easyJet — sorti en librairie ce matin, le livre suscite aussitôt une chronique que me signale l’éditeur. Le journaliste, lié à un site internet consacré à l’aviation, fait du texte une présentation honnête et sans intérêt qu’il agrémente de photographies. Il conclut par un appel aux réactions de lecteurs. Or, je constate qu’en effet ceux-ci ont réagi et se sont emparés des seuls éléments dans la chronique qui permettent de rebondir: la nature polémique de la démarche et l’accent mis sur l’inconfort du transport low-cost, de telle façon que dans le dialogue qui se noue en ligne entre quelques dizaines d’interlocuteurs, il est dit que l’auteur n’a écrit ce livre que pour gagner de l’argent, qu’il n’y probablement jamais voyagé à bord d’un avion easyJet, qu’il polémique inutilement et qu’il est pour le moins arrogant de critiquer un modèle de voyage populaire lorsqu’on se déplace en première classe une flûte de champagne à la main. L’ironie veut que, retour de Salamanque, je me trouve quelques heures plus tard à bord d’un avion de la compagnie Swiss, tassé, bousculé et transporté comme une marchandise. Mais le plus étonnant est encore la vitesse de dérive que les commentaires impriment au texte: parce que le journaliste a qualifié de “polémique” un texte dont ce n’est aucunement la vocation et qui, s’il était, le serait par défaut, des lecteurs qui ne l’ont pas lu s’en emparent pour faire valoir des positions générales et vindicatives.
Mois : janvier 2014
Le livre brisé
Ce que j’affirmais du rapport entre sincérité et littérature mérite d’être corrigé. Je connais au moins une oeuvre qui tient le pari: Le livre brisé, de Serge Doubrovski. Une acte fou dont l’issue sera fatale. Entreprenant de raconter sa vie au jour le jour l’auteur spécule sur l’avenir de sa vie intime. Le récit est interrompu par le suicide de sa femme. Puis l’auteur achève le livre. J’ai retrouvé ce texte l’autre jour dans un carton en provenance de Lhôpital dont je triais le contenu et je l’ai jeté: personne ne souhaite vivre deux fois une situation réelle. L’art existe lorsque des lectures successives sont possibles.
Andrew Eldritch
First, Last and Always des Sisters of Mercy, album que je n’avais pas entendu depuis l’année de sa sortie, en 1984. Sombre, froid, précurseur du gothique, mais pas désespéré. Le sentiment que c’est encore un jeu, une pose. Dix ans plus tard, l’asphyxie est réelle. Mayhem ne vit pas, il survit. Seth Putnam ne joue pas, il meurt.
Guerre civile
A l’instant dans un musée proche des remparts qui présente des documents sur la guerre civile espagnole. Exposées sous vitre des listes de donations destinées à soutenir l’effort de guerre de chaque camp. Côté Républicains, Pedro Fiel donne 2 pesetas, la Confitería Ramos donne une bonbonnière à boutons, José Pesquera donne une cape d’enfant. Côté Franquistes, le Dr. Gabriel Cebría et Doña Amalia Alvarez donnent 2 alliances, une broche de cravate en argent, une paire de jumelles, un porte portrait, 3 paires de boucles d’oreilles, un collier, 2 chaînes fines, une montre-bracelet et une pièce de monnaie de 2,5 $.
La vie que nous menons
Gala a cette parole malheureuse: avec la vie que nous menons! Le ton suffit, je suis offusqué et le fais entendre. Aussitôt démarre une de ces scènes épouvantables où l’on nous trouve hurlant à travers la ville. Il est vrai qu’en une année, depuis septembre, nous serons allés à Berlin, à Munich, à Majorque, à Malaga et Salamanque, en Thaïlande, à Torrevieja, sans compter les vacances de l’été à venir et les voyages que je fais seul, Bristol, Ronda et Albacete. Et pourtant, c’est moi qui ai une activité en Suisse, pas Gala.
Voeux
Reçu hier les voeux de Richard Berréby, le directeur des éditions Allia. Je prenais ici, en début de semaine, une note sur la phrase, tirée du texte easyJet et placée en quatrième de couverture: en somme et au final… Or, la voici intégrée dans la formule de voeux de la maison sous cette forme: Pour les livres comme pour le reste, en somme et au final, c’est une affaire de style. Ce qui renvoie à la question de l’honnêteté littéraire, qu’il faudrait d’ailleurs plutôt nommer “sincérité”, telle que je croyais pouvoir la pratiquer dans les premiers livres d’Etapes. Cette phrase, comme tant d’autres, organise une rapport inconscient au réel. La maturité étant alors vérifiée par l’idée qu’il est possible en littérature de fabriquer de la sincérité, mais pas de se montrer sincère. Et l’autofiction n’échappe pas à la règle; elle se contente de la pervertir. Reste le cas du journal, enquête séparée, paralittéraire. Gide est peut-être celui qui, sans sortir du projet esthétique, aura le mieux approcher la sincérité; mais là encore, peut-on vraiment en juger? Calaferte, lisant le journal de Julien Green, questionne avec curiosité et dédain le projet du romancier de tout dire, et remarque aussitôt que l’auteur catholique, à travers les milliers de pages qui composent cette confession, s’est arrangé pour ne jamais évoquer son homosexualité (courage de Gide en ce domaine). Quoiqu’il en soit, il est flatteur de trouver l’une de ses phrases ainsi réappropriée. Souhaitons que le livre ne trompe pas les espoirs de l’éditeur.
Indulgence
Tout à l’heure à San Esteban pour la messe des Rois mages. Un tableau accroché aux fers d’une chapelle latérale établit la règle suivante: Le souverain pontife Pie X concède l’indulgence perpétuelle pour une période de trois cent jours à qui dira en ce lieu un Notre père et trois Ave Maria à Sainte Catalina de Sena. Et au-dessous: A celui qui priera, dans la limite d’une fois par année, à son domicile, une image de Sainte Catalina de Sena pendant trois jours consécutifs, il sera concédé une indulgence perpétuelle de dix jours.