Mois : avril 2016

Danse


Pense con­tre toi-même : tu devien­dras un pan­tin dont la forme et la posi­tion dépen­dent des forces et des pres­sions extérieures.

Différence


Mon­tesquieu n’aura pas vu la Révo­lu­tion. Comme lui, nous dis­paraîtrons avant que n’éclose dans des mou­ve­ments le change­ment de par­a­digme dont nous avons tous les jours le sen­ti­ment du progrès.

Reconquête


Voilà dix ans que je passe une par­tie de mon temps à con­quérir et recon­quérir ma femme et, que je sache, je ne fais rien pour le per­dre ; elle s’éloigne ; pour s’éprouver plutôt que pour m’éprouver.

Population nocturne


Lun­di, j’avale un som­nifère. Du pont de bateau, j’assiste aux pré­parat­ifs d’une bande de vam­pires prêt à con­duire une attaque. Hier, j’avale le même som­nifère et fais le même rêve, mais d’un point de vue dif­férent : une maquilleuse me grime de noir en exposant mon vis­age au pot d’échappement d’une moto puis me bar­bouille de cica­tri­ces. Elle m’ordonne alors de rejoin­dre les vam­pires du quai. 

De l’invasion


Le prob­lème de l’immigration, me dit-on, c’est que les gens d’ici ont peur. Ils nient, ils se taisent, ils agis­sent con­tre leur intérêt. Soit. Je dirais plutôt que ceux qui n’ont pas peur font tout ce qui est en leur pou­voir pour instru­men­talis­er cette peur à des fins économiques.

Chalet


Les enfants sont réap­parus ven­dre­di. J’ai quit­té l’arrière-boutique. H. me fait remar­quer que je ne peux pas couch­er Luv dans le cof­fre de l’utilitaire, que c’est inter­dit, que la police veille, que c’est à mon risque. « Vas‑y ! » Luv se glisse entre les valis­es et les sacs de com­mis­sion. Avant de pren­dre l’avion pour Madrid où il court le marathon, Mon­frère m’explique com­ment nour­rir les lap­ins, enfer­mer les poules, ali­menter le poêle. Nous grim­pons en direc­tion du chalet lorsque la pluie com­mence de tomber. Pen­dant deux jours, elle tombe. Dimanche, lorsqu’elle s’arrête, un ray­on de soleil illu­mine le champ puis il se met à neiger. Les flo­cons volent, mon­tent et descen­dent. Les poules picorent du risot­to et des tartines, rejet­tent les feuilles de poireau. Aplo tire au fusil, Luv lit la poésie de Rim­baud, je lis la poésie de Bukows­ki et me demande ce que c’est, je boxe dedans, puis sur la ter­rasse, par zéro degré et tombe malade. La nuit, une fouine attaque. Je la chas­se, elle revient, court sur le toit, cogne aux vit­res. Lun­di, nous apprenons qu’après notre départ, le voisin a oublié d’enfermer le cou­ple de lap­ins : Madame a disparue.

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Exis­tence : manière de faire pass­er le temps.

Sentiment


Sen­ti­ment étrange de ne pou­voir résumer ce que je fais lorsqu’une con­ver­sa­tion de cour­toisie exig­erait qu’on le fît. A quoi s’ajoute la ques­tion des horaires. Mes inter­locu­teurs boivent et man­gent car il est l’heure de boire et de manger. Non qu’ils con­sul­tent leur mon­tre (juste­ment, ils ne la con­sul­tent pas), ils savent quand il va être l’heure de se retir­er, quand il le faut, quand il est trop tard. De sorte que je me retrou­ve soudain seul, sur le bord de la Sarine, avec le feuil­lage et la nuit, cher­chant ce que je pour­rais bien faire. Réfugié dans l’arrière-boutique, je me demande com­ment je pour­rai faire pour n’avoir pas à en sor­tir avant de repren­dre l’avion pour Por­to, jeu­di prochain. 

Départ


Ce matin, départ pour Genève. Aplo et moi quit­tons l’appartement à six heures. Le vil­lage dort. C’est à peine si des voitures cir­cu­lent. D’ailleurs, j’ai mal lu l’horaire. Le pre­mier bus ne passe que dans trois quarts d’heure. La veille, nous sommes ren­trés à minu­it de l’entraînement. Séance dou­ble, Vic­tor rat­tra­pait un con­gé ; après le cours réguli­er ne restent que six forts en mus­cles, l’assistant et le Russe. Les exer­ci­ces sont mil­i­taires : ram­per au sol avec une plaque de 10 kg, saisir une barre à 2,20 mètre, se hiss­er à hau­teur de men­ton puis de poitrine (je n’y arrive pas), tra­vers­er la salle ven­tre au sol en faisant vingt pom­pes revenir en grenouille. Si l’on ajoute les 25 kilo­mètres de vélo le long des quais pour se ren­dre au club, je vois pourquoi, ce matin, sur ce banc d’abribus, je suis ver­moulu. Aplo branche sa musique. Les pre­miers ouvri­ers arrivent, des femmes. A l’aéroport, j’emprunte le rac­cour­ci des chapelles : de la bouche de métro, il per­met d’atteindre le pas­sage des douanes sans tran­siter par ces demi-étages où le com­mun des voyageurs se perd : le clochard du mois de févri­er est tou­jours instal­lé dans son lit de car­ton, der­rière son cad­die. Son ordi­na­teur recharge. Avant le décol­lage, je m’écroule, assom­mé. Quand je me réveille, l’avion sur­v­ole Genève et le cap­i­taine annonce un atter­ris­sage avec trente min­utes d’avance. J’ai l’impression d’avoir ouvert une porte côté espag­nol, glis­sé sur un tapis roulant et de me trou­ver là, avec Aplo, devant le train qui l’emmène à Satigny. A Lau­sanne, je me réfugie dans l’arrière-boutique et je dors. A la tombée de la nuit je suis sur les bor­ds de la Sarine, à Fri­bourg, j’écarte les feuilles des buis­sons. S me colle une bière dans la main, nous con­tournons un feu, elle me présente les invités. 

Vieillesse

Zyg­munt Bau­man remar­que avec ironie que les années que les pro­grès de la médecine ajoutent à la vie s’a­joutent en fin de vie; ils pro­lon­gent la vieillesse.