Déménagement

Huit heures du matin, mon sac est prêt, j’al­lume la radio: il n’est ques­tion que des atten­tats qui ont eut lieu dans la nuit à Paris. J’ai ren­dez-vous en début d’après-midi à Mar­seille pour une lec­ture de Cas­sa­tions - j’an­nule. Mon édi­teur, instal­lé en Nor­mandie, voy­ageait la veille. Blo­qué par les mil­i­taires à la gare de Lyon Part-Dieu, il est resté sur les quais pen­dant trois heures avec quelques mil­liers d’autres pas­sagers. Il com­prend. Il se débrouillera. Quand il n’écrit pas de la poésie, il est ingénieur astro­nau­tique, il lance des satel­lites. Ses mis­sions l’amè­nent en Afrique. “C’est un drame, me dit-il, le con­ti­nent est en dan­ger, tout s’ef­fon­dre. En quar­ante ans, je n’avais jamais us pareille détresse!” J’éteins la radio, cache le télé­phone sous le canapé du salon, me recouche. Au réveil, même soleil éblouis­sant. Je com­mence les car­tons du démé­nage­ment. Pou­voir rester ici, à Fri­bourg, plutôt que de m’embarquer pour Mar­seille, me réjouit. Bil­lets d’hô­tel et de train, plan de voy­age et adresse de la librairie, tout passe à la poubelle. Je déplie un pre­mier car­ton, le con­solide avec du scotch. Récupéré rue du Criblet, dans la zone com­merçante, il a con­tenu des crus­tacés importés de Da-Nang. Les Pré­socra­tiques, Horkeimer, Slo­ter­dijk; je le rem­plis de livres. Puis j’aperçois une crevette. Petite, sèche mais odor­ante. Machine arrière, je ressors les vol­umes, chif­fonne les cou­ver­tures, remets en bib­lio­thèque. Puis je jette le car­ton par-dessus la balustrade du bal­con, en choisit un autre, pris der­rière Délifrance celui-là. Je le véri­fie et recom­mence l’opéra­tion: Les Pré­socra­tiques, Horkeimer… A midi, trois étagères sont vides. C’est l’heure du jour­nal. Cent-vingt morts.
Deux jours plus tard, je reçois C. Nous tra­vail­lons sur son man­u­scrit. Pornogra­phie et scènes de meubles. Le soir, Mon­père et sa femme Zara s’in­stal­lent dans notre cham­bre à couch­er. Zara rem­plit le frig­ori­fique de saucis­sons, de fro­mages, de yoghurts. Son télé­phone sonne. Elle répond en Hon­grois.
- Où sont-ils? Demande Mon­père.
- A Graz!
Puis, juste avant de se souhaiter bonne nuit:
- Apelle-les une dernière fois!
- Il sont encore à 400 kilo­mètres, dit Zara.
Je pré­pare trois lits dans la cham­bre des enfants, écoute une dernière fois les nou­velles de France.
A deux heures du matin, j’en­tends remuer dans le jardin. C’est Zara. En robe de cham­bre, chaussée de bottes de caoutchouc, un bon­net sur la tête, elle guide les démé­nageurs hon­grois. Leur camion blanc est garé devant l’école.