L’autorité grandit celui qui obéit et celui qui est obéi. Elle implique également, dans le principe, le remplacement du maître par le disciple en vue de la conservation des forces dans l’ensemble du corps de la société.
Mois : décembre 2013
Egalitarisme
Le transfert de pouvoir des individus éduqués vers les individus sans éducation réclamé par les socialistes est une aberration. Il ne peut s’exercer que dans la violence. Le détenteur des compétences, refuse de devenir prescripteur de l’action et renonce à faire modèle. Au nom de l’égalitarisme (qui par opposition à l’égalité est une idéologie), il nie sa supériorité et fait effort pour redistribuer ses compétences à celui qui en est dépourvu. Ce faisant il croit pourvoir amender la nature (qui a pourvu à la répartition des compétences sur une base réelle). Cet échec de son programme conduit le socialiste à pratiquer le masochisme: il nie la valeur de ses compétences et plus que tout, tient en horreur l’intellectualisme, signe manifeste de différence. Entre ne pas dire ce qu’on est et dire ce qu’on est pas, la marge est faible et vite franchie. Ayant nier ses compétences sans succès, le socialiste revendique au titre de modèle l’absence de compétences. L’individu qu’il sait ne pas pourvoir élever jusqu’à lui est présenté, selon un procédé relevant de la mystique, comme un modèle. S’ensuit un alignement des capables sur les incapables, d’abord dans le discours, puis dans la réalité. Comme cela ne suffit toujours pas (la nature est conservatrice) le recours à la violence pourvoit. En Chine pendant la Révolution culturelle — pour prendre l’exemple le plus criant — les gardes rouges détruisent les compétences en massacrant leurs détenteurs.
Agenda
L’année dernière j’ai cru avoir enfin réglé mon problème d’agenda: je cessais de me fier à la seule mémoire et concentrais mes notes dans mon téléphone portable. Or, sans même que je m’en aperçoive, j’ai doublé puis triplé mes moyens, recourant à la mémoire, à un agenda papier, à un agenda mural, quand je ne prends pas des notes dans le téléphone portable. Quant à consulter ces moyens, je n’en fais rien, convaincu de me souvenir de tout. Ainsi, la semaine dernière, j’ai noté un rendez-vous littéraire lié à un concours, appris quelques jours plus tard que j’étais le lauréat, confirmé ma venue et quelques heures plus tard j’achetais un billet pour Bangkok qui me fait partir la veille de mon rendez-vous.
Régisseur
La régisseur de notre précédent logement, rue du Criblet. Etre petit, ridé, trottant. Mariée à un propriétaire d’immeuble qu’on imagine retranché dans un bureau avec téléphones, ordinateurs et machine à café. Elle, qui n’apporte rien dans le couple, hérite du travail de terrain et y gagne un sentiment de puissance. La voix cassée et les paupières jaunes, le buste penché, elle griffonne et condamne et à voix basse jouit de sa position. Tout son office consiste à valoriser les biens du mari et lui rapporter de l’argent. En avare rusée, elle encaisse auprès des locataires et se garde de rembourser ce qu’elle doit. Elle les collectionne comme autant d’insectes, et le moment venu, lorsque ces locataires remettent leur logement, elle les cloue. D’une telle femme dont l’attitude malfaisante corrompt le physique, on dirait: elle s’en tire de cette façon.
Citoyens bruts
Pyramide de la censure que décrit Julian Assange. Seule la pointe émerge. Elle représente les assassinats politiques, les emprisonnements pour délit d’opinion, les journalistes et militants empêchés de parler. Les autres niveaux sont souterrains. Et d’abord, cette foule de citoyens qui pratique l’autocensure de crainte d’apparaître parmi les victimes de la pointe. Puis, au niveau inférieur, les individus que l’argent, les avantages, les réseaux corrompent. Un niveau plus bas, ceux qui parlent des sujets que le consensus leur propose comme unique régime de vérité. Enfin, les individus sans éducation, qui faute de comprendre, ne s’expriment pas et les individus qui n’ont pas accès à l’information. Dans cette hiérarchie du silence organisé m’intéressent d’abord l’autocensure (phénomène généralisé dans nos sociétés occidentales depuis la mise en place du programme multiculturel) et la figure du citoyen brut, celui qui ne comprend pas (dont les gouvernements, accédant naïvement aux pressions des lobbies, favorisent la multiplication).
Discussion extraordinaire
Tout-à-l’heure, condamné à prendre quelque repos suite au coup reçu au Krav maga et cherchant un effort de rechange, je m’imaginais sur un vélo statique, pédalant à côté de mon frère, avec qui j’avais une conversation extraordinaire. Je me demandais alors s’il était souhaitable que les autres clients du club l’entendissent. Mais oui, certainement! N’est-elle pas extraordinaire? Ce qui aussitôt heurtait mon goût de la discrétion. Ou peut-être s’agissait-il, par anticipation, d’éviter tout problème éventuel lié à la présence de mouchards. Puis je revenais sur le caractère extraordinaire de la discussion. En garder pour soi les bénéfices était une forme de vanité. Ce n’est pas ce que je visais. Fut-ce au prix d’un certain orgueil, je désirais que chaque client du club, après avoir entendu nos propos, se représente le mensonge que constitue ce deuxième monde, ce monde d’après la mort que font miroiter la religion ou encore la philosophie et admette qu’en devisant comme nous le faisions mon frère et moi, il était possible de faire advenir l’extraordinaire dans ce monde, le nôtre, en recombinant ses éléments. Au lieu de quoi, j’irai tout-à-l’heure au club m’installer seul sur un vélo et planterai dans mes oreilles des écouteurs pour suivre sur internet une conférence de Bernard Stiegler.
Hypostase
Conscience du lien de toutes choses. Elle se produit de deux manières distinguées. Un raisonnement sur un objet de pensée, par exemple le fondement des décisions d’Isabelle la Catholique sur le statut des financiers juifs convertis, amène à concevoir un réseau de significations — rapport à la communauté mozarabe, croisades, Jérusalem, histoire biblique, création d’Israël, Fuite hors d’Egypte, Hittites, empires grecs, etc. D’autre part: rôle de la finance dans la colonisation de l’Amérique, Jésuites, traité de partage avec le Portugal, luttes d’indépendance, castrisme, Guantanamo; et encore: peintures d’El Greco, mécènes, athéisme, commerce tout puissant, marché de l’art, globalisation, rivalité avec la Chine etc. Et ainsi de suite, selon des chemins logiques, subjectifs ou aléatoires — réseau de significations dont la richesse, la variété et l’extension représente à la conscience ce qu’elle est lorsqu’elle s’applique au tout et parcourt sans cesse chacune des parties de ce tout. La seconde manière est brève ou procède de la première manière, soit: je prends conscience du tout et l’exprime à travers cette formule “tout est lié”. Dans le cas où la conscience est brève, elle est sans origine, incontrôlable et son champ est vide: aucune signification n’apparaît. Pas de Jérusalem, de globalisation ou d’Hittites. En revanche, si elle procède de la première manière, elle indique que j’ai cessé de parcourir les significations pour les saisir toutes à la fois; je saisis alors une ensemble de significations innommables dont je ne peux rien dire sinon que “tout est lié”. D’une manière ou d’une autre, la question est posée de savoir si affirmer Dieu comme être réel ne revient pas à hypostasier ce sentiment du lien de toutes les significations.