Le matin nous sommes devant le panneau qui indique la direction du site de Borei. Ki hésite à s’engager. Un chantier barre la route, des camions mal équilibrés amoncellent de la terre, des chicanes font obstacle. Il quémande la permission de repartir. Je lui dis de s’engager. Et les camions? Nous verrons bien. En ce qui concerne la circulation, au Cambodge comme au Vietnam, règne la loi du plus fort. Les Limousines ont la priorité sur les vélomoteurs et les vélos. Les tracteurs sont hors catégorie car ils sont lents et conduits par des paysans. Les Pick-ups japonais, propriétés des gens aisés de la ville écrasent les autres véhicules mais, pour doubler un camion, doivent malgré tout faire preuve d’agressivité. (Je remarque en passant qu’en Thaïlande c’est le règne fluide du banc de poisson qui orchestre les mouvements, chacun frayant son passage en souplesse). Donc Ki lance la voiture sur le terre-plein du chantier. Le menton sur le volant il accélère espérant ainsi éviter tout conflit avec un poids-lourds. Pour le rassurer, j’indique les aires de dégagement entre les tas. D’ailleurs j’ai bien fait d’insister: un kilomètre plus loin, nous revenons sur une voie double. Maisons aux parois de palmes, vaches à bosse et à nouveau les enfants qui vont et viennent dans leur uniformes. A l’horizon des lacs ou des marécages. Au bout de la route, à 16 kilomètres, une cabane où sont réunies quelques femmes et un guide qui nous aborde dans un français monosyllabique mais sans faute.
- I‑ci, je suis le guide pour mon-trer le temple.
Un peu désolé, nous refusons, non pas par esprit d’économie mais parce que je sais que plus on écoute moins on regarde et moins on voit. Nous voici donc partis seul dans un sable épais sur des sentiers qui nous mènent d’une tour octogonale à l’autre par une chaleur gluante. Belle forêt fatiguée et mystérieuse. Des Japonais travaillent à la consolidation d’un pan de mur. Du moins c’est ce que signale un panneau planté dans la jungle. Il comporte le nom de l’université donatrice et le drapeau nippon. Pour ce qui est du chantier, je ne vois que des Cambodgiens pauvres, outillés de truelles, qui doivent posséder des rudiments de maçonnerie. Balade splendide, seuls, au milieu de ces édifices couleur thé dont, il faut le dire, personne ne se soucierait, s’ils n’étaient la plus importante source de revenu du pays; en somme, l’héritage de la grande civilisations que furent les Kmehrs.