Mois : juillet 2015

Sagesse populaire

La sagesse pop­u­laire con­siste à jouir du présent et à se représen­ter l’avenir comme autant de moments présents. Ni excès ni épargne. L’ex­cès est lié à la noblesse, l’é­pargne à la bour­geoisie. Lorsque le peu­ple perd la sagesse, il n’a plus accès au présent que par la drogue. Con­di­tion uni­verselle du prolétaire.

Rapetou

L’at­taque de banque ayant échoué, nous fuyons à pied à tra­vers la ville. Je cours devant, je mon­tre le chemin. Un talus barre le pas­sage. Je le gravis. Trop raide. Je glisse, je retombe. Mes sept com­plices paniquent.
- Séparons-nous!
Les uns par­tent vers la porte Nord, les autres m’emboîtent le pas. Nous gagnons un champ de coton. Les fleurs for­ment au sol une duvet épais. Le Bègue mon­tre com­ment échap­per aux flics: il plonge dans le duvet, il dis­paraît. Je fais de même.
- Et main­tenant taisez-vous! Leur-dis-je.
Mais rien n’y fait, le Bègue et le Corse con­tin­u­ent de par­ler. Ils par­lent de plus en plus fort. Je sors la tête du duvet de coton. Un femme  sur un petit bal­con attaché à la muraille du château-fort crie:
- Je vous ai vu! Je vais vous dénon­cer!
J’at­trappe le Bègue par le col­let:
- Tu es génial, mais tu est un génie imbé­cile! Pau­vre imbé­cile!
Nous glis­sons en bas du talus. Nous sommes à nou­veau dans la ville. On entend sif­fler les flics.
- Il faut se sépar­er! Dis-je.
Mes deux com­plices s’élan­cent. Je les arrête:
- Case Postal 7, à Mar­rakesh!
- Qu’est-ce… qu’est-ce que…? Fait le Bègue.
- Pour se con­tac­ter imbé­cile!
- Mais où est cette case? Demande le Corse.
- A la poste cen­trale! Dis-je en enfi­lant une rue avant de m’apercevoir qu’il s’ag­it de la rue de la Jus­tice et de la Police.
” Il faut que j’es­suie les empreintes du pis­to­let!”, me dis-je. Puis: “Inutile, je le porte sur moi, empreintes ou pas, ces salopards sauront qu’il est à moi!”
Je passe devant deux avo­cats.
- Tiens, dis­ent-ils dans mon dos, il est sor­ti de prison celui-là?
Et l’autre:
- Oui, il est en cav­ale.
“Je vais en pren­dre pour trente ans cette fois! Il y a une porte au bout de la rue, et elle sera fer­mée!  Je me vois déjà, dans la cel­lule, rejouant des mil­liers de fois ce moment pré­cis: je cours et je sais que je vais me faire pren­dre et qu’ils vont me met­tre dedans pour trente ans!“
J’avise un escalier de bois.
“Si je monte par-là, je sor­ti­rai par les toits!”
 Je n’en fais rien, je con­tin­ue de courir.
” je vais pren­dre un bus,  un bus qui m’emmènera loin de la ville. A la sor­tie du bus, je ne pour­rai pas pay­er. Com­ment ferai-je? Et le soir, pour dormir, pour boire, pour manger, je ne pour­rai pas pay­er, je n’au­rai pas d’ar­gent. Il ne me restera plus qu’à bra­quer une banque…”

Grimace

Ces per­son­nes qui pour acquérir puis con­forter leur posi­tion sociale ont tou­jours au vis­age la gri­mace du pouvoir.

Poids de l’Etat

La valeur de l’ar­gent est définie par le tra­vail. La pro­duc­tion précède la rémunéra­tion.
Le statut économique par­ti­c­uli­er du fonc­tion­naire d’E­tat tient au fait qu’il déter­mine sa pro­duc­tion en fonc­tion des sommes prélevées sur la société. Sa notion du tra­vail est ain­si liée à la dépense et son action déroge au principe majori­taire. Au-delà de son rôle fon­da­men­tal (assur­er des con­di­tions de pro­duc­tion pérennes), cette notion ant­i­cap­i­tal­iste du tra­vail pèse fatale­ment sur l’ef­fort social.
De plus, comme autre­fois dans les régimes finis­sants, monar­chiques ou com­mu­nistes, nous avons affaire aujour­d’hui à une poli­ti­sa­tion de Etat. Celui-ci est géré à la manière d’une entre­prise. Il sert les intérêts cor­po­rat­ifs de ses mem­bres. Tech­nique­ment, cela revient à jus­ti­fi­er par une créa­tion arti­fi­cielle de tra­vail une ponc­tion finan­cière accrue sur le tra­vail pro­duc­tif. Approche qui implique à terme une rup­ture du con­trat social. Le phénomène est d’au­tant plus grave qu’il s’in­scrit dans une logique de démul­ti­pli­ca­tion des pou­voirs des fonc­tion­naires.
En mul­ti­pli­ant les instances pré­da­tri­ces au niveau supra­na­tion­al tout en con­ser­vant les priv­ilèges fis­caux des Etats, l’U­nion européenne accélère l’épuise­ment des forces de pro­duc­tion.
Aux ten­sions sociales à venir, il y aura deux types de répons­es : la liq­ui­da­tion des Etats nationaux au prof­it d’une tech­nocratie dégagée de tout con­trôle par­lemen­taire ou une alliance con­tre les peu­ples des tech­nocrates et des grands déten­teurs de cap­i­taux que sont les ban­ques et les multi­na­tionales. Dans les deux cas, cela implique un sché­ma totalitaire.

m‑m-m

La “vraie vie” rim­bal­di­enne est la sub­li­ma­tion poé­tique d’une énergie fauve. Un cri qui s’ex­prime en vers. Sa source est dans la vie. Or, c’est peut-être à cette vie, sous nos lat­i­tudes, à cent ans de dis­tance, que nous n’avons plus accès. Dans la fausse vie, la détresse comme la joie sont impos­si­bles, l’an­goisse rem­place la peur, le désir rem­place le sen­ti­ment, le faux désir, le désir vrai. Gravis­sant les cols de Navarre la semaine dernière je fre­donnais:
- “m‑m-m“
Ce que je tradui­sais, lisant tan­tôt de gauche à droite, tan­tôt de droite à gauche: man-made-machine, machine-made-man. 

Zones de transit

Sainte-Beuve, illus­trant son pro­pos sur la pré­somp­tion chez les jeunes gens d’une cita­tion extraite des Dia­logues de Sénac de Meih­lan (je ne con­nais pas, je reprends tel quel). “L’homme [] quand il est jeune [] ne se con­naît pas et se croit un être curieux et rare.“
Heureuse­ment, car ce défaut venant aujour­d’hui à man­quer, l’af­fole­ment gagne! De quoi se nour­ri­ra en effet la cri­tique chez l’adulte si elle ne peut se fonder sur le démen­ti des illu­sions? Quelle ent­hou­si­asme, quelle naïveté porteront le jeune vers l’avenir s’il tombe dans l’âge avant d’avoir vécu? Avant de se don­ner rai­son, il faut qu’il erre! Rien de plus inquié­tant, de plus urgent à traiter que cette vam­piri­sa­tion de la jeunesse! L’écrivaine dont je cor­rige le tra­vail (elle a vingt-trois ans) me dis­ait par exem­ple après lec­ture de la pièce de théâtre Art de Yas­mi­na Réza (texte pop­uliste que je lui don­nais à lire pour l’in­ter­roger sur sa pro­pre écri­t­ure):
- Je n’aime pas. D’ailleurs, elle dit pleine de choses! Moi, je ne dis rien!
Et par rien, il faut enten­dre: ce qui me passe par la tête, c’est-à-dire ce qui, pas­sant par la tête, est logique­ment venu de l’ex­térieur et y retourn­era; en d’autres ter­mes, un pro­duit de l’industrie.

Argent

De démo­ni­aque dans nos sociétés — au sens de ce qui hante la con­science, rend étrangère la parole et gaspille les forces de l’âme — il y a l’argent.

Inactivité

Il n’y a d’évite­ment de la folie dans l’i­n­ac­tiv­ité que par deux com­porte­ments, à bien des égards proches, et qui tous deux exi­gent intéri­or­ité et recréa­tion du monde: l’art et la prière.

Tri

Salu­taire cette liste que je fais en par­courant pièce par pièce l’ap­parte­ment, clas­sant par caté­gories ce qui tombe sous le regard: à jeter, à don­ner, livres-habits-armes. Et mon père, à qui je fais cadeau de la BMW, me dit:
- Il faut tout de même que je voies, si tu dis qu’il y a un témoin lumineux qui s’al­lume au tableau de bord, dès fois que les imbé­ciles lors de la prochaine inspec­tion.…
- Tu la jet­teras!
- Mais enfin, on ne peut pas jeter une voiture de cette qual­ité!
- Ah, bon? Et pourquoi pas? A la poubelle!

Esthétique

Que nos vies parais­sent volon­taires et cohérentes vues de l’extérieur!