Mois : novembre 2015

Anniversaire

Parce que Gala a le sens des fêtes, nous avions imag­iné pour ce jour d’an­niver­saire toutes sortes de lieux. Me plai­sait d’abord pour mes cinquante ans d’imag­in­er le moins pos­si­ble et de n’or­gan­is­er rien. L’auberge de Val d’Abon­dance con­ve­nait bien; elle est en France bien sûr, mais quoique belle et lux­ueuse, elle n’est qu’une auberge et proche de l’In­ter­nat d’Ap­lo. De plus, nous auri­ons dor­mi dans le même bâti­ment. Une fois con­staté que tout était réservé et que les bons restau­rants de la val­lée, en cette péri­ode qui précède les vacances de neige, étaient fer­més, j’ai envis­agé à mon corps défen­dant des solu­tions com­pliquées, mieux vaut dire aber­rantes: tables classées sur le lac d’An­necy, le lac Léman, et je ne sais quel autre lac. La corvée que représen­tait le pas­sage de fron­tière, la con­duite de la voiture, la pré­pa­ra­tion des ren­dez-vous, gâchait d’a­vance les réjouis­sances. Fri­bourg avait ma faveur. M’eut-on pro­posé le meilleur restau­rant de France, j’au­rai choisi Fri­bourg. Entre temps, les atten­tats de Paris venaient encore com­pli­quer la cir­cu­la­tion en France. Par hasard, nous avions vu juste. Nous voici donc à l’hô­tel, à quelques mètres de l’ap­parte­ment où ne traîne plus qu’un mate­las et la machine à café. Neu­vième étage, vue sur le monastère de la Maigrauge. Nous nous habil­lons. Du frigidaire de la cham­bre, je tire une bouteille de bière. Puis un autre et une troisième. Mon­père, bien que généreux, dédaig­nait ce type de facil­ités. A l’hô­tel, jamais nous ne tou­ch­ions au con­tenu des frigidaires. Ain­si ai-je le sen­ti­ment de m’au­toris­er une luxe. Mais ce dont je me réjouis plus que tout est de descen­dre jusqu’au pont de Zaehrin­gen à pied. Gala veut m’en dis­suad­er. J’ai l’a­van­tage: c’est mon anniver­saire. Et nous voici, Aplo et moi, marchant dans le brouil­lard. Grands-Places, Georges-Python et la rue de Lau­sanne, puis la Grand-Rue. Gala et Luv arrivent en taxi. Déjà instal­lés, nous les recevons à table. Et à minu­it, au pub, en face de l’hô­tel, deux cent per­son­nes suiv­ent le cham­pi­onnat du monde des poids lourds. Nous prenons place pour suiv­re les derniers rounds.

ECB

Belle course Ouchy-Saint-Sulpice-Ouchy, puis Saint-Sulpice et Ouchy. Le temps de pren­dre une douche au mag­a­sin, je retourne sur les quais à vélo et me fait prêter deux poêles, con­fec­tionne deux tor­tillas. Mamère s’é­tonne de ma recette. Je la tiens de Pilar. En 1987, à Valde­peñas, elle a expliqué qu’il fal­lait vers­er les patates dans le mélange d’œufs et pas l’in­verse. Le soir, dans l’ar­rière-bou­tique, Gala rem­plit un sac à dos de médica­ments. Je déballe le nou­veau livre, Ecri­t­ure. Bière. Combat.

Derniers pas

Derniers pas dans la ville de Fri­bourg. Mais dans toutes les direc­tions. Car pen­dant que je finis de net­toy­er le kiosque, monte le bureau d’af­fichage, cherche à obtenir une ligne télé­phonique, fait ma valise pour l’Asie, fait ma valise pour Mala­ga, pré­pare la lec­ture de jeu­di prochain, il faut traiter des devis, dis­tribuer le tra­vail aux employés, débarass­er la palette de mag­a­zines déposée à mon ancien domi­cile, assis­ter aux cours de Krav Maga et pré­par­er le marathon du 6 décem­bre.
En fin de journée, je suis à Lau­sanne. La tem­péra­ture est clé­mente. Le ciel est nuageux, mais les nuages sont dorés, le soleil n’est pas loin. Afin de récupér­er une paire de chaus­sures de course, je veux accéder à ma cham­bre. C’est impos­si­ble. La porte de l’ar­rière-bou­tique est obstruée. Je déplace un bib­lio­thèque. Cela ne suf­fit pas. Je la sors. Un autre bib­lio­thèque me barre le pas­sage. Puis un amon­celle­ment de chais­es. Trois heures de tra­vail. En avançant de pro­fil, je peux attein­dre le lit. 

Déménagement 4

La galerie du bunker est acces­si­ble par un escalier et deux ascenseurs. L’un des deux est en panne. Celui qui jouxte la porte d’en­trée du dépôt. Les Hon­grois por­tent. Il neige. Ils sont en T‑shirt. Journée froide, bleue, grise. Des trains de marchan­dise défi­lent devant la mon­tagne. Un voisin sort, ouvre sa voiture, la referme. Passe lente­ment. S’in­téresse aux démé­nageurs, aux plaques du camion, à Zara. Croise mon regard, presse le pas. Le film du dimanche. Un salon sur­chauf­fé. Les dernières heures du week-end, puis le tra­vail, le lun­di. Voilà ce qu’évoque l’at­mo­sphère de ce locatif face au bunker. En sous-sol, Mon­père théorise sur la façon d’in­tro­duire les car­tons de livres, le canapé, la liseuse, les lam­pes et les chais­es, des les ranger sans con­damn­er la cir­cu­la­tion. Car il doit avoir accès à ses objets, cer­tains par­mi les plus étranges: yata­gan, boud­dhas incrustés, mous­que­tons, psautiers. Je me hisse sur une étagère fédérale.
- Atten­tion à la porce­laine chi­noise!
Il ne plaisante pas. Sur les genoux, à deux mètres cinquante, je tends les bras. Un à un, je monte les car­tons, les empile, descends les bibelots.
- Tiens, les mocassins du sul­tan! Zara!
Elle passe une tête dans la porte du bunker.
- Regarde ce que j’ai trou­vé, se réjouit Mon­père, les mocassins!
Elle fait signe que non, elle ne se sou­vient pas.
- Mais oui, enfin, le sul­tan!
Puis, comme je prends appui sur une caisse pour descen­dre.
- Tu sais ce que c’est? Une cab­ine télé­phonique. Swiss­com l’avait instal­lée au cen­tre de La Havane. Mais jamais un Cubain n’y a mis une pièce.
Plus tard, désig­nant une fresque.
- Dix-huitième. Grand prix de l’a­cadémie en 1768. L’am­bas­sadeur de France en a fait cadeau aux autorités mex­i­caines. Elle était dans les col­lec­tions du musée. Trop cher à restau­r­er. Tu n’as pas un acheteur?
Les car­tons amon­celés, nous jugeons du résul­tat. Au-dessus des étagères, une muraille. A mon tour de soulever, de porter, de déplac­er. Mais d’abord, d’ex­traire. Mon­père fait emporter à Budapest des meubles, rien à redire, et des objets incon­grus: un tube, un pied de con­sole, un morceau de miroir. Afin que Zara traduise au gail­lard, il crie:
- Mai­son de cam­pagne.
Et si Zara récrim­ine.
- Non, non! Pas à l’ap­parte­ment. Mai­son de cam­pagne!
Puis j’en­tends:
- Imbé­cile!
Les bras sur les hanch­es, Mon­père fait traduire:
- Ce sont des imbé­ciles, voilà! Dis-leur!
L’aîné des démé­nageurs a refer­mé der­rière lui la porte des toi­lettes. Or, il n’y pas de clef. Ou du moins, Mon­père n’en a pas. Zara essaie la poignée.
- Inutile, c’est foutu! Et, voilà!
Les démé­nageurs repren­nent leur déam­bu­la­tion lorsque Zara appa­raît encadrée de deux noirs, des jumeaux. Les cheveux ras, l’œil vif, habil­lés chic, ils exhibent un clef en souri­ant, leur clef.
L’af­faire des toi­lettes résolue, ils nous font pass­er par des couloirs:
- Vous ne saviez pas? Nous sommes aus­si dans le bunker.
Et der­rière une porte atom­ique, nous trou­vons un stu­dio d’en­reg­istrement. Con­sole bril­lant de tous ses feux, écrans plats, moquette anthracite, bar privé, sofa, bil­lard.
Prêts à repar­tir, les Hon­grois nous remer­cient chaleureuse­ment. Le plus jaune prie alors Zara de me féliciter pour le T‑shirt que je por­tais la veille à Fri­bourg: PEGIDA Schweiz.

 

Déménagement 3

Zara rac­croche:
- Tout va bien!
Il est 19h00. Je sers de la bière. La neige con­tin­ue de tomber.
- Ici, dit Mon­père, pas autour du bunker. Ni à Genève.
Zara con­firme:
- Ils n’ont pas par­lé de neige.
A dix heures, le camion revient. Les gail­lards pren­nent place autour de la table. Puis ils sor­tent fumer. Et attaque­nt le gros du démé­nage­ment: cinquante car­tons de livres, toute la bib­lio­thèque de loisir. Les autres livres, ceux que j’u­tilise, sont déjà à Lau­sanne, dans l’ar­rière-bou­tique. Soudain, je remar­que le jeune. Il a un air hilare.
- Il pen­sait qu’il aurait à ren­dre les chaus­sures à la fin du tra­vail, explique Zara.
La nuit avance. Les gail­lards se relaient. Ils sor­tent le canapé. Deux morceaux. Car­rés, épais, noir. L’un de qua­tre mètres.
Ces his­toires de canapés! Le pre­mier que j’ai acheté, en 2000, à Boé, près d’A­gen, n’en­trait pas dans la mai­son. Les livreurs — une femme, un homme — se tenaient sur la place du vil­lage et admi­raient la façade en colom­bages:
- Ma foi, à l’époque, les canapés n’ex­is­taient pas.
- Et puis, aus­si, on était plus petit, dit la femme.
Dans l’ur­gence, j’ai imag­iné démon­ter la porte prin­ci­pale. Puis j’ai trou­vé la solu­tion. Hiss­er le canapé sur le toit, le pass­er à tra­vers le Velux. Tout cela, sans pren­dre les mesures. Voici le canapé enfon­cé dans le Velux. Les livreurs, à genoux sur les tuiles, poussent. De l’in­térieur, je crie: “on y est presque!” Un cen­timètre! Le canapé a un cen­timètre de trop. Je rabote le cen­timètre au couteau et le canapé tombe à l’in­térieur de la mai­son. Quinze ans plus tard, j’imag­ine qu’il y est tou­jours. Superbe canapé; mais com­bi­en de fois me suis-je assis dessus?
Plus tard, à Lhôpi­tal. Un canapé pris à Genève, chez Emmaüs. Coussins ton sable, faux cuir, design incurvé. Bout à bout, sept mètres. Trans­porté en BMW, cof­fre ouvert. Trois, qua­tre, six voy­ages. Que je sache, je ne me suis jamais assis dedans. Celui-là aus­si, resté dans la mai­son.
Aus­si ai-je décidé de sauver ce dernier canapé. Celui de la rue Jean-Gam­bach. Celui que les Hon­grois trans­portent sur la tête, suant pour pren­dre le virage de la cage d’escalier. Mais en atten­dant de le sauver, je le stocke, je l’en­voie au bunker. Mon­père à son idée: le dress­er au-dessus des étagères fédérales et l’ap­puy­er con­tre le mur.
A minu­it, nou­veau pique-nique. Puis nous allons nous couch­er. Mon­père et Zara dans notre cham­bre à couch­er, sur des mate­las jetés à terre, moi dans mon bureau. Les démé­nageurs repren­nent le tra­vail. Le lende­main, à huit heures, je les trou­ve attablés devant un autre pique-nique. Le jeune boit un demi-litre de bois­son énergé­tique. A quelle heure ont-ils fini? 4h30. Zara les a dis­suadé de descen­dre au bunker pour le décharge­ment. Ils ont fait appel­er leur chef à Budapest pour qu’elle les excuse. Elle a expliqué: ce n’est pas de leur faute. Eux étaient prêts à finir le tra­vail puis à pren­dre la route, 1400 kilo­mètres par l’Autriche.

Déménagement 2

Le camion garé rue Gam­bach con­tient des meubles de Budapest. Ils seront être remisés dans le bunker de même que la moitié du con­tenu de mon apparte­ment. L’autre moitié va à Lau­sanne, dans le mag­a­sin de bro­cante qui sert de bureau d’af­fichage: j’in­stalle une cham­bre dans l’ar­rière-bou­tique. Mais il y a aus­si des meubles en attente dans le bunker: ceux-ci par­tent pour Budapest. Enfin, il y a les affaires que les enfants empor­tent à Genève, chez Olof­so.
Mon­père et Zara jugent mes pré­parat­ifs insuff­isants. J’ai répar­ti les car­tons par des­ti­na­tions et par pièces, quant aux meubles, je les ai lais­sés en place, et sur les meubles, toutes sortes d’ob­jets. Mon­père s’emploie donc à éti­queter. Devant chaque car­ton, lampe, chaise, fourchette, il demande:
- Et ça?
Puis accroche une feuille de papi­er sur laque­lle il indique Bunker, Genève, Lau­sanne, Hon­grie. Sous les ordres de Zara, les démé­nageurs démé­na­gent. Trois semaines qu’il n’a pas plu — il pleut. L’im­meu­ble est en retrait de la rue. A l’époque, il devait exis­ter un sec­ond immeu­ble. Il se sera effon­dré. La par­celle sert aujour­d’hui de jardin. C’est ce jardin de cinquante mètres que les démé­nageurs ont à tra­ver­sé pour rejoin­dre la rue. Du bal­con, nous sur­veil­lons l’a­vance­ment du tra­vail, posons des éti­quettes, coupons du pain, pré­parons des sand­wich­es. Olof­so appelle: elle pren­dra volon­tiers le mate­las dans lequel Arto dort, mais sans le lit (un mod­èle rus­tique de fonte et de bois acheté au vide-gre­nier de Layrac dans le Sud-Ouest; le marc­hand nous ayant remis un faux som­mi­er était venu dîn­er à la mai­son pour s’ex­cuser; j’au­rais dû savoir, avait-il dit, puisque je suis né dans ce lit). La cham­bre des enfants manque de place, explique Olof­so. J’in­siste. Elle fait val­oir qu’elle a acheté un lit. Quel lit? Il y a deux ans, un lit. Ikea? Mais non. J’in­siste. Oui, Ikea. Mon con­seil: le jeter puis, au besoin, racheter. Elle se vexe. Que l’on mange du surgelé et vive dans des meubles en pous­sière, soit, mais que l’on con­fonde avec de la nour­ri­t­ure et des meubles… A mon habi­tude, je réponds: c’est tout ou rien. Et je change la des­ti­na­tion du lit. Au som­mi­er j’ac­croche l’é­ti­quette Bunker. Cepen­dant, les Hon­grois maque­nt un pause. Ils tarti­nent du fro­mage blanc sur d’é­paiss­es tranch­es de pain, man­gent sucré, salé, boivent chaud et froid, refusent une bière, se relèvent, déci­dent qu’ils ont encore faim et ter­mi­nent le jam­bon. Le plus jeune (déjà venu en 2012 pour l’emménagement) demande si j’ai tou­jours mes armes. Il aimerait les manip­uler. Mais le temps presse. Je reprends place sur le bal­con. Zara donne ses instruc­tions en Hon­grois. Puis un prob­lème survient. La bas­kette du plus jeune est éven­trée. Il la con­sid­ère. Dépité, il la jette à la poubelle. Affirme aus­sitôt qu’il con­tin­uera pieds nus. Dehors, il neige. Les sacs de 110 litres rem­plis d’af­faires à don­ner con­ti­en­nent plusieurs paires de chaus­sures. Zara pioche. Elle apporte un paire de Fila rouges. Le jeune les passe.
- La poin­ture cor­re­spond?
- Si tu crois qu’il s’ar­rê­tent  ce genre de prob­lème, fait Mon­père.
Il est une heure. Le charge­ment se pour­suit. Ce qui m’in­quiète, c’est le traf­ic. Mon­tre en main, debout dans la neige, nous faisons des cal­culs. Le temps de descen­dre à Lau­sanne, de rem­plir l’ar­rière-bou­tique, de gag­n­er Genève…
- Ils seront blo­qués au retour!
Nous descen­dons au restau­rant uni­ver­si­taire de Mis­éri­corde. Mon­père com­mande une salade et un potage.
- C’est tout ce que tu prends? lui dis-je.
Aus­sitôt m’a-t-il souhaité bon appétit, il me reprend:
- Mange moins vite, tu vas te faire mal!
Au retour, nous trou­vons les Hon­grois adossés au camion; ils fument et plaisan­tent. Peu après, le camion démarre. J’ai quelques heures devant moi: je rassem­ble bal­ai, ser­pil­lère, aspi­ra­teur et déter­gents et me rends au kiosque à jour­naux de la rue du Jura. La Ville me le loue dans l’é­tat con­tre une pre­mier mois de loy­er offert. Notre futur bureau d’af­fichage à Fri­bourg: huit mètres car­rés en forme de T. Au fond du couloir, une toi­lette — je décrasse. Dans le couloir, un lavabo — je chif­fonne. Autour de l’éven­taire, où la vendeuse juchait, des étagères. Sur les unes, des présen­toirs munis de ressorts où acha­lan­der les cig­a­rettes — je démonte — les autres sont com­par­ti­men­tées, choco­lat, chew­ing-gum, bon­bons, bri­quets — je démonte. Puis je fais les achats en super­marché. Les mêmes que la veille, pour la suite de l’opéra­tion: saucis­son, fro­mage, con­fi­ture, yoghourts, de quoi pré­par­er le prochain pique-nique des Hongrois.

Déménagement

Huit heures du matin, mon sac est prêt, j’al­lume la radio: il n’est ques­tion que des atten­tats qui ont eut lieu dans la nuit à Paris. J’ai ren­dez-vous en début d’après-midi à Mar­seille pour une lec­ture de Cas­sa­tions - j’an­nule. Mon édi­teur, instal­lé en Nor­mandie, voy­ageait la veille. Blo­qué par les mil­i­taires à la gare de Lyon Part-Dieu, il est resté sur les quais pen­dant trois heures avec quelques mil­liers d’autres pas­sagers. Il com­prend. Il se débrouillera. Quand il n’écrit pas de la poésie, il est ingénieur astro­nau­tique, il lance des satel­lites. Ses mis­sions l’amè­nent en Afrique. “C’est un drame, me dit-il, le con­ti­nent est en dan­ger, tout s’ef­fon­dre. En quar­ante ans, je n’avais jamais us pareille détresse!” J’éteins la radio, cache le télé­phone sous le canapé du salon, me recouche. Au réveil, même soleil éblouis­sant. Je com­mence les car­tons du démé­nage­ment. Pou­voir rester ici, à Fri­bourg, plutôt que de m’embarquer pour Mar­seille, me réjouit. Bil­lets d’hô­tel et de train, plan de voy­age et adresse de la librairie, tout passe à la poubelle. Je déplie un pre­mier car­ton, le con­solide avec du scotch. Récupéré rue du Criblet, dans la zone com­merçante, il a con­tenu des crus­tacés importés de Da-Nang. Les Pré­socra­tiques, Horkeimer, Slo­ter­dijk; je le rem­plis de livres. Puis j’aperçois une crevette. Petite, sèche mais odor­ante. Machine arrière, je ressors les vol­umes, chif­fonne les cou­ver­tures, remets en bib­lio­thèque. Puis je jette le car­ton par-dessus la balustrade du bal­con, en choisit un autre, pris der­rière Délifrance celui-là. Je le véri­fie et recom­mence l’opéra­tion: Les Pré­socra­tiques, Horkeimer… A midi, trois étagères sont vides. C’est l’heure du jour­nal. Cent-vingt morts.
Deux jours plus tard, je reçois C. Nous tra­vail­lons sur son man­u­scrit. Pornogra­phie et scènes de meubles. Le soir, Mon­père et sa femme Zara s’in­stal­lent dans notre cham­bre à couch­er. Zara rem­plit le frig­ori­fique de saucis­sons, de fro­mages, de yoghurts. Son télé­phone sonne. Elle répond en Hon­grois.
- Où sont-ils? Demande Mon­père.
- A Graz!
Puis, juste avant de se souhaiter bonne nuit:
- Apelle-les une dernière fois!
- Il sont encore à 400 kilo­mètres, dit Zara.
Je pré­pare trois lits dans la cham­bre des enfants, écoute une dernière fois les nou­velles de France.
A deux heures du matin, j’en­tends remuer dans le jardin. C’est Zara. En robe de cham­bre, chaussée de bottes de caoutchouc, un bon­net sur la tête, elle guide les démé­nageurs hon­grois. Leur camion blanc est garé devant l’école.

Préau

Une petite fille qui porte attaché au cou la pan­car­te “je suis un adulte”.

Industrie du temps libre

Si un film con­tient une idée. Une idée qui, à défaut de vous pour­suiv­re, sus­cite la curiosité et pro­duit un sem­blant d’éveil. Alors, il mérite d’être vu. Qui eut dit qu’un critère a min­i­ma tel celui-ci dis­qual­i­fierait un jour plus de la moitié de la production?

Chefs

Com­ment en est-on arrivé à avoir des chefs sans autorité ni car­ac­tère? Des chefs qui jamais ne déci­dent? Des élus sans com­pé­tences poli­tiques? Inaptes, dans l’ur­gence, à tranch­er en faveur des leurs?