Mois : août 2019

Afro-progressisme 2

En Méditer­ranée, Soudanais groupés sur le pont d’un bateau affrété par de jeunes pro­gres­sistes blancs. A terre, du côté des pays d’Eu­rope, leurs sou­tiens s’ar­rachent les cheveux (avant de com­man­der un piz­za et de regarder une cas­sette vidéo dans leur salon IKEA) : “notre devoir est d’ac­cueil­lir ces gens!”. Soit 55 mil­lions de citoyens soudanais placés sous le régime de la Charia qui vivent avec moins de 1 dol­lar par jour, sont illet­trés, pour par­tie anal­phabètes et, par voie de con­séquence, croient en un Dieu idéologique et vengeur.

Afro-progressisme

En ce moment dérive dans les eaux inter­na­tionales un bateau de sec­ours aux Africains qui se jet­tent à la mer. Sur le pont, 400 indi­vidus. Prin­ci­pale­ment des Soudanais. L’Eu­rope méditer­ranéenne refuse l’ac­cueil dans ses ports. Les mil­i­tants respon­s­ables de l’opéra­tion voient leur out­il de dessalin­i­sa­tion de l’eau de mer tomber en panne. Répa­ra­tion de for­tune. Les Africains, assoif­fés, utilisent par­tie de cette eau obtenu à grand peine pour se laver les pieds et prier.

Mort (après la vie).

La ques­tion de la vie après la mort doit être résolue ain­si: la con­science n’ac­tu­alise plus l’ensem­ble des com­posants sous le con­cept d’in­di­vidu. Quelque chose se pour­suit cepen­dant, qui est autre. La mort est donc l’op­posé de la vie en ce qu’elle est une organ­i­sa­tion fon­da­men­tale­ment dis­tincte des composants.

Pascal

“Tout le mal­heur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeur­er en repos, dans une cham­bre.” Drôle de pro­pos, du moins si on ne le citait sans y réfléchir, car à force, on l’in­scrit dans le mar­bre et comme tout chose ain­si gravée, on la prend au sérieux. Il n’a aucun sens. Il est bien d’un philosophe (Pas­cal) qui, aven­turé dans le monde, se replie sur son domaine, ce que j’ap­pelais, quand j’écrivais encore du théâtre, “une table-deux chais­es” (je songeais à la fon­da­tion de notre entre­prise d’af­fichage, au cap­i­tal min­i­mal­iste, et qui cepen­dant fai­sait société — sans jeu de mots). Car dans le cas de Pas­cal, la soli­tude comme mod­èle de pro­duc­tion des idées ne fait pas société. Et si les idées ne font pas société, ce sont les actes qui font société, autant dire la force brute. La force hors toute médi­ta­tion du “com­ment” et du “pourquoi”. Reste l’in­ter­pré­ta­tion inté­grale de la maxime pas­cali­enne. Elle exige une sagesse totale des hommes, dans quel cas, plus per­son­ne n’ayant de con­tact, il n’y a pas de société — fin de l’histoire.

Nus

Moins d’in­térêt pour la pornogra­phie en ligne. Après cinq ans à vis­iter ces boîtes à image, il me sem­ble qu’elle suiv­ent la même courbe fonc­tion­nal­iste que la société: com­bi­naisons plus auda­cieuses et moins exci­tantes, jeu d’assem­blages en par­tie infor­mée par l’idéolo­gie de l’in­dif­féren­ci­a­tion (un homme est une femme, un noir un blanc, une grosse une mai­gre) et pub­li­ca­tion de corps tron­qués (ban­deaux, flous et hors-champ, la plu­part des mod­èles étant décapités.) Com­parées avec les textes de fan­taisies éro­tiques de Pierre Louÿs ou de Sade — ces prouess­es de per­ver­sité mas­cu­line (car quoiqu’on en dise, la pornogra­phie est essen­tielle­ment mâle) — ces images man­quent de puis­sance. En revanche, les grands sites mon­di­aux de nus sont utiles à fréquenter pour ce qu’ils trahissent de nos pas­sions sociales, de nos espoirs et de nos peurs. A not­er que ces sites, j’é­tais loin d’en douter, ont une his­toire; le con­tenu pro­posé au voyeur a beau­coup changé (dans la forme, mais aus­si sur le fond) depuis mes pre­mière cir­cu­la­tions à l’époque où j’écrivais Le trip­tyque de la peur (2014).

Non-travaillants

“Ne pas savoir que choisir”, l’une des dif­fi­cultés sur lesquelles bute la vie quo­ti­di­enne des tra­vail­lants. Défaut com­préhen­si­ble, dès lors que choisir devient une oblig­a­tion de chaque instant. “Sachez et faites votre choix!” Pourquoi? Parce que le tra­vail doit être jus­ti­fié par un nom­bre de choix tou­jours plus grand se suc­cé­dant tou­jours plus vite. Parce que la fonc­tion du tra­vail dans le sys­tème du cap­i­tal­isme sac­ri­fi­ciel étant de per­me­t­tre à une par­tie crois­sante de la société de ne pas tra­vailler ou du moins de réalis­er un tra­vail non-pro­duc­tif, l’of­fre qui fait l’ob­jet du choix exige de l’in­di­vidu tra­vail­lant qu’il sache ses désirs, les réalise au plus vite, détru­ise son revenu et renoue dans les meilleurs délais avec la fonc­tion qui lui est impar­tie dans l’é­conomie générale : le tra­vail-sou­tien aux non-tra­vail­lants, savoir les plus pau­vres (exclus et peu coû­teux, mais nom­breux) et les plus rich­es (auto-exclus et peu nom­breux, mais coû­teux). Si “ne pas savoir que choisir” et donc “ne pas choisir” est en passe de devenir la dif­fi­culté majeure sur laque­lle bute la vie quo­ti­di­enne des non-tra­vail­lants, c’est que le cirque imposé aux tra­vail­lants en ce début de réces­sion mon­di­ale les épuise, les dégoûte, les rend malades et les amène à rejoin­dre le rang des non-travaillants.

Retournement

Le “bruit” des cybernéti­ciens. Une fri­t­ure. Il est facile de s’en moquer. Chose anci­enne, et j’in­siste sur “anci­enne”. Car ce sché­ma par­a­sitaire est — évidem­ment (preuve inex­orable du Pro­grès) — effacée par les nou­veaux util­i­taires tech­nologiques. Sauf que la facil­ité de trans­mis­sion, à l’échelle de la planète, avec émis­sion con­stante, inces­sante, indi­vid­u­al­isée, pro­duit un effet de sat­u­ra­tion du sens bien plus impor­tante que le “bruit”. Doré­na­vant, nous sommes la chose.

Local

Autre­fois, c’est à dire hier encore, quand une per­son­ne au fait des futuri­bles évo­quait le “local”, je tour­nais la tête, je m’en allais. Aujour­d’hui, je serais moins pré­ten­tieux. Car je suis d’ac­cord — ô com­bi­en d’ac­cord! Devenir soi-même est affaire de diges­tion des sym­bol­es. Pénible ges­ta­tion. Cepen­dant, cela ne suf­fit pas. Côté pra­tique, on ne peut tenir face au réel qu’in­scrit dans un petit sys­tème de société, une toile d’araignée. Salivée, donc naturelle. A l’op­posé, les “grandes sur­faces”. Où l’on s’emploie, moyen­nant le recours à des méth­odes fines, poten­tielle­ment sci­en­tifiques, à nous noy­er dans des sur­faces de pré­da­tion tech­nique. Le but étant de liq­uider la pos­si­bil­ité du local, d’en finir avec le bon équili­brage de l’a­gré­gat corps-esprit.

Limites

Aucune lim­ites de son jardin n’é­taient fixées, aus­si guet­tait-il sans cesse les voisins dont il esti­mait que, n’ayant pas sa générosité, ils ne man­queraient pas de fix­er des limites.

Phase

Mes idées, pour autant qu’elles soient miennes (ce n’est pas mod­estie de con­ve­nance, j’en doute du fait de la nature du pro­grès sym­bol­ique, lent, si lent) m’ap­pa­rais­sent rétro­grades, réac­tion­naires, voire anachroniques. Peut-être est-ce parce qu’elles sont fondées sur la lec­ture aléa­toire de textes portés par le courant de la tra­di­tion et ne per­me­t­tent ain­si, eu égard à la muta­tion en cours, que des pris­es illu­soires sur le réel. Dans le même temps, je me demande si le poids d’in­er­tie que leur con­fèrent, selon le dis­cours à l’in­stant tenu, l’his­toire, le passé, le refroi­di, bref ce que l’on voudra d’as­cen­dant et d’un peu hiéra­tique, n’est pas pré­cisé­ment ce qui les leste d’une capac­ité cri­tique que revendiquent sans l’honor­er les idées neuves, en phase et donc à peine dis­tinctes de la phase.