École de commerce de Lausanne en 1984 — j’ai eu l’occasion de le dire ailleurs — une caserne arpentée par des ratés de l’éducation. Introduisez un gosse par une porte il en ressortait un adulte châtié. Quoiqu’il en soit, figurait parmi les camarades consentants de ma classe un beau garçon charpenté et affable, les cheveux en brosse, qui faisait des notes moyennes et, naturellement, séduisait les femmes, dont l’une, plus curieuse que la moyenne et marquée par un début d’engagement politique, me confiait volontiers ses inquiétudes. Inutile de préciser: à l’heure des jeux de séduction, elle se tournait vers le beau garçon. Si je rapporte cela, c’est que le mois dernier, je regardait une film hollywoodien sans relief et qui est-ce que je reconnais? Mon camarade! Il tient un petit rôle. Il a les cheveux en brosse. Il n’a pas vieilli. Il est affable, discret, sans personnalité, quelque peu fat. Et il joue le rôle du séducteur malheureux à qui la vedette ravit naturellement la bien-aimée.
Mois : juillet 2015
Diego 2
Rencogné dans le divan de réception, le premier matin avant l’étape à vélo sur les Pyrénées, à Tossa de Mar, Diego, le Chilien que je côtoyais alors pour la première fois, me tend la main:
- Mon nom est Diego. Je suis traumatologue.
Le soir même, au restaurant, intervenant dans la conversation que tiennent douze commensaux:
- Moi qui suis traumatologue.…
Plus tard, au cours du voyage d’ une semaine, il répétera par deux fois:
- Je suis traumatologue. J’ai étudié la médecine pendant quatre ans. Ensuite je me suis spécialisé. J’ai étudié le bras. Deux ans. Et puis une autre spécialisation: l’os mineur du coude. Deux ans. Je ne suis pas n’importe quel traumatologue. J’ai étudié pendant huit ans!
Hirondelles
Depuis quelque temps, je m’intéresse aux hirondelles. J’aime leur vol équivoque, leur chants effilés, leurs vrilles nocturnes, leurs trajectoires dans le soleil, la force qu’elles conservent dans le corps au milieu des chaleurs de Castille. Je les entends au-dessus de ma tête, je me souviens avec ravissement des meilleurs après-midi de Gimbrède. En juin, je les ai croisées à Montealegre, près de Valladolid, dans un paysage ocre aux faades jaunes et aux volets clos. Dans les verres, l’eau était chaude, dans les champs, il y avait surtout du ciel et j’ai le grand bonheur de les retrouver ce soir, jouant au-dessus du toit, sur la colline, à Fribourg, comme je suis seul dans l’immeuble — il faut que je m’y intéresse, que je voie si elles perçoivent certains avantages à l’absence d’homme, que nous ne pourrions, par définition, percevoir.
Agréable
Ce sentiment d’être le dernier homme en ville est bien agréable. Il fait bon. Quelques oiseaux volent. La nuit tombe. Le jour a été silencieux. Le ciel est immobile. Et quand il n’y aura plus à manger, quand aucune eau ne sortira plus du robinet, je mettrai des balles dans le magasin. Ce ne sera pas aussi atmosphérique. Les fins manquent de poésie. Le réveil est animal. En temps de paix et de richesse, de combat et de confort général, il y a déjà tant de cris: qu’on imagine quand la sève se retirera. Mieux vaut garder le pistolet à la main.
Dedans
Plaisir d’être là et d’être fatigué. Je m’assieds, je me couche. Je regarde par la fenêtre. Que vois-je? Le temps est maussade, c’est le cœur de l’été. Nous sommes samedi: depuis le matin j’ai compté trois voitures. Voilà comment devraient être les villes. A l’abandon. Pas délabrées, délaissées. Toutes de murs, de façades, d’arbres tranquilles. Et si un passant s ‘aventure, il ne va nulle part. Il marche un peu. Ayant marché, il renonce, il rentre chez lui, ou plutôt, il disparaît. La précipitation est une maladie. J’en connais une autre. Le renoncement à sortir. Au réveil, pas de filtre à café. C’est ennuyeux. Je cherche des solutions. Il n’y en pas. Il y en a toujours. J’ouvre les tiroirs. Une serviette? De quelle couleur la serviette? Et si mon café est rouge? Je regarde par la fenêtre. L’essentiel est de ne pas sortir. Même pas, comme la semaine dernière, par le raccourci qui permet de se rendre au supermarché sans croiser personne: car à vrai, dire, au supermarché, il y a des femmes et des hommes.