Mois : décembre 2013

Histoire

Super­posées, mod­i­fiées, truquées, la plu­part des pho­togra­phies aujour­d’hui pro­duites représen­tent des sit­u­a­tions, des per­son­nes, des choses qui n’ex­is­tent pas, de sorte que le tra­vail sur archives des his­to­riens — sauf à retrac­er les manip­u­la­tions logi­cielles, ce qui impli­querait que la genèse des images a été mise en mémoire — abouti­ra à la fab­rique d’un roman international.

Malaga

Au Tin­tero, sur le bord de mer, avec quelques quar­ante per­son­nes, une fréquen­ta­tion mod­este pour cet étab­lisse­ment réputé où les garçons promè­nent les plats sous vos yeux et hurlent leurs noms. Si une bro­chette de lan­gouste, une salade mixte ou des anchois frits vous intéressent, vous lev­ez la main et le plat aboutit sur votre table. L’an­née dernières, aux même dates, Gala avait dis­paru sur la plage, le cuisinier était par­ti à sa recherche muni de torche.
A dix-sept heures, nous faisons con­nais­sance d’un Français retraité, marc­hand de chaus­sures de ski, d’armes et de bons mots, qui nous présente la femme dont il est amoureux: une Andalouse qu’il a con­nue à l’âge de dix-sept ans. Il vient de la retrou­ver.
- Et c’est le même amour!
Nous ter­mi­nons les bières, le pastis, le vin et regagnons l’hô­tel Atarazanas à bord d’une camion­nette de loca­tion. A vingt et une heures, nous sommes sur le port: le restau­rant où j’ai réservé pour mon anniver­saire est fer­mé — trop tôt. Plus tard, seuls clients, nous man­geons de l’ag­neau de lait. A deux heures et demie du matin, nous ren­trons par le quarti­er de la cathé­drale. Éclairées pour Noël, les ruelles de la vieille-ville sont en effer­ves­cence, les gens chantent, dansent et boivent, les ter­rass­es sont chauf­fées et bondées, qui veut accéder au comp­toir des bars doit se battre.

Stasi

Jacob Appel­baum, mem­bre du Chaos Com­put­er Club, racon­te que l’en­tre­prise qui a rem­porté l’ap­pel d’of­fres pour l’en­tre­tien du bâti­ment où sont con­servées les archives de la Stasi a été choisie parce qu’elle pro­po­sait le meilleur prix et qu’il a fal­lu six ans à l’or­gan­isme chargé de la con­ser­va­tion des archives pour décou­vrir que cette société avait été créée par des anciens de la Stasi pour net­toy­er leurs pro­pres archives.

Krav Maga

Au Krav Maga, exer­ci­ce de défense les coudes devant. Après plusieurs change­ments d’ad­ver­saire, me voici con­fron­té à un jeune de grande taille au crâne ras. Il assène un coup. Je reprends mon souf­fle, bande les mus­cles. Sec­ond coup. Il hésite. Je l’en­cour­age à taper fort. Il prend de l’élan, du plat du coude frappe à la hau­teur du plexus. Naïf, je lui fais signe de con­tin­uer. Alors il tape pour tuer. Je perds un mètre de ter­rain, rétab­lis mon équili­bre, me tâte, con­state que je n’ai pas le sif­flet coupé, ressens une douleur puis­sante, dis que ça va, et en effet, comme nous entrons dans la deux­ième heure d’en­traîne­ment, que le corps est chaud, ça va. Mais à vingt-deux heures, de retour à la mai­son, et le lende­main, dans l’avion pour Mala­ga, j’ai l’im­pres­sion à chaque pas, geste, souf­fle, que je soulève un sac de toile qui con­tiendrait un vase brisé. Des bruits de trousseau de clefs réson­nent der­rière la poitrine. Je tou­sse, respire, m’é­tends, m’étire, lis et relis des notices trou­vées au hasard sur inter­net pour déter­min­er si les côtes sont cassées, fêlées, ou s’il s’ag­it seule­ment de la mémoire du corps occupé à digér­er le choc — sans que le mal ait cessé, une semaine plus tard, je ne sais tou­jours pas.