Voyage au Congo

Descrip­tion de la remon­tée du fleuve Con­go que donne Gide dans ses car­nets. Elle est pic­turale, presque d’un pein­tre. A l’op­posé des réflex­ions cul­tivées de l’au­teur. L’écrivain sem­ble aba­sour­di devant tant de nature. Forêts, vil­lages, ciels, ani­maux, tout est brut et inas­sim­i­l­able pour un esprit affiné. D’où cette approche rétini­enne que dépar­ent les lec­tures de l’au­teur, éru­dites: “Le Ruby est flan­qué de deux baleinières aus­si longues que lui, chargées de bois, de caiss­es et de nègres. Il fait frais, moite et ter­ri­ble­ment orageux. Dès que le Ruby se met en marche, trois nègres com­men­cent un assour­dis­sant tam-tam, sur une cale­basse et un énorme tam­bour de bois long comme une couleu­vrine, grossière­ment sculp­té et pein­turluré.
Relu l’o­rai­son funèbre de Marie-Thérèse d’Autriche. Admirables pas­sages; je crois bien que je le la préfère à celles des deux Henriettes.” 

Boxe

Same­di à Las Vegas, spec­tac­u­laire match de boxe entre les deux cham­pi­ons de la caté­gorie poids moyens Saul Cane­lo Alvarez, le Mex­i­cain et Gen­nady Golovkin, le Kaza­kh. Tech­nique, puis­sant, pré­cis. Résis­tance impres­sion­nante des com­bat­tants, volon­té sans pareil. Cela, dans le respect de l’esthé­tique de ce sport entre tous le plus exigeant.

Dix semaines

Enfin la pluie après l’or­age. Des gouttes épaiss­es semées de grêlons. De la tour de l’église roulent des trombes d’eau. L’eau rebon­dit sur les march­es, envahit la rue, va à la riv­ière. Chez Igna­cio les pommes trem­blent, les pétales de ros­es volent. Il pleut égale­ment au salon, sur le téléviseur, la con­sole, le clavier. Dix semaines qu’il n’é­tait rien tombé. 

Existence

Un exis­tence dure le temps qu’il faut pour pren­dre con­nais­sance de l’ensem­ble des choses qui en font par­tie y com­pris les spécu­la­tions sur les alter­na­tives et le con­stat de l’impossible.

Pain

Du beurre sur le couteau, je suis le pre­mier arrivé dans la boulan­gerie. La vendeuse est absente. Dans les machines, dans la farine, des sil­hou­ettes de femmes. Aucune ne fait le ser­vice. Les clients s’en­tassent. J’af­frète une bus, nous mon­tons. La boulangère à emprun­té le même cir­cuit: il faut la ramen­er.
-Mets l’au­to­toire, dit mon copi­lote.
Je ne bouge pas.
-L’au­to­toire!
-Quoi? Qu’est-ce que c’est?
-L’au­to­toire, l’au­to­toire!
Furieux, je lui jette des bouteilles à la fig­ure:
-Parce que toi tu as lu les cinq cent pages du manuel, tu les as lues? Eh bien moi non plus!
-L’au­to­toire, dit-il d’un air désolé, c’est la fonc­tion qui nous recon­duit le véhicule à la boulangerie.

Samizdat 2

Dans une cri­tique de la NRF de 1987, Lau­rand Kovacs com­mente le livre d’Ax­ionov Un petit sourire s’il vous plaît: “Il mon­tre com­ment les valeurs qui fondent le pou­voir, et le pou­voir lui-même, sont con­fisqués au prof­it d’une caste de con­ser­va­teurs et de ren­tiers de la Révo­lu­tion. De leur côté, tant qu’ils restent sages, les artistes béné­fi­cient d’a­van­tages con­sid­érables: ils sont les ali­bis stipendiés de l’or­gan­i­sa­tion qu’ils nar­guent en un défi permanent”.

Samizdats

Amadouant les bêtes par la bêtise, la presse quo­ti­di­enne s’est bien­tôt mise au ser­vice du cap­i­tal­isme automa­tique lequel s’en sert pour pouss­er son pro­gramme de réduc­tion des per­son­nes à l’u­nité économique, trans­pos­able, sac­ri­fi­cielle. Ce faisant, elle a per­du ses lecteurs. D’où son engage­ment con­tre la lib­erté de l’in­ter­net dont les mil­i­tants cherchent à rétablir l’in­for­ma­tion et déclar­ent les employés de presse pour ce qu’il sont, des larbins. La séquence, n’en dou­tons pas, se repro­duira avec les édi­teurs. Et les samiz­dats élec­tron­iques envahi­ront le réseau, pour­suiv­is par des logi­ciels de nettoyage.

Haut-bas

Tou­jours pen­sé que l’on pou­vait s’en sor­tir par le haut et par le bas. Sor­tir, terme sym­bol­ique, mais aus­si matériel. S’oc­cu­per de son corps, le porter vers l’is­sue. Par le milieu, non. Trop de monde. Les moyens vont à la moyenne. Ils sat­urent le champ. En bas, la mort, en haut la grâce. Dans la donne mod­erne, la richesse et son cortège d’a­van­tages, d’ex­cep­tions, de passe-droits. Les rich­es vivent des ponc­tions sur le mul­ti­ple, sur la foule, ce moyen, ils en vivent sans y touch­er. Les autres, ceux du bas, s’ils échap­pent à l’ac­ci­dent, se salis­sent les mains et char­ri­ent avec eux le poids ressen­ti de la bête. Deux façons. L’aérien, le ter­restre. Au milieu, on va aveu­gle et se ras­sur­ant sur le mérite de cet état, résigné, une sorte d’offense.

Pouvoir

Rien de moins recom­mand­able que le pou­voir — sauf à l’ex­ercer sur soi.

Extraordinaire

A Gala je par­le de quelques mir­a­cles opérées par des mys­tiques con­tem­po­rains. Elle dit: cela ne m’in­téresse pas. Je lui rap­porte le cas de cette anglaise morte en 1991 qui écriv­it huit cent par­ti­tions musi­cales sous la dic­tées des com­pos­i­teurs morts Chopin, Bach, Beethoven ou Stravin­sky. Gala hausse les épaules. J’in­siste:
-Mais enfin, n’est-ce pas extra­or­di­naire?
-Que cela soit, je n’en doute pas. J’ai seule­ment dit que je ne voulais pas y penser. D’ailleurs, je t’ai plusieurs fois racon­té. A vingt-six ans, à Venise, dans une cave, une voy­ante t’a vu. Elle a décrit ce que tu es dans le détail, tes yeux, leur couleur, ton car­ac­tère. Elle a même dit que tu fai­sais un méti­er étrange. Et que je tomberai amoureuse de toi.