SZ

Cette année la mode à Mex­i­co est au tatouage. Pour les femmes sur les cuiss­es et les mol­lets, pour les hommes sur les bras et dans le cou. Les plus orig­in­aux remon­tent l’en­cre jusqu’aux oreilles. Ceux qui croient dans leur per­son­nal­ité se rasent la tête et la font bleuir.

Chacaua

Dès le deux­ième jour je vois que je n’au­rai pas le temps de me ren­dre sur le côte de Oax­a­ca. Une plage rete­nait mon atten­tion, Cha­caua. Si j’ai com­pris, unique­ment atteignable en bateau. Ceux qui don­nent ce con­seil l’ont fréquen­tée il y a longtemps, donc il faut voir (j’é­tais moi-même à Puer­to Angel en 1986, don­nerais-je aujour­d’hui sans autre le con­seil d’y retourn­er?). Mais Tol­do s’en­gage : « je crois que tu pour­rais essay­er ». Sauf que j’ai des ren­dez-vous dans la cap­i­tale pour récupér­er mes com­man­des pro­fes­sion­nelles, cas­quettes, manuels, auto­col­lants et surtout des affaires admin­is­tra­tives (dont je ne peux par­ler ici) qui dépen­dent plus des inter­mé­di­aires que de mon énergie. Ain­si mieux vaut jouer sur le ter­ri­toire autour de l’hô­tel Plaza Rev­olu­ción puis décrire des cer­cles de plus en plus large dans Mex­i­co, à pied d’abord, en métro ensuite.

Liquidité

Mex­i­co et son désor­dre con­sis­tant : j’aime. Cha­cun vaque, nul ne se soucie, il y a déjà bien assez de prob­lèmes sans s’oc­cu­per des autres. Mais aus­si, il y a « coop­eración ». Au ras du trot­toir, les men­di­ants éclopés, la fille-femme son nou­veau-né au sein, l’ivrogne qui dort face con­tre terre ; debout, ils lut­tent, le pousse-maniv­elle de l’orgue de bar­barie, l’aveu­gle qui chante les yeux au ciel, le vendeur d’eau, et celui qui reçoit peu donne ce qu’il peut, c’est cela la « cooperación ».

Machina 12

(A la neu­vième con­férence Macy) Hen­ry Quastler présente ses esti­ma­tions de la “com­plex­ité” des organ­ismes au sens de la quan­tité d’in­for­ma­tion qu’ils con­ti­en­nent. Il con­jec­ture que l’adap­ta­tion ne peut être le fin mot de l’évo­lu­tion parce qu’elle est inca­pable d’ex­pli­quer la com­plex­i­fi­ca­tion des êtres vivants”. In Jean-Pierre-Dupuy, His­toire de la cybernétique.

Machina 11

“Atro­phie du cerveau seul”, nous dit Boris Cyrul­nik cri­ti­quant la soli­tude. Certes. Ajou­tons “atro­phie du cerveau sur­con­nec­té” dans une généra­tion dont l’e­sprit est noyé dans une matière men­tale expan­sée et infinie.

Machina 10

Quel intérêt à effac­er l’hu­man­ité? Et si le pro­grès, le change­ment par le pro­gramme et dans l’i­nouï, si ce jeu était le seul motif qui se présente encore devant une human­ité arrivée au but de l’ex­péri­ence de soi, cela même au prix de l’ef­face­ment? Les indi­vidus qui poussent à l’ac­céléra­tion sont “en défaut” en ce sens qu’ils sont des moins-vivants, inca­pables qu’ils sont de tir­er par­ti du réel tel qu’il est don­né (y com­pris dans sa forme recon­stru­ite). Mais les sociétés n’ont-elles pas tou­jours con­nu ce type d’in­di­vidus? Témoins les grands explo­rateurs. Demi-clochards devant les cours royales, le tem­péra­ment à l’es­brouffe, ils promet­tent monts et mer­veilles à leurs suzerains et quand ils con­quièrent ils changent la face du monde. 

Machina 9

Qu’est-ce que l’in­téri­or­ité? La répéti­tion dans le sujet d’ex­péri­ences avec le sujet qu’il iden­ti­fie comme intérieures et siennes. Ce sont ces expéri­ences détachées d’une causal­ité d’in­ter­ac­tion avec autrui qui, dans leur accu­mu­la­tion, con­stru­isent (sous quelle forme?) une réal­ité intérieure au sujet, réal­ité qu’il hypostasie et nomme “intéri­or­ité”. En l’oc­cur­rence, la meilleure preuve de l’ex­is­tence de l’in­téri­or­ité doit être recher­chée chez ses adver­saires le plus acharnés: l’acharne­ment démon­stratif auquel ils se livrent depuis des décen­nies con­tre le “fan­tôme” n’a jamais pu entamer chez le moin­dre indi­vidu la con­vic­tion qu’il a de l’ex­is­tence de l’intériorité. 

Machina 8

La méta­physique présente et définit l’âme, engage adhé­sion ou croy­ance. L’e­sprit est don­né dans l’ex­péri­ence. Quelles que soient les spé­cial­ités qui tra­vail­lent et pré­ten­dent en définir les con­tours, l’e­sprit demeure lié au corps. La ten­ta­tive de l’isol­er pour le recon­duire arti­fi­cielle­ment, com­préhen­si­ble au terme de la longue his­toire occi­den­tale des idées, résonne comme un appel dés­espéré ou un opti­misme fou. L’élim­i­na­tivisme qui appa­raît dans la philoso­phie cog­ni­tive explique ce qu’il explique et n’ex­plique pas ce qu’il n’ex­plique pas. — c’est sa déf­i­ni­tion. En d’autres ter­mes, la réduc­tion pose et affirme l’ir­ré­ductible. Ce pas­sage en force trahit la frus­tra­tion à laque­lle il veut remédi­er. Rien que de plus logique que de pay­er le prix de la méth­ode sci­en­tifique néces­saire­ment lié à la méth­ode du mod­èle. Une autre chose est de réalis­er la théorie, c’est à dire de pro­duire à par­tir de ses fon­da­men­taux une morale voire une philoso­phie sociale. La pour­suite de la vie sans le corps ou au-delà de la dégra­da­tion physique du corps ne fait que réin­tro­duire face à l’ef­froi prim­i­tif devant la mort, peut-être plus lanci­nant que jamais dans une époque sans dieux, une méta­physique dev­enue tech­nolo­gie toute puis­sante. Tout en imi­tant les straté­gies spécu­la­tives mod­ernes et les croy­ances cos­mologiques anci­ennes, elle s’en dis­tingue absol­u­ment en ce que le fonc­tion­nal­isme pose en principe la réal­i­sa­tion dans le temps et dans l’e­space. Or, le seul moyen d’achev­er cette réal­i­sa­tion (voie qu’­ex­plore le posthu­man­isme) exige de nier l’ir­ré­ductible dialec­tique­ment liée à la réduc­tion. Con­crète­ment, en sup­p­ri­mant le corps, c’est l’ex­péri­ence du sujet qui dis­paraît, ce vecteur néces­saire de la créa­tion, la trans­for­ma­tion et la com­mu­ni­ca­tion des con­nais­sances, émo­tions, désirs qui font l’homme humain. Dire que toute les con­nais­sances de l’hu­main sont aus­si les con­nais­sances de la machine; pour plus d’ef­fet, ajouter que la quan­tité et la vitesse de la mémoire plaident en faveur de la machine alors présen­tée comme un humain aug­men­té, c’est ten­dre un piège, sou­vent con­scient, au désir de longévité et de réal­i­sa­tion de l’in­di­vidu enfer­mé dans les lim­ites du corps pro­pre. Sans posi­tion d’in­com­plé­tude dans l’e­space et dans le temps, sans le néces­saire “point de vue leib­nizien”, il n’y a pas de per­son­ni­fi­ca­tion de la con­nais­sance et celle-ci demeure con­nais­sance brute par­mi des mil­liards d’autres con­nais­sances, toutes iden­tiques en valeur ou si l’on veut “sans-valeur”., créant dès lors un indé­cid­able, soit le con­traire du résul­tat de l’ex­péri­ence par posi­tion­nement spa­tio-tem­porel qui est le principe archi­tec­tonique de l’e­sprit-corps humain et de la société qu’il con­tribue à produire. 

Machina 7

Trou­ver autre chose, c’est l’in­sécu­rité en Dieu. Le principe du change­ment, le sor­tir de la glaise et la fin improb­a­ble qui n’est ni la vie sim­ple ni la mort simple. 

Machina 6

Adorno devant le total­i­tarisme, bien sûr. Mais surtout devant l’inévitabil­ité, jouée, rejouée, de la rup­ture de con­trat avec la cul­ture philosophique comme vecteur du pro­grès humain. A par­tir de ce point de con­stat, il débar­que en acharné tous les indices de ten­ta­tives de rup­ture du con­trat et cela depuis l’Amérique, au sein-même du libéral­isme conquérant.