Crise

Une crise, c’est le moment où ce qu’on a appris, ce qu’on sait, ne sert plus — le réel s’échappe.

Confusion

Sur le plan de tra­vail de la cui­sine, la tapette à mouch­es, un pinceau imprégné (je peins au salon), mon verre de vin, plusieurs spat­ules et un autre verre de vin mêlé de pro­duit vais­selle, piège à mouche selon une recette de grand-mère. Ecrivant ou peignant, dis­trait absol­u­ment, il faut, lorsque je sur­veille à dis­tance la con­fec­tion d’un plat, une grande atten­tion pour ne pas soulever les œufs avec la tapette à mouch­es ou ne pas boire le piège à mouches.

Loi 2

Nantes, tou­jours: imag­ine-t-on un voy­ou bag­da­di se faisant explos­er au pied d’un véhicule chargé de sol­dats améri­cains (lesquels n’ont selon moi rien à faire en Irak) dont la famille, aus­sitôt après l’acte meur­tri­er, recevrait du prési­dent des Etats-Unis un témoignage de sym­pa­thie? Le chauf­fard immi­gré qui fonce sur un bar­rage de police, freine, recule pour tuer et tente la fuite, par ailleurs récidi­viste, n’est pas un con­duc­teur con­trôlé par la police, mais un guer­ri­er en zone de com­bat. L’adap­ta­tion du vocab­u­laire relève de l’im­pératif sécu­ri­taire. Con­tre lui, aus­si cyniques que les nobles dégénérés de 1793 dont la réthorique n’avait d’é­gale que l’ar­ro­gance, les élé­ments fonc­tion­nels de la classe poli­tique nationale.

Mondial

Match élim­i­na­toire au bar du vil­lage. Les voisins sont tous là, mais séparés: les femmes à la table du fond, sous les vues d’A­grabuey peintes par Luisa et José-Luis (un cou­ple), les homme sur des tabourets, la tête lev­ée vers l’écran où Croates et Russ­es dis­putent le quart de final. Ser­rés der­rière une table, en rang d’oignons, Luv, Aplo, moi, par­lant français, ce qui au comp­toir inquiète un paysan, puis par­lant espag­nol, ce qui le sur­prend, et les autres, qui me con­nais­sent, expliquent: “Oui, c’est lui… Pas Espag­nol, non. Je sais, il par­le comme un Castil­lan, mais non, il est de… Où déjà Cala?”

Bilbo ‑Bilbao

Assis dans un parc, sur un banc, au-dessus de Gernikako Arbo­la Hiribidea, dans le quarti­er Derio de Bil­bao, j’at­tend les enfants qui bien­tôt passent à cinquante mètres au-dessus de ma tête à bord du air­bus d’Easy­Jet en prove­nance de Genève, lequel ter­mine au-dessus de ce quarti­er son approche de piste.

Pour le bombardement de la ville de Lausanne (suite).

Emeutes de voy­ous à Nantes, France. Les sim­ples du quarti­er, habi­tants prim­i­tifs, saut­ent, pil­lent, vocif­èrent, brû­lent. Je m’en réjouis. Détru­ire l’habi­tat est de pre­mière util­ité. Le sen­ti­ment de dépres­sion, déjà lourd à porter au quo­ti­di­en, aug­mente à pro­por­tion. Mais surtout, un ter­ri­toire nation­al devant être con­sid­éré comme une plan innervé, il pèse sur les men­tal­ités loin­taines, rav­age donc par télé-empathie les dernières vir­tu­al­ités énergé­tiques de ce peu­ple, les Français, qui triche depuis trop longtemps avec les valeurs. Notant cela, je m’empresse de dédouan­er toute approche nationale. Ma plus grande sat­is­fac­tion serait que se cal­ci­nent sur nos chaussées de doux velours munic­i­pal, dans Lau­sanne, des lim­ou­sines incendiées par les anal­phabètes d’im­por­ta­tion. Ce qui, selon les lois de la physique clas­sique (et l’his­toire n’est pas encore passée au sché­ma quan­tique), mêmes caus­es, même effets donc, ne man­quera pas d’ar­riv­er. Ce grand soir, comme dis­ent en se gar­garisant les révo­lu­tion­naires, lequel ne se pro­duira pas dans cette forme, rien d’aus­si stratosphérique ne pou­vant se pro­duire sans l’aide de l’in­tel­li­gence,  je me réjouis de revenir dans ma ville de nais­sance pour débat­tre du futur.

Fascination

Fasciné par la beauté des femmes, que je con­fonds avec la grâce, c’est plutôt elle l’ob­jet de ma fas­ci­na­tion, je m’é­tonne à l’in­stant, comme je pas­sais par la salle de bains et jetais à un œil sur mon médiocre por­trait, par la con­for­ma­tion ridicule, dis­ons-le laide, de l’hu­main eu égards aux règles de la con­ve­nance et de la géométrie telles qu’elles sont exploitées dans la déf­i­ni­tion du parfait.

Lenbachhaus

Toiles splen­dides, roman­tiques, expres­sion­nistes et pom­piers, œuvres de pein­tres qui savent dessin­er et pein­dre, qui con­nais­sent les couleurs et savent traiter la lumière (Lowis Cortinth par exem­ple), un régal; puis on passe à ce for­mal­isme dont la jus­ti­fi­ca­tion his­torique évi­dente ne rachète pas l’ab­sence du plaisir de con­tem­pla­tion (Klee); enfin, on arrive dans les salles con­tem­po­raines, dont il faut ressor­tir au plus vite (idéale­ment, pour aller chercher un type à l’e­sprit bro­can­teur qui débar­rasserait), encom­brées qu’elles sont d’un bric-à-brac pop, con­ceptuel, instal­la­teur et objec­tif (même l’ex­cel­lent Gehrard Richter était représen­té par des toiles proches du gribouillis).

Autriche 2

Même si elles ne fonc­tion­nent pas, j’aime les solu­tions sim­ples. “Tu n’as qu’à tra­vers­er ce pont et on va dans le pre­mier vil­lage côté autrichien!”, ai-je dit. Et comme c’est la voiture de Gala et que c’est Gala qui con­duit, je guide, du moins j’es­saie. Je fais: “là!”. Car il m’a sem­blé voir un pan­neau indi­quant notre vil­lage, ce “pre­mier vil­lage autrichien”, Nieder­dorf. Nous roulons sur une voie de ser­vice, devant un bar­rage, au-dessus de plusieurs réser­voirs, puis sur un chemin de terre. Ce n’est pas là. A l’év­i­dence. Pour­tant, j’ai vu un pan­neau. De fait (nous le véri­fierons plus tard), il y a un pan­neau… réservé aux cyclistes. Mais voici le mir­a­cle. Entêtés que nous sommes, nous pour­suiv­ons le long du chemin et soudain, plan­té sur le bord de route, nous trou­vons un édicule en forme de chalet, en réal­ité une vit­rine con­tenant des images de chalets d’été et des Gasthaus, avec chaque fois le nom du pro­prié­taire et son numéro de télé­phone. Tan­dis que je sif­fle et donne des coups de pieds dans les cail­loux, Gala, brusque­ment revig­orée, télé­phone. Et mir­a­cle, le deux­ième, grâce à elle, quelqu’un décroche et dit: “venez, je vous attends”. Ain­si, nous arrivons chez une mer­veilleuse petite dame qui tient, ou plutôt tenait avec son mari, une auberge énorme de trente tables et autant de cham­bres et non, elle ne fait plus com­merce, mais enfin, “vous êtes là, je vais vous pré­par­er une cham­bre (car, il faut dire, Gala est une femme qui inspire la con­fi­ance, tout le con­traire de ce que j’in­spire — comme quoi les apparences son trompeuse — je plaisante — à moitié…)”. Bref, nous voici dans une cham­bre en bois, avec son bal­con région­al, ses cou­vre-lits brodés et, au rez, son immense salle à boire gar­nie de bocks anciens et de médailles et de scènes de chas­se. Et en atten­dant de prof­iter de cette sit­u­a­tion idéale, comme nous n’ai­mons pas la bière du café de vil­lage, la Anker, nous retra­ver­sons l’Inn et allons boire de l’autre côté, en Alle­magne.

Autriche

Quit­té Bran­nen­burg, la quête d’un hôtel recom­mence et ce sont tou­jours ces jolis vil­lages, avec en leur cen­tre le clocher, la fontaine, les bacs d’oeil­lets rouges et verts, la brasserie et le Gasthaus, dont le tarif des nuitées vous troue les poches, de sorte que nous pas­sons la fron­tière, sommes en Autriche, à Kuf­stein, ville répan­due au  pied d’un gros cail­lou sur lequel est édi­fiée une forter­esse (haute et grosse et pleine de meur­trières, un funic­u­laire monte les vis­i­teurs), même décor, intérêt, bon­heur que Viège, notre ville garde-meu­ble du fond de la val­lée du Rhône (si Migros, le mono­pole nationale de nour­ri­t­ure avait fait les plans de notre beau pays toutes les aggloméra­tions ressem­bleraient à Viège), et qu’y fai­sions-nous, à Kuf­stein, dans la rue prin­ci­pale et presque unique nous allons, Gala lente­ment, il y a des bou­tiques de chaus­sures, moi plus vite (il y a des Turcs), allant et venant, répé­tant “bon, on y va!” et Gala, fascinée par la pos­si­bil­ité d’achat d’une trois-cent quar­ante-cinquième paire de chaus­sures, dis­traite au point de ne pas enten­dre “oui, oui…”, et à la fin, je veux dire la fin de la rue, se tient une mag­a­sin de sport, j’achète une barre de trac­tion pen­dant que Gala prof­ite du réseau inter­net pour chercher un hôtel et nous repas­sons la fron­tière alle­mande, arrê­tons devant un hôtel, Gala entre, demande les toi­lettes, ressort dit “j’ai dû payer”.