Déclarer vos faiblesses vous rend aussitôt sympathique.
Pécores
Ces femmes, idiotes achevées, qui s’achètent une virginité morale en fustigeant les comportements certes peu défendables des hommes avec qui elles étaient en commerce sans s’apercevoir que ce procès, monté par les hommes du pouvoir, préparent leur prochaine dévalorisation en tant que marchandise sexuelle à l’usage des nouvelles population d’Europe aux mœurs sexuelles rudimentaires.
Vérité d’Etat
G., cette femme de Londres que je souhaitais rencontrer et avec qui j’ai pris contact, autant pour l’avoir aperçue et trouvée charmante que pour le caractère qu’annonçait son physique, mais encore du fait de ses préoccupations intellectuelles, tournées vers le vélo de long cours et les vagabondages littéraires, habite dans un quartier de la capitale que je connais. Or, on y habite parce qu’on est pauvre, donc faute de pouvoir le quitter (j’exclus cette raison, elle a des moyens, ses livres rencontrent le succès), parce qu’on est musulman (elle ne l’est pas) ou en raison, dernière option, d’un parti-pris. Ce qui, conclusion oblige, me fait entendre que nous ne pourrons converser que pour se heurter bientôt du fait de nos adhésions personnelles. Telle est la division idéologique introduite dans notre démocratie par la vérité d’Etat. Rappel d’un temps récent, à l’est, où la méfiance démobilisait toute tentative d’amitié (reste l’amour, par nature dangereux).
Mai
Drôle de temps, dit-on chaque année en mai, c’est le cas; la matinée est ensoleillée, puis les nuages s’amoncellent au-dessus des toits, les moutons bêlent, les gouttes tombent. Avant de se cloîtrer pour éviter l’averse, les voisins sortent dans l’étroite rue boire un vin. Le paysan tape à ma porte. Je sors.
-Les vaches de Roberto ont vêler? Il m’a semblé voir tourner les rapaces qui chassent le placenta.
Ensuite nous parlons de Berlin. La fille du paysan s’est fait dérober son passeport, il a fallut descendre à la ville où la garde civile à envoyer un double à l’aéroport de Shönfeld. J’évite d’insister sur l’insécurité des capitales-poubelles, cela mènerait trop loin. Pour le voisin, c’est un cas isolé, faiblement statistique — vue d’Agrabuey la réalité est autre. Un craquement a lieu dans le ciel. Une grêle s’abat sur le quartier. Je rentre et dresse la tête. A travers les Velux nouvellement posés, je mesure la taille des pépites, songeant aux cerises de Sanz, inquiet pour le capot de ma Dodge. On tape encore à la porte. Sanz, encore lui, il apporte un bol de “perro chico”, champignons ramassés à l’aube sur le versant sud de la montagne.
Suite
Celui qui manque de suite dans les idées est un citoyen à l’utilité pleine, adaptable et souple dans ses convictions, porteur de virtualités, de directions, bref un élément sûr. A l’inverse, celui qui marchant selon des principes, chevillé à des buts et marqué au sceau du caractère, n’ordonne son action à celle de la société que pour autant qu’elle convienne, est un citoyen à risque, objet de défiance voire de contrôle. Reste celui qui n’a aucune suite dans les idées, le fou.
Antiracisme
De tous les concepts fabriqués dans un but d’asservissement des foules, celui d’antiracisme est le plus toxique. Passe encore que certaines bonnes âmes, naturelles ou intellectuelles, à l’époque où Benetton, le marchand de couleurs, montait son escroquerie commerciale, aient cru utile de battre en brèche le démon du racisme, mais aujourd’hui? D’ailleurs le reflux est significatif: hormis les politiques qui espèrent récolter des voix jusque chez les gens qu’ils méprisent et par profession ne distinguent pas entre le grain de l’ivraie, il n’y a guère que des assistés mentaux payés par des millionnaires pour promener des calicots en faveur de l’antiracisme. Problème, le mal est fait. Notre savoir a fondu sous le poids des masses périphériques déversés sur les villes, la culture est abâtardie, la langue étiolée, le civisme l’ombre de lui-même. Deux camps sont en voie de constitution: les suicidaires qui nient la réalité — “tout va bien” — et les affreux: ceux-là essaient de passer en coulisse. Quand le drame sera joué, ils reparaîtront avec des habits neufs, proclamant qu’ils n’ont jamais été de ceux qui soutenaient l’antiracisme. Ici, enfin, ils auront raison, l’histoire se répète: les collaborateurs, ces girouettes, ont vite fait de s’inventer des actes de résistants.
Manger
Moi qui aime manger, mon plaisir va faiblissant. Pire, je me méfie de la variété. Ces étalages de poisson, de charcuterie, de tartes, de mets préparés m’inquiètent. Leur vue déclenche un sentiment de duperie. Les victuailles prises la semaine dernière dans ce supermarché de Tarbes dont j’ai écrit ici qu’il était en réfection et condamnait les acheteurs à participer au jeu du chat et de la souris, m’ont paru d’une essentielle pauvreté. Va pour les fromages, mais le canard, le steak, les fruits, le pain. Aussi limité-je ma consommation au riz, aux pâtes et aux légumes du nord, chou, carottes, betterave que je compose avec de l’huile d’olive, de l’ail et de l’oignon. Comment en est-on arrivé là? Il y a vingt ans, je vivais dans la campagne du Gers, les marchés de rue étaient encore achalandés. Aujourd’hui, c’est misère. Les choses de la terre ont migrées vers la grande distribution où elles se sont dévalorisées. Rengaine de toujours, l’abus de position dominante, imparable.