Zara raccroche:
- Tout va bien!
Il est 19h00. Je sers de la bière. La neige continue de tomber.
- Ici, dit Monpère, pas autour du bunker. Ni à Genève.
Zara confirme:
- Ils n’ont pas parlé de neige.
A dix heures, le camion revient. Les gaillards prennent place autour de la table. Puis ils sortent fumer. Et attaquent le gros du déménagement: cinquante cartons de livres, toute la bibliothèque de loisir. Les autres livres, ceux que j’utilise, sont déjà à Lausanne, dans l’arrière-boutique. Soudain, je remarque le jeune. Il a un air hilare.
- Il pensait qu’il aurait à rendre les chaussures à la fin du travail, explique Zara.
La nuit avance. Les gaillards se relaient. Ils sortent le canapé. Deux morceaux. Carrés, épais, noir. L’un de quatre mètres.
Ces histoires de canapés! Le premier que j’ai acheté, en 2000, à Boé, près d’Agen, n’entrait pas dans la maison. Les livreurs — une femme, un homme — se tenaient sur la place du village et admiraient la façade en colombages:
- Ma foi, à l’époque, les canapés n’existaient pas.
- Et puis, aussi, on était plus petit, dit la femme.
Dans l’urgence, j’ai imaginé démonter la porte principale. Puis j’ai trouvé la solution. Hisser le canapé sur le toit, le passer à travers le Velux. Tout cela, sans prendre les mesures. Voici le canapé enfoncé dans le Velux. Les livreurs, à genoux sur les tuiles, poussent. De l’intérieur, je crie: “on y est presque!” Un centimètre! Le canapé a un centimètre de trop. Je rabote le centimètre au couteau et le canapé tombe à l’intérieur de la maison. Quinze ans plus tard, j’imagine qu’il y est toujours. Superbe canapé; mais combien de fois me suis-je assis dessus?
Plus tard, à Lhôpital. Un canapé pris à Genève, chez Emmaüs. Coussins ton sable, faux cuir, design incurvé. Bout à bout, sept mètres. Transporté en BMW, coffre ouvert. Trois, quatre, six voyages. Que je sache, je ne me suis jamais assis dedans. Celui-là aussi, resté dans la maison.
Aussi ai-je décidé de sauver ce dernier canapé. Celui de la rue Jean-Gambach. Celui que les Hongrois transportent sur la tête, suant pour prendre le virage de la cage d’escalier. Mais en attendant de le sauver, je le stocke, je l’envoie au bunker. Monpère à son idée: le dresser au-dessus des étagères fédérales et l’appuyer contre le mur.
A minuit, nouveau pique-nique. Puis nous allons nous coucher. Monpère et Zara dans notre chambre à coucher, sur des matelas jetés à terre, moi dans mon bureau. Les déménageurs reprennent le travail. Le lendemain, à huit heures, je les trouve attablés devant un autre pique-nique. Le jeune boit un demi-litre de boisson énergétique. A quelle heure ont-ils fini? 4h30. Zara les a dissuadé de descendre au bunker pour le déchargement. Ils ont fait appeler leur chef à Budapest pour qu’elle les excuse. Elle a expliqué: ce n’est pas de leur faute. Eux étaient prêts à finir le travail puis à prendre la route, 1400 kilomètres par l’Autriche.