts de moins qu’à Tri­este). Je rejoins Kop­er (Capo d’Is­tria), le port où nous avons dor­mi la pre­mière nuit de notre périple dans l’est avec Evola il y a deux ans: meilleure impres­sion qu’alors  il faut dire qu’il pleu­vait des cordes. Là, sur­prise: une piste cyclable. Ravi, j’ac­célère. Une ten­di­nite m’empêche de pédaler en posi­tion cycliste. Soit je vais en danseuse soit le dos raide. Mais je vais. Les vil­lages côtiers se suc­cè­dent: Izo­la, Por­torose, Sec­ovl­je. Bien­tôt je ne sais plus si je suis en Slovénie ou en Croat­ie. Je craig­nais la sor­tie d’I­tal­ie. Main­tenant que c’est passé, je roule sans souci. Donc je con­fonds la douane croate avec un péage. Passe tout droit. Le douanier me sif­fle, me rabat. Il dit: “vous pou­vez entr­er, mais vous ne pour­rez pas ressortir.”
-Je ne veux pas ressortir.
“Où allez-vous?”
Je cherche ls noms que j’ai appris en lisant la carte. Com­ment se sou­venir de noms de vil­lages qui com­bi­nent des “k”, des “j” et des “z”?
-En Bosnie.
“Après?”
-En Roumanie.
“Oh! Bon très bien. Allez‑y!”.