Mois : novembre 2016

Algérien

Mon col­lègue algérien me dit: “chez nous, quand un étranger vio­le, on le ren­voie chez lui… dans un cer­cueil”. Nous faisons autrement en Europe: nous impor­tons des étrangers et nous les met­tons en con­di­tion de vio­l­er. Une poli­tique nataliste.

Parage

Ce débat lanci­nant, au repas, à l’apéri­tif, le soir, au petit-déje­uner: où allons-nous vivre? Gala proteste qu’elle n’aime pas enten­dre l’es­pag­nol, que les gens d’Es­pagne sont dépourvus de curiosité, qu’il n’y a rien à faire… Mais quand je demande où elle veut aller, elle se tait. Elle évoque la Suisse, je refuse. La France? Qu’on ne me par­le pas de cette société en proces­sus de liq­ui­da­tion! Alors l’Alle­magne? Pour Gala veut dire Munich. Parce qu’on peut y faire du vélo à plat et que les bavarois sont cor­diaux. Une fois de plus, me voici donc devant l’or­di­na­teur, tri­ant des offres d’ap­parte­ments. Obergiesing, Berg Am Laim, West-Schwabing. Sur­face de l’ap­parte­ment? 60, 70, 80 m². Trop petit. Quand c’est assez grand, trop cher. Quand c’est à la bonne taille, au juste prix, la loca­tion est de six mois min­i­mum. Nous cher­chons alors dans les mon­tagnes. En Haute-Savoie. Et qu’y voit-t-on? Des vil­la­geois qui ont investi à la va-vite dans des archi­tec­tures médiocres pour touch­er une rente à bon compte. Ou alors de bon gros chalets de madri­ers dans leur jus — à prix d’or. La vérité est que je ne veux aller nulle part. Qu’on me donne un endroit avec du bon air, des arbres, une vue, du soleil, peu d’hommes et aucune société.

Noria 3

Aux enfants j’ai remis le ques­tion­naire que j’avais pré­paré l’an dernier pour de jeunes amis de Fri­bourg. Une demande de com­men­taires por­tant sur la per­cep­tion de l’en­vi­ron­nement. “A quelles choses t’in­téress­es-tu quand tu march­es?” “Est-ce que tu entends les sons de la ville?” “La ville est-elle quelque chose de vivant (qui change, des immeubles appa­rais­sent, dis­parais­sent…)?” Des répons­es amu­santes. “Com­ment te représentes-tu l’e­space autour de toi?” Luc répond: des murs. “Au-delà de la ville où tu habites, te représentes-tu le pays, le con­ti­nent, la planète?” Aplo: Non, absol­u­ment pas. Ou encore: “Quelle appréhen­sion (approche, sen­ti­ment…) as-tu des per­son­nes avec qui tu partages cet espace (les autres pié­tons)?” Aplo tou­jours: Rien, je ne les con­nais pas, ils ne me con­nais­sent pas.

Noria 2

Les dia­logues et les sit­u­a­tions vien­nent spon­tané­ment, pas les per­son­nages. Je peine à com­mencer par les per­son­nages. Ils ne m’in­téressent que pris au piège des sit­u­a­tions ou for­cés au dia­logue. Comme je descendais à la plage pour y faire une prom­e­nade utile (Gala m’ayant reproché de sor­tir seul, j’ai expliqué qu’il s’agis­sait de résoudre une ques­tion de tra­vail), c’est-à-dire obtenir une ébauche des faits à racon­ter, il m’a donc fal­lut tranch­er: allais-je écrire, ain­si que je le fais tou­jours (ce qui marche plus ou moins bien), à la pre­mière per­son­ne ou, ain­si que je le fais par­fois (ce qui marche plutôt mal que bien), à la troisième per­son­ne? Mais je retombais sans cesse sur ce sen­ti­ment lié à ma faible capac­ité de pro­jec­tion: com­ment par­ler avec con­vic­tion de choses vécues à la troisième per­son­ne? Et puis toute la vision para­noïaque du per­son­nage (qui dans les deux cas sera mon alter ego) se développe à par­tir de son obser­va­tion à la jumelle, de l’in­térieur de son apparte­ment, de l’hô­tel par­ti­c­uli­er bâti de l’autre côté de la rue. En même temps, je voy­ais bien les con­traintes qu’ex­ercerait sur le cours des événe­ments le réc­it à la pre­mière per­son­ne. Le risque du solip­sisme. Après avoir marché une demi-heure dans le sable, il a fal­lut s’asseoir. Ces ques­tions doivent être tranchées dans la posi­tion assise. Ce qui a emporté la déci­sion est la crainte de me retrou­ver, comme cela s’est pro­duit en d’autres occa­sions, face à des per­son­nages qui ne m’in­téressent plus. Obligé dès lors à pour­suiv­re mécanique­ment ou renon­cer à achev­er le réc­it. Et donc va pour le réc­it à la pre­mière personne! 

Noria

J’ai réu­ni les car­nets de notes et recopié les pas­sages con­cer­nant Noria. L’idée de ce réc­it est déjà anci­enne ce dont témoigne le peu de liens entre les notes. Cha­cune donne une piste, mais ces pistes sug­gèrent des direc­tions con­tra­dic­toires. Il y a d’abord la mal­adie de la désori­en­ta­tion, le Gor­mi­ti. Les jeunes en sont affec­tés, puis toute la pop­u­la­tion. Il y a ensuite le motif prin­ci­pal, la Noria. Il tient à une vis­ite faite il y a vingt ans de la ville de syri­enne de Hama où dans un canal tourne un sys­tème de roues à godets. Ces norias — de bois, noires, ruis­se­lantes, infin­i­ment mobiles, un pure image —  ren­con­trent la théorie de l’éter­nel retour de Niet­zsche. Ensem­ble, elles ren­voient à à la logique de répéti­tion, à la fausse dif­férence, à l’il­lu­sion . Ce qui ne fait pas un réc­it. A quoi s’a­joute la notion de “roue qui tourne”, au sens où l’on con­stat­erai devant des change­ments irrémé­di­a­bles:
- Oui, la roue tourne!
Enfin, j’ai ces deux cent pho­togra­phies de l’hô­tel par­ti­c­uli­er que j’aperce­vais de la fenêtre de mon apparte­ment du Guintzet, à Fri­bourg. Clichés pris à toute heure, en toute sai­son, de jour comme de nuit.

Monotonie

Jours monot­o­nes entre deux saisons. C’est le régime le plus favor­able à la pen­sée. Encore faut-il que cette monot­o­nie ait quelque chose de mécanique; alors l’e­sprit libéré du corps ne ren­con­tre plus d’ob­sta­cles devant ses pra­tiques. Il emploie le temps disponible à éten­dre son domaine. Portée à son comble, la monot­o­nie dis­sout les repères pesants du quo­ti­di­en. Que les moines pris dans les tur­bu­lences de la guerre que se livrent les hommes aient con­tin­ué de prier lorsque les glaives s’a­bat­taient ne sur­prend pas. Ces batailles tem­porelles venaient d’un autre monde. Cepen­dant, la plu­part des hommes ont de la monot­o­nie une pra­tique triste qui s’ap­pelle la rou­tine. Répéti­tion de séquences dont la régu­lar­ité effraie et l’ir­régu­lar­ité fatigue; sans cesse il faut être en éveil devant des événe­ments qui offrent peu de récompense.