Déménagement 3

Zara rac­croche:
- Tout va bien!
Il est 19h00. Je sers de la bière. La neige con­tin­ue de tomber.
- Ici, dit Mon­père, pas autour du bunker. Ni à Genève.
Zara con­firme:
- Ils n’ont pas par­lé de neige.
A dix heures, le camion revient. Les gail­lards pren­nent place autour de la table. Puis ils sor­tent fumer. Et attaque­nt le gros du démé­nage­ment: cinquante car­tons de livres, toute la bib­lio­thèque de loisir. Les autres livres, ceux que j’u­tilise, sont déjà à Lau­sanne, dans l’ar­rière-bou­tique. Soudain, je remar­que le jeune. Il a un air hilare.
- Il pen­sait qu’il aurait à ren­dre les chaus­sures à la fin du tra­vail, explique Zara.
La nuit avance. Les gail­lards se relaient. Ils sor­tent le canapé. Deux morceaux. Car­rés, épais, noir. L’un de qua­tre mètres.
Ces his­toires de canapés! Le pre­mier que j’ai acheté, en 2000, à Boé, près d’A­gen, n’en­trait pas dans la mai­son. Les livreurs — une femme, un homme — se tenaient sur la place du vil­lage et admi­raient la façade en colom­bages:
- Ma foi, à l’époque, les canapés n’ex­is­taient pas.
- Et puis, aus­si, on était plus petit, dit la femme.
Dans l’ur­gence, j’ai imag­iné démon­ter la porte prin­ci­pale. Puis j’ai trou­vé la solu­tion. Hiss­er le canapé sur le toit, le pass­er à tra­vers le Velux. Tout cela, sans pren­dre les mesures. Voici le canapé enfon­cé dans le Velux. Les livreurs, à genoux sur les tuiles, poussent. De l’in­térieur, je crie: “on y est presque!” Un cen­timètre! Le canapé a un cen­timètre de trop. Je rabote le cen­timètre au couteau et le canapé tombe à l’in­térieur de la mai­son. Quinze ans plus tard, j’imag­ine qu’il y est tou­jours. Superbe canapé; mais com­bi­en de fois me suis-je assis dessus?
Plus tard, à Lhôpi­tal. Un canapé pris à Genève, chez Emmaüs. Coussins ton sable, faux cuir, design incurvé. Bout à bout, sept mètres. Trans­porté en BMW, cof­fre ouvert. Trois, qua­tre, six voy­ages. Que je sache, je ne me suis jamais assis dedans. Celui-là aus­si, resté dans la mai­son.
Aus­si ai-je décidé de sauver ce dernier canapé. Celui de la rue Jean-Gam­bach. Celui que les Hon­grois trans­portent sur la tête, suant pour pren­dre le virage de la cage d’escalier. Mais en atten­dant de le sauver, je le stocke, je l’en­voie au bunker. Mon­père à son idée: le dress­er au-dessus des étagères fédérales et l’ap­puy­er con­tre le mur.
A minu­it, nou­veau pique-nique. Puis nous allons nous couch­er. Mon­père et Zara dans notre cham­bre à couch­er, sur des mate­las jetés à terre, moi dans mon bureau. Les démé­nageurs repren­nent le tra­vail. Le lende­main, à huit heures, je les trou­ve attablés devant un autre pique-nique. Le jeune boit un demi-litre de bois­son énergé­tique. A quelle heure ont-ils fini? 4h30. Zara les a dis­suadé de descen­dre au bunker pour le décharge­ment. Ils ont fait appel­er leur chef à Budapest pour qu’elle les excuse. Elle a expliqué: ce n’est pas de leur faute. Eux étaient prêts à finir le tra­vail puis à pren­dre la route, 1400 kilo­mètres par l’Autriche.