La galerie du bunker est accessible par un escalier et deux ascenseurs. L’un des deux est en panne. Celui qui jouxte la porte d’entrée du dépôt. Les Hongrois portent. Il neige. Ils sont en T‑shirt. Journée froide, bleue, grise. Des trains de marchandise défilent devant la montagne. Un voisin sort, ouvre sa voiture, la referme. Passe lentement. S’intéresse aux déménageurs, aux plaques du camion, à Zara. Croise mon regard, presse le pas. Le film du dimanche. Un salon surchauffé. Les dernières heures du week-end, puis le travail, le lundi. Voilà ce qu’évoque l’atmosphère de ce locatif face au bunker. En sous-sol, Monpère théorise sur la façon d’introduire les cartons de livres, le canapé, la liseuse, les lampes et les chaises, des les ranger sans condamner la circulation. Car il doit avoir accès à ses objets, certains parmi les plus étranges: yatagan, bouddhas incrustés, mousquetons, psautiers. Je me hisse sur une étagère fédérale.
- Attention à la porcelaine chinoise!
Il ne plaisante pas. Sur les genoux, à deux mètres cinquante, je tends les bras. Un à un, je monte les cartons, les empile, descends les bibelots.
- Tiens, les mocassins du sultan! Zara!
Elle passe une tête dans la porte du bunker.
- Regarde ce que j’ai trouvé, se réjouit Monpère, les mocassins!
Elle fait signe que non, elle ne se souvient pas.
- Mais oui, enfin, le sultan!
Puis, comme je prends appui sur une caisse pour descendre.
- Tu sais ce que c’est? Une cabine téléphonique. Swisscom l’avait installée au centre de La Havane. Mais jamais un Cubain n’y a mis une pièce.
Plus tard, désignant une fresque.
- Dix-huitième. Grand prix de l’académie en 1768. L’ambassadeur de France en a fait cadeau aux autorités mexicaines. Elle était dans les collections du musée. Trop cher à restaurer. Tu n’as pas un acheteur?
Les cartons amoncelés, nous jugeons du résultat. Au-dessus des étagères, une muraille. A mon tour de soulever, de porter, de déplacer. Mais d’abord, d’extraire. Monpère fait emporter à Budapest des meubles, rien à redire, et des objets incongrus: un tube, un pied de console, un morceau de miroir. Afin que Zara traduise au gaillard, il crie:
- Maison de campagne.
Et si Zara récrimine.
- Non, non! Pas à l’appartement. Maison de campagne!
Puis j’entends:
- Imbécile!
Les bras sur les hanches, Monpère fait traduire:
- Ce sont des imbéciles, voilà! Dis-leur!
L’aîné des déménageurs a refermé derrière lui la porte des toilettes. Or, il n’y pas de clef. Ou du moins, Monpère n’en a pas. Zara essaie la poignée.
- Inutile, c’est foutu! Et, voilà!
Les déménageurs reprennent leur déambulation lorsque Zara apparaît encadrée de deux noirs, des jumeaux. Les cheveux ras, l’œil vif, habillés chic, ils exhibent un clef en souriant, leur clef.
L’affaire des toilettes résolue, ils nous font passer par des couloirs:
- Vous ne saviez pas? Nous sommes aussi dans le bunker.
Et derrière une porte atomique, nous trouvons un studio d’enregistrement. Console brillant de tous ses feux, écrans plats, moquette anthracite, bar privé, sofa, billard.
Prêts à repartir, les Hongrois nous remercient chaleureusement. Le plus jaune prie alors Zara de me féliciter pour le T‑shirt que je portais la veille à Fribourg: PEGIDA Schweiz.