(Qu’est-ce que vous répondez à cela?
Comment, quoi, qu’est-ce que j’en sais?
Pourtant, quelqu’un s’est servi de ce marteau.
Pas moi.
Quelqu’un, je n’ai pas dit que c’était vous.
Je ne dirai rien de plus.
Bien. C’est ce que nous verrons.)
La personne qui annonçait ne rien dire de plus, dans ce dialogue que je tenais au milieu de la nuit, c’était moi.
Mois : mai 2020
Rêve
Menteries
En Thaïlande, tout va bien. Comment le sais-je? Le Bangkok Post que je consulte au quotidien le dit (je ne lis pas le thaï): à ce jour, l’épidémie a fait 57 victimes. Il y a un mois, le chiffre était le même. Rassurant! Après quoi j’appelle Lin, l’hôtellier homosexuel de Trat, un ami. Il confirme: “non, ici, tout va bien!”. Et des morts, je demande, il y a des morts? “Une cinquantaine je crois…”. Affaire conclue : il suffit de produire des statistiques, elles disent ceci ou cela, c’est à dire n’importe quoi. A chacun ensuite, en fonction de son projet de pouvoir, d’en faire bon usage.
Dieu 5
Il y a trente ans, Jésus était mon randonneur spirituel. Ce n’est plus le cas. Relégué à l’histoire, voilà tout. Alors que Dieu. Au ciel. Ou, le ciel. Ou encore, l’en-dehors. Mais comme je ne professe ni ne crois, je mesure le trait tiré de l’un à l’autre. Pour que tant de naïfs investis du poids de la chair puissent aller en esprit et en simplicité à Dieu, il fallait ce va-nu-pieds génial, chef universel des vagabonds. Et pour tuer son génie propre, il fallait une géométrie de scribes juifs, lesquels le propulsèrent vers Dieu avant de la ramener sur terre, ou le contraire; bref, un feu d’ artifice nommé kabbale que s’empressèrent d’intégrer dans leur fond de commerce les politiciens d’églises, docteurs-ecclésiastes en tête. Alors que: Dieu. Il faut dire : Dieu. Dieu seul. Le “pas-homme”. Voilà ce qu’il nous faut. Apprendre à devenir “non-dieu”.
Walden II
Jamais le pouvoir n’a été aussi opérant. Pourtant, il n’est pas là, il est invisible. Dans le même temps, il est exigé que vous vous mettiez à nu. Bien sûr, ce ne sont pas vos fesses ou votre machin que l’on demande à voir, mais tout ce qui permettra de pointer, via les engins volants, pour votre sécurité et en temps réel, vos fesses et votre machin.
Simplex
Nous blancs, nous Occidentaux, nous en savons trop. Au vu des ressources mentales et physiques qui fabriquent la combinatoire humaine, nous en savons beaucoup trop. Difficulté qui n’est pas nouvelle. Sur le versant technique, elle a trois siècles; sur le versant philosophique, vingt-deux. Quoi? Eh bien, nous sommes des handicapés. Fort ou faible, le cerveau l’emporte sur le corps. La représentation du doute? Moment de génie de la race. Son vecteur de propulsion. Dans la traînée de la comète blanche, toutes les races d’inertie. Entraînées, broyées. Un sang intersidéral. Mais ces races demeurées simples, réacclimatées par nos soins, corps maintenus, esprits a minima, partent aujourd’hui à la conquête du doute. Et, moyennant complicité occidentale, détruisent le monde avant de le ramener à ce qu’il était: une simplicité.
Régisseurs
Quand vous naviguez sur un grand vaisseau, avion ou navire, vous n’avez aucune influence sur le régime des rythmes, air ou chaufferie. Dans les immeubles suisses, c’est pareil. Boulonnés au paysage, ils vous contiennent et vous imposent leur machinerie. Dans mon immeuble de montagne, je subis une chaleur en chambre digne d’un asile de vieillard alors que mon frigorique est sibérien.
Actions
Pas d’autre résistance que les comportement libres et affirmés. A charge de tous. A charge de chacun. Face à la situation mondiale de fausse urgence et de réelle mainmise, l’infraction systématique est modeste mais elle favorise la re-conquète. Qui eut dit hélas, il y a trois mois encore, que nous aurions à défendre par des actes ponctuels d’oppositon une liberté pratique? Et cependant, elle paraissait déjà bien éloignée de l’idéal philosophique notre liberté. Sauf que: aujourd’hui elle est menacée. Pire, telle que médiatisée par les outils réglementaires et numériques, elle pourrait disparaître sans que l’on en garde le souvenir.
Films
Il y a des soirs où je me persuade de regarder un film. Je cherche. Long temps. Je finis par trouver. Dès les premières scènes, avant même le générique — puisque le régime d’appel fonctionne désormais ainsi — je renonce. Ce soir, je me demandais: pourquoi? Car notre monde est une fiction. Je passe l’essentiel de ma journée à ramener ce qu’on me présente à la réalité afin de construire une situation minimum; de sorte que j’éprouve, à lancer en soirée un film pour le divertissement, un immense gâchis.
9 mm
Dans les bois du Valais, en altitude, le matin, avec des armes. Les mieux doués que moi ont un équipement modeste mais efficace. J’ai un équipement efficace et immodeste. Ce n’est pas faute de vouloir, de tenter, de travailler. J’y consacre hélas un temps marginal et achète parfois ce matériel au titre de l’investissement; quant à mes connaissances pratiques, elles sont maigres. Disons-le, en regard des spécialistes, j’ignore plus que je ne sais. Or, dans ce milieu d’amateurs, l’amateurisme ne pardonne pas. Ainsi, dès que nous prenons place sur le terrain (550 mètres de dévers au-dessus de la broussaille, interdit de trébucher), l’instructeur s’emploie à me rabrouer. Il me renvoie, m’isole, demande à son assistant-tueur de me faire réptéter les régimes de souplesse, “dégainé, contact press-touch”, les intitiés s’y reconnaîtront. Bonne nouvelle, l’homme qui est affecté à mon examen, en dépit de son air de motard viellissant, bandana sur le front, muscle rebondis, pattes, est un personnage: calme, bienveillant, direct — lentement il me remet en place. A la fin de l’entraînement (entre temps j’ai été réintégré dans le groupe), comme nous regagnons par un sentier suspendu nos voitures, il me dit son métier: “tiger”. C’est à dire Marshall embarqué sur les avions de ligne pour assurer la sécurité armée à bord.