Davie et Jack, nos amis anglais de Gimbrède font route jusqu’à Toulouse. J’ai averti que c’était le quatorze juillet et qu’il y aurait foule au centre. Au téléphone, je m’inquiète : ils veulent savoir s’il y aura des feux, ce pain pour les pigeons. Gala se rebiffe. Comble de chance, ils annoncent qu’ils descendent dans un hôtel proche de la gare. Ainsi, nous n’avons qu’à marcher (en fait prendre le bus, Gala ne marche plus), pour les rejoindre devant la Halle aux grains. Six ans que nous ne les avons vu. La dernière fois, je quittai Gimbrède à bord d’un camion de location rempli de mes meubles, sous la pluie, heurtais le toit de la station-service d’Astaffort avant de faire le plein du réservoir, roulait huit cent kilomètres dans des conditions de tempête pour être accusé un an plus tard par des gendarmes d’avoir jeté bas l’édifice entier, volé de l’essence et pris la fuite. Ce soir je leur raconte comment cela me valût de rejoindre les derniers temps la cure de l’église de Lhôpital que j’avais rénovée d’arrache-pied en rampant à travers la forêt à l’heure où la police relâchait sa surveillance. Jack nous fait de son côté la chronique de Gimbrède depuis notre départ. Les étrangers – c’est-à-dire ceux qui ne sont pas nés au village, mais on peut aussi l’entendre ainsi : « ceux qui ont les moyens de choisir leur lieu de vie » — sont repartis. Ils ont laissé derrière eux les maisons qu’ils ont retapées. Avant leur venue, le village menaçait de s’effondrer. Désormais rebâti, il est à demi-fantôme. Les Français qui s’y sont installés ont fait construire des pavillons de contreplaqués sur des terrains déclassés par le maire. Sachant mes amis anglais peu regardant sur l’esthétique, je me retiens de dire que c’est une des raisons qui m’a poussé à quitter le Gers, cette destruction du patrimoine visuel.
-For us, conclut Jack, France is the past.
Et de m’expliquer leurs derniers déboires, la bataille rangée que mène l’une des familles du cru pour les chasser du village après leur avoir vendu les bâtiments qu’elle s’était accaparée dans les années 1950 et l’obligation de restaurer selon les normes historiques la Commanderie, édifice lourd et moyenâgeux qui a autant de charme qu’un pâté de sable (la mairie à autorisé en face l’édification d’un atelier de véhicules dont la façade est de pastique bicolore).
Mais il y a une bonne nouvelle, corrige Davie. Est-ce que je me souviens du bistrot de la place, dans le chef-lieu voisin ? Trois jeunes ont repris l’affaire, ils font d’excellents hamburgers.
Jack ajoute :
-Quoiqu’il en soit, j’ai vendu mes dernières maisons en Angleterre et nous avons acheté en Afrique du Sud.
-Jack, la dernière fois que je t’ai vu, il y a six ans, tu as dit la même chose. Tu en as encore beaucoup de ces maisons ?
Il avoue qu’il lui en reste quelques unes, puis déplie une serviette et trace pour Gala une carte de la pointe de l’Afrique.
Onze heures de vol pour Johannesburg, une heure et demi de volé interne, enfin, six cent kilomètres de route…
- Quand est-ce que vous venez nous voir ?