Mois : novembre 2016

Ordre

Ces avions dans lesquels nous somme alignés, cein­turés, par­qués. Ces trains rapi­des, mais bondés: un trans­port de masse pour de zom­bies. Ces plate­formes d’échange citadines que tra­versent des corps cat­a­pultés. Com­ment en est-on arrivé à des sit­u­a­tions de rou­tine aus­si dégradantes? A l’in­stant, attablé dans mon bureau de Lau­sanne, je lis dans un gra­tu­it tiré de la poubelle que le pro­jet d’in­staller entre les wag­ons et les quais des por­tiques de cir­cu­la­tion régis par un sys­tème de feu est à l’é­tude.
Il y a vingt-cinq ans, je suis arrivé par un bus de nuit à Sin­gapour. Le jour à peine levé, je dés­espérais. M’eut-on dit que ce mod­èle de dic­tature économique s’in­stallerait en Suisse, cela m’eut fait rire.

Veuve

Rêvé de la veuve blanche. Le pouce levé, elle se tient sur le bord de la route. Effrayé, j’ac­célère. La veuve se lance à ma pour­suite. La voiture peine. La veuve cherche à accrocher la por­tière. Si elle l’ou­vre, je suis per­du. Je con­duis sans regarder la route. Un virage, un autre, je perds con­trôle, la voiture s’écrase dans un mur.
Noir.
Réveil­lé en sur­saut, je fixe l’hor­loge: dans une heure, je dois pren­dre le taxi pour l’aéroport.

Etats-Unis

Qu’est-ce qu’un empire? Une puis­sance matérielle. Quand il cesse d’être, son action per­dure. L’au­ra acquise pen­dant la péri­ode matérielle de son règne lui per­met de sur­vivre sur un plan sym­bol­ique. Fort de l’ac­quis, ses représen­tants en imposent encore au monde. Mais si la puis­sance matérielle, parce qu’elle est con­crète, ne se dis­cute pas, la puis­sance sym­bol­ique a son temps comp­té. Au moment où la puis­sance matérielle est détru­ite, le compte à rebours com­mence. Affolés, les représen­tants de l’Em­pire ten­tent de com­penser la perte de l’au­ra par l’a­gres­siv­ité. Réac­tion naturelle face à la mort.

Noria 4

Cou­ru 32 kilo­mètres sur les quais ce matin; rien de tel pour glan­er des idées lit­téraires. Le prob­lème est qu’à par­tir d’un cer­tain degré de fatigue, la mémoire résiste aux inscrip­tions. Ce d’au­tant plus que ces idées sont lit­téraires: en con­séquence, elles ne tien­nent qu’à la valeur des phras­es qui les expri­ment. Il faudrait retenir vingt à trente phras­es avec les mots dans le bon ordre. J’ai donc mis au point une mné­motech­nique: j’ex­trais de chaque phrase un mot clé et je ne mémorise que celui-là. A tâche pour lui de me ramen­er ensuite la phrase dont il est abstrait. De retour au vil­lage, traî­nant la jambe sur le dernier kilo­mètre, me voici à la tête d’une ritour­nelle: pot de cham­bre — barbe — trop gros — clef — trois langues nationales plus deux — boules de pétan­ques — déguise­ment — lait sans lactose.

Relativisme 2

La femme de ménage, de retour de Lon­dres où elle a ren­du vis­ite à sa soeur.
-J’ai adoré, mais tu sais… ils n’ont pas d’huile d’o­live les pauvres!

Relativisme

Un Espag­nol à qui vous deman­der le meilleur restau­rant , la meilleure boulan­gerie, le meilleur pois­son­nier. C’est le restau­rant, la boulan­gerie, le pois­son­nier le plus proche de chez lui. Ils sont meilleurs que tout autre parce qu’il les fréquente.

Style

Le style n’est que la maîtrise de moyens qui répon­dent à l’in­ten­tion esthé­tique; le style est absence de style.

Perfection

D’où vient cette nos­tal­gie de la per­fec­tion qui s’ex­prime dans des sen­sa­tions fugaces ou s’in­car­ne dans les fig­ures des rêves? Un instant, nous avons accès à l’u­nion mys­tique, à l’idéal féminin ou à la con­nais­sance absolue?

Vitesse

Selon la vitesse des change­ments, il y a his­toire ou poli­tique. A Paris, les bou­tiques de tailleurs du Sen­tier  cèdent la place à des ate­liers de con­fec­tion rapi­de, puis à des grossistes; peu à peu la zone réservée à la pros­ti­tu­tion gagne du ter­rain, il y a his­toire. L’ensem­ble des restau­rants d’un quarti­er des faubourgs de Glas­gow est fer­mé pour faire place à un cen­tre com­mer­cial, il y a poli­tique. Com­ment qual­i­fi­er la vitesse de change­ment qui affecte nos sociétés?

Déchaînements

Les grands déchaîne­ments de vio­lence sont dû au refus d’af­fron­ter la réal­ité ou, ce qui revient au même, à l’ac­cep­ta­tion de principes con­tre-nature. L’ac­cu­mu­la­tion de frus­tra­tion qui découle de ces atti­tudes déclenche puis ali­mente les vio­lences. Leur direc­tion poli­tique ou sociale est sec­ondaire, elle n’est que ratio­nal­i­sa­tion a posteriori.