Mois : février 2014

Cuisine

La nour­ri­t­ure du Cam­bodge est la plus déce­vante que j’aie goûtée en Asie du sud-est, soit que le savoir culi­naire comme les autres savoirs aient été per­dus, soit que la pau­vreté des réserves oblige la pop­u­la­tion à apprêter les restes, habi­tude qui demeure effec­tive chez les cuisinières de restau­rants. Quoiqu’il en soir, le poulet est dur, le riz mou, les sauces insipi­des, et le tout manque de finesse et d’imag­i­na­tion. Ce n’est ni le dés­espoir anglais ni le rata hon­grois, mais nous sommes loin des délices de la gas­tronomie thaïe.

Borei

Le matin nous sommes devant le pan­neau qui indique la direc­tion du site de Bor­ei. Ki hésite à s’en­gager. Un chantier barre la route, des camions mal équili­brés amon­cel­lent de la terre, des chi­canes font obsta­cle. Il qué­mande la per­mis­sion de repar­tir. Je lui dis de s’en­gager. Et les camions? Nous ver­rons bien. En ce qui con­cerne la cir­cu­la­tion, au Cam­bodge comme au Viet­nam, règne la loi du plus fort. Les Lim­ou­sines ont la pri­or­ité sur les vélo­mo­teurs et les vélos. Les tracteurs sont hors caté­gorie car ils sont lents et con­duits par des paysans. Les Pick-ups japon­ais, pro­priétés des gens aisés de la ville écrasent les autres véhicules mais, pour dou­bler un camion, doivent mal­gré tout faire preuve d’a­gres­siv­ité. (Je remar­que en pas­sant qu’en Thaï­lande c’est le règne flu­ide du banc de pois­son qui orchestre les mou­ve­ments, cha­cun frayant son pas­sage en sou­p­lesse). Donc Ki lance la voiture sur le terre-plein du chantier. Le men­ton sur le volant il accélère espérant ain­si éviter tout con­flit avec un poids-lourds. Pour le ras­sur­er, j’indique les aires de dégage­ment entre les tas. D’ailleurs j’ai bien fait d’in­sis­ter: un kilo­mètre plus loin, nous revenons sur une voie dou­ble. Maisons aux parois de palmes, vach­es à bosse et à nou­veau les enfants qui vont et vien­nent dans leur uni­formes. A l’hori­zon des lacs ou des marécages. Au bout de la route, à 16 kilo­mètres, une cabane où sont réu­nies quelques femmes et un guide qui nous abor­de dans un français mono­syl­labique mais sans faute.
- I‑ci, je suis le guide pour mon-trer le tem­ple.
Un peu désolé, nous refu­sons, non pas par esprit d’é­conomie mais parce que je sais que plus on écoute moins on regarde et moins on voit. Nous voici donc par­tis seul dans un sable épais sur des sen­tiers qui nous mènent d’une tour octog­o­nale à l’autre par une chaleur glu­ante. Belle forêt fatiguée et mys­térieuse. Des Japon­ais tra­vail­lent à la con­sol­i­da­tion d’un pan de mur. Du moins c’est ce que sig­nale un pan­neau plan­té dans la jun­gle. Il com­porte le nom de l’u­ni­ver­sité dona­trice et le dra­peau nip­pon. Pour ce qui est du chantier, je ne vois que des Cam­bodgiens pau­vres, out­il­lés de tru­elles, qui doivent pos­séder des rudi­ments de maçon­ner­ie. Balade splen­dide, seuls, au milieu de ces édi­fices couleur thé dont, il faut le dire, per­son­ne ne se soucierait, s’ils n’é­taient la plus impor­tante source de revenu du pays; en somme, l’héritage de la grande civil­i­sa­tions que furent les Kmehrs.

Education

Au marché de Kam­pong Thom, un garçon de cinq ans que sa mère fla­gelle. Il est debout, sa mère veut le faire asseoir. A l’aide d’une baguette sou­ple, elle assène un coup, puis un autre. Le gosse ne bouge pas. Gala se retourne, regarde la scène. Qu’elle inter­vi­enne, elle met­tra en péril l’au­torité de la mère et la déter­mi­na­tion de l’en­fant. Nou­veau coup. Plus puis­sant. L’en­fant pousse un cri, mais ne bouge tou­jours pas. Nous con­tin­uons de marcher. L’é­cho d’un autre coup nous parvient.
- Ce gamin devien­dra un homme intraitable…

Art de l’évidence

J’ad­mire la fac­ulté des écrivains améri­cains de décrire la réal­ité sur le ton de l’év­i­dence alors même qu’ils inven­tent. Ces artistes sont de grands pro­duc­teurs de convictions.

Poids

Les Améri­cains. Ils sont plus gros. De même que leurs voitures. Plus gross­es. Et leurs villes. Mais leurs livres, par­ti­c­ulière­ment les romans? Eh bien, ils sont plus gros.

Chiens de Kulen

Les chiens au milieu des routes: osseux, pelés, ahanants. D’ailleurs on les dirait englués dans le bitume. Pour­tant non, ils con­nais­sent le lan­gage du Klax­on. Cette fois, ils sont qua­tre. Même taille, même couleur, même mis­ère. La voiture n’est plus qu’à quelques mètres. Alors enfin ils glis­sent sur le côté. Ma théorie est que leur ennui est si grand qu’ils atten­dent au bord des routes et quand une voiture passe, ils ten­tent de se faire écraser.

Socialisme

Vote du peu­ple suisse sur la ges­tion des fron­tières. La volon­té exprimée donne man­dat aux élus de lim­iter le nom­bre d’im­mi­grés. Les réac­tions du camp social­iste au vote trahit une pen­sée anti-démoc­ra­tique qui ren­voie cette idéolo­gie à ses fonde­ments: une philoso­phie déter­min­iste de l’his­toire où la vérité, terme de la dialec­tique, est con­nue a pri­ori. Et face à cette volon­té de con­fis­ca­tion de l’ex­pres­sion pop­u­laire par des justes auto-proclamés, aucun sur­saut d’indig­na­tion, ce qui mesure assez le degré d’al­ié­na­tion des esprits dans une société où le social­isme, par delà tous les cli­vages, fait office de reli­gion laïque.

Armée

Camp mil­i­taire de la sub­di­vi­sion ter­ri­to­ri­ale de Kam­pong Thom avec son mur d’en­ceinte sur pilo­tis afin d’éviter que véhicules et hommes ne bar­bo­tent à l’in­térieur du périmètre pen­dant les moussons.

Matelas

Des con­vois de mate­las sur la route. Chaque vélo­mo­teur est chargé de vingt mate­las. De loin, on dirait des cubes. De près aus­si. Les con­duc­teurs sont à l’in­térieur du charge­ment, vis­i­bles à tra­vers une fente. Et ain­si, toute la journée, ils roulent et bon­i­mentent à l’en­trée des vil­lages, appor­tant aux paysans les plus aisés, la révo­lu­tion du sommeil.

Evangélistes

Quand soudain descen­dent d’une salle en mez­za­nine fer­mée par une porte coulis­sante de verre afin de garan­tir sa réfrigéra­tion douze noirs pesant le poids d’un ascenseur et dûment chap­er­on­nés par des blancs tout aus­si mas­sifs, cha­cun por­tant sur la poitrine une croix de bois et ils s’a­van­cent à tra­vers le restau­rant, idiots et béats, absol­u­ment Améri­cains, d’une laideur mon­strueuse, mais décidés à porter une mes­sage de paix à tra­vers le monde. Une des noires que ses frères en prière ont lais­sé s’é­gar­er par­mi les autochtones a pris du retard: la voici qui descend les march­es une à une, exhibant des fess­es de baleine à l’assem­blée vigousse des mangeurs de riz.