Mois : juillet 2017

Datation

Dans com­bi­en d’années les zones d’activité com­mer­ciale des périphéries devien­dront-elles des quartiers his­toriques ?

Pins


Diego Jimenez de Sacatier­ra Sanz, avec qui je bavarde assis au pied de l’église, me dit qu’en 1958 et jusqu’en 1960, des Andalous venaient de Jaen, Ante­quera et Guadix pour planter des pins sur la mon­tagne.
-Mais, observe-t-il avec ironie, ils en ont plan­té qui ont jamais poussé alors qu’ailleurs les pins pous­saient tout seuls.

Retour


Soulage­ment au pas­sage du tun­nel de Biel­sa sur l’Espagne. Mon­tagnes d’Aragon, riv­ières encavées dans roche blanche, forêts sans ouvrages humains. Au pre­mier vil­lage, un bar qui fait vente d’essence et de pro­duits locaux pour les touristes de pas­sage. Tan­dis que je com­mande, un Français présente à la ten­an­cière la soucoupe où l’on voit encore le tick­et des con­som­ma­tions et lui explique en français qu’il man­quait dix cen­times dans le retour de mon­naie, qu’on ne la lui fait pas, qu’il a très bien vu et qu’il est cer­tain de ce qu’il avance. La ten­an­cière, sur­prise, lui assure que le compte était bon.
-Et moi, assure le Français, je suis cer­tain qu’il man­quait dix centimes.
La ten­an­cière lui donne dix cen­times et s’en va racon­ter l’histoire à ses collègues.

Redite


Dans Le Cour­ri­er de Genève, papi­er sur Le trip­tyque que m’envoie aimable­ment mon édi­teur. A la lec­ture, il me sem­ble qu’il s’agit de celui-là même qui était paru le mois dernier dans La Lib­erté de Fri­bourg. Je demande con­fir­ma­tion. C’est le même. Tra­vail à la chaîne.

Limite

Que l’imag­i­na­tion trou­ve son expres­sion la plus auda­cieuse dans le pro­jet de répli­ca­tion de l’homme indique qu’elle a atteint sa limite.

Halle aux grains


Davie et Jack, nos amis anglais de Gim­brède font route jusqu’à Toulouse. J’ai aver­ti que c’était le qua­torze juil­let et qu’il y aurait foule au cen­tre. Au télé­phone, je m’inquiète : ils veu­lent savoir s’il y aura des feux, ce pain pour les pigeons. Gala se reb­iffe. Comble de chance, ils annon­cent qu’ils  descen­dent dans un hôtel proche de la gare. Ain­si, nous n’avons qu’à marcher (en fait pren­dre le bus, Gala ne marche plus), pour les rejoin­dre devant la Halle aux grains. Six ans que nous ne les avons vu. La dernière fois, je quit­tai Gim­brède à bord d’un camion de loca­tion rem­pli de mes meubles, sous la pluie, heur­tais le toit de la sta­tion-ser­vice d’Astaffort avant de faire le plein du réser­voir, roulait huit cent kilo­mètres dans des con­di­tions de tem­pête pour être accusé un an plus tard par des gen­darmes d’avoir jeté bas l’édifice entier, volé de l’essence et pris la fuite. Ce soir je leur racon­te com­ment cela me valût de rejoin­dre les derniers temps la cure de l’église de Lhôpi­tal que j’avais rénovée d’arrache-pied en ram­pant à tra­vers la forêt à l’heure où la police relâchait sa sur­veil­lance. Jack nous fait de son côté la chronique de Gim­brède depuis notre départ. Les étrangers – c’est-à-dire ceux qui ne sont pas nés au vil­lage, mais on peut aus­si l’entendre ain­si : « ceux qui ont les moyens de choisir leur lieu de vie » — sont repar­tis. Ils ont lais­sé der­rière eux les maisons qu’ils ont retapées. Avant leur venue, le vil­lage menaçait de s’effondrer. Désor­mais rebâti, il est à demi-fan­tôme. Les Français qui s’y sont instal­lés ont fait con­stru­ire des pavil­lons de con­tre­plaqués sur des ter­rains déclassés par le maire. Sachant mes amis anglais peu regar­dant sur l’esthétique, je me retiens de dire que c’est une des raisons qui m’a poussé à quit­ter le Gers, cette destruc­tion du pat­ri­moine visuel.
-For us, con­clut Jack, France is the past. 
Et de m’expliquer leurs derniers déboires, la bataille rangée que mène l’une des familles du cru pour les chas­s­er du vil­lage après leur avoir ven­du les bâti­ments qu’elle s’était acca­parée dans les années 1950 et l’obligation de restau­r­er selon les normes his­toriques la Com­man­derie, édi­fice lourd et moyenâgeux qui a autant de charme qu’un pâté de sable (la mairie à autorisé en face l’édification d’un ate­lier de véhicules dont la façade est de pas­tique bicolore).
Mais il y a une bonne nou­velle, cor­rige Davie. Est-ce que je me sou­viens du bistrot de la place, dans le chef-lieu voisin ? Trois jeunes ont repris l’affaire, ils font d’excellents hamburgers.
Jack ajoute :
-Quoiqu’il en soit, j’ai ven­du mes dernières maisons en Angleterre et nous avons acheté en Afrique du Sud.
-Jack, la dernière fois que je t’ai vu, il y a six ans, tu as dit la même chose. Tu  en as encore beau­coup de ces maisons ?
Il avoue qu’il lui en reste quelques unes, puis déplie une servi­ette et trace pour Gala une carte de la pointe de l’Afrique.
Onze heures de vol pour Johan­nes­burg, une heure et demi de volé interne, enfin, six cent kilo­mètres de route… 
- Quand est-ce que vous venez nous voir ?  

Bambou


Le pro­prié­taire de notre cabane à Toulouse n’est pas reparu. Quand nous par­tirons, nous déposerons la clef dans un cof­fre-fort. Arrivés il y a cinq jours, cela fait cinq jours que j’at­tends repar­tir. Gala n’est pas allée à Albi, elle n’a pas ren­con­tré son maître russe, la mairie ne l’a pas rap­pelée pour le loge­ment qu’elle a sol­lic­ité, c’est le qua­torze juil­let, puis ce sera le week-end. « D’ailleurs, dit-elle, tu as telle­ment cri­tiqué, que je n’ai même plus envie d’aller en ville ».  Et donc, instal­lée sur la ter­rasse du pro­prié­taire, de l’autre côté du rideau de bam­bous, devant un store fer­mé, elle pian­ote sur sa tablette, tan­dis que je fais du sport. J’emmènerais bien une tige de bam­bou pour en faire un bâton d’exercice mais je n’ai pas de scie.

Oeil

Être jeune, avoir l’oeil clair le matin.

Tombo


L’arbitraire divin dans la théolo­gie protes­tante de la grâce est d’abord un argu­ment con­tre la poli­tique con­fis­ca­toire de la hiérar­chie d’église. En soustrayant les con­sciences au marché des bonnes œuvres dont le per­son­nel religieux catholique fait com­merce, cette théolo­gie nou­velle inscrit l’individu dans une rela­tion privée avec Dieu qui favorise le libéral­isme. L’avènement d’une démoc­ra­tie fondée sur les actes et les paroles authen­tiques des indi­vidus plutôt que sur les juge­ments d’une minorité qui aurait un droit a pri­ori à déter­min­er le sys­tème des valeurs est immé­di­ate­ment lié à l’entreprise de réap­pro­pri­a­tion de Dieu par le Livre que promeu­vent les réfor­ma­teurs. Qua­tre siè­cles après ce boule­verse­ment con­ceptuel majeur, les dérives autori­taires qui affectent ces jours les dif­férents pays d’Europe sont tou­jours trib­u­taires de cette his­toire du schisme. Si la sor­tie de démoc­ra­tie que con­naît la France ne sus­cite pas plus d’opposition dans la pop­u­la­tion, c’est – entre autres – du fait d’un inachève­ment psy­chologique de la notion de lib­erté indi­vidu­elle. Pour la Suisse, c’est le con­traire : la dialec­tique de la lib­erté est pro­fondé­ment ancrée dans l’inconscient col­lec­tif, mais l’insuffisante prég­nance de l’histoire nationale qui lui est cor­réla­tive provoque chez les dirigeants une forme d’atonie cri­tique qui les amène a livr­er le pays au pre­mier pro­pa­gan­diste qui donne dans l’esbrouffe et les pos­tures d’empire.

Régime royal

Le roi de France reçoit le roi des États-Unis. Le pre­mier bal­lade son hôte à tra­vers le roy­aume — donc Paris — afin de prou­ver qu’il n’a rien per­du de son faste. Pour témoign­er de la bonne tenue de la gas­tronomie royale, il l’emmène manger dans le meilleur restau­rant de la cap­i­tale. Au terme de la journée, les moyens de presse monar­chiques van­tent “la par­faite entente des deux sou­verains”. La même presse annonce le lende­main aux sujets de toutes races et de toutes cul­tures que le roi de France va con­clure des con­trats avec son homo­logue le roi des États-Unis.