Rêve

Avec l’écrivain O.T. dans cette salle à boire. La serveuse ne vient pas. Je me lève pour la quérir. Elle file. Je sors du café. Tout en me sachant atten­du, je m’éloigne. Désor­mais, il me faut faire le tour de la ville. Le long de l’av­enue, des kayak­istes ruis­se­lants. Ils tirent leurs embar­ca­tions de la riv­ière. Les dresse, les pose sur cales. Je bous­cule un cata­ma­ran qui tombe. “Ce n’est pas moi!”, dis-je au chef de groupe. Je me rap­proche du café où m’at­tend O.T, mais voici un marché. Je me fau­file entre les marchan­dis­es éparpil­lées au sol, foulards, bracelets, encens, cein­tures. Les chemins se refer­ment. Je pié­tine des sacs, des mou­choirs, des mon­tres. Est-ce grave? Sans per­dre de vue mon but, j’in­ter­roge les hommes assis au milieu de la pacotille. Ils m’ig­norent. Le café est encore loin.

Cravate

Mal­gré la cra­vate de l’hôte, le cou­ple nous fit bonne impres­sion. Cet objet usuel n’é­tait pas en tis­su mais de métal. Raide, pat­iné, il oblig­eait ce Mon­sieur d’âge moyen à par­ler haut et fort, le men­ton ten­du. Au cours de la soirée, égayée par des chanteuses burk­in­abés, nous com­prîmes que toute la vie du château tour­nait autour de cette cra­vate. A l’heure de gag­n­er nos cham­bres, le maître d’hô­tel l’en­fer­ma dans une vit­rine. Cet enfer­me­ment fut précédé d’une courte céré­monie à laque­lle les jumelles du pro­prié­taire nous con­vièrent avec insistance.

New age

Rêver toute la nuit de l’hy­per­indi­vidu. De la façon dont il con­sid­ér­era son corps et son esprit, ces deux com­posantes vides de l’être brut et, rationnelle­ment, après éval­u­a­tion des plaisirs recher­chés, plac­era des deman­des d’achat pour devenir quelqu’un, bifurquant à l’oc­ca­sion sur la foi d’une pub­lic­ité ou par l’ef­fet de la con­cur­rence mimétique.

Emballement

Et dans ce silence, au vil­lage, sans rai­son, l’e­sprit s’emballe, les nerfs sont agacés, je donne dans toutes les direc­tions. L’es­sai, je crois. Hâte d’en finir, con­science que cela avance à petits pas. D’où cette accéléra­tion à vide. Comme pour me venger, je mul­ti­plie les affaires: éla­bore un pro­jet de réseau d’af­fichage élec­tron­ique, me ren­seigne sur les fab­riques de T‑shirt au Cam­bodge, com­pile les extraits de ce Jour­nal pour une revue parisi­enne, achète des bil­lets d’avion, fais les plans de notre future cham­bre en bois, réserve et annule des hôtels, étudie mon “knife ans tom­a­hawk throw­ing guide”, mène mon vélo à répar­er, cui­sine indi­en et castil­lan. Si bien qu’il sem­ble que je suis en train de courir — sur place — un marathon dou­blé d’un par­cours d’obstacles.

Confusion

Les sociétés vieil­lis­santes con­fondent reli­gion et char­ité, les jeunes reli­gion et puissance.

Skis

Pris livrai­son de mon matériel de ran­don­née. Skis, peaux, cro­chets, bâtons téle­scopiques et radar de cou. Le vendeur s’ar­rête de tri­er ses champignons. A peine m’a-t-il salué:
-Tu cois que c’est pos­si­ble toi? Per­son­ne n’a franchi le seuil de ma bou­tique aujour­d’hui et main­tenant que tu es là, voilà deux clients. Bouge pas, je reviens!
De retour, il véri­fie mes achat, règle les fix­a­tions.
-Là.
-Et le radar.
-Ah, oui.
-Com­ment ça fonc­tionne?
-Oh, tu ver­ras bien. Demande à ton voisin, le guide.
Et il retourne à ses champignons.

Dit-il.

“Notre mis­sion est de con­serv­er les actifs.”

Bois

Par temps de brouil­lard, jours pais­i­bles, coupés du temps. Le chat miaule devant la mai­son. Dans son lit la riv­ière coule sur une demi-largeur char­ri­ant des eaux de pluie ter­reuses. Il a neigé sur les som­mets, mais avec des tem­péra­tures aus­si hautes le ciel ne blanchi­ra pas les rues avant décem­bre. Hier, Bus­tos a débar­qué une tonne de bois. J’é­tais allé le chercher à la ville, dans cette zone indus­trielle où il tra­vaille avec ses fils, des gail­lards velus, comme sor­tis de la grotte. En approchant de leur repaire, je vois qu’il n’y est plus; à la place, un ter­rain éven­tré.
-Bon dieu, dis-je à Gala, ils ont rasé!
En fait, je me trompais de trois numéros. Leur affaire est plus bas dans la rue. Les homme se tenaient dans le local. C’est une baraque posée plus que bâtie, sans porte, sans con­fort. Elle sert à la fois de bureau et de cui­sine, on y voit un lit. Un vieil­lard est assis. Il porte une cape. Son physique rap­pelle celui d’An­tonin Artaud dans Napoléon. Tan­dis que le père énonce “du mélange, mille kilos.. et du petit, vous en prenez? Alors deux sacs!”, un col­lègue grif­fonne la com­mande sur un bout de papi­er. Un des fils se tient devant la table. Il déballe des chew­ing-gum, bon­bons, ficelles au sucre et caramels, les reni­fle et les jette dans un sceau rem­plis d’é­pluchures. Quand l’autre a fini de not­er, Bus­tos fait:
-Voilà! On vient quand, main­tenant?
-Plutôt demain.
-Demain?
Les per­son­nes présentes dans le local s’in­ter­rompent.
-Le matin?
-Pas trop tôt.
-Onze heures.
Alors celui qui a noté la com­mande:
-12h30, après on mange.
Tous grog­nent pour approu­ver. Et Bus­tos:
-Mer­ci Alexan­dre (car je viens de lui rap­pel­er mon prénom).
Le lende­main, à l’heure dite, il recule le camion dans notre rue, lève le pont, ren­verse les mil kilos de bûch­es sur le pavé.
-Tu crois qu’il va neiger Alexan­dre?
Il encaisse, s’en va. Le silence revenu, le voisin passe la tête par la porte cochère de sa mai­son:
-Hé!
-Oui.
-J’ar­rive, on va ren­tr­er ça!
Il pose sa canne et pen­dant une heure porte mon bois.

Bar

Arrivé à Agrabuey. Vaste silence, le val­lon ruis­selle. Au bar, juché sur un échafaudage, je trou­ve le maire. Avec des plâtri­ers, il abaisse le pla­fond, cloi­sonne, lisse de l’en­duit. Sen­ti­ment que les choses changent trop vite. Qu’elles changent pré­cisé­ment quand on arrive. Moi qui ait con­nu l’a­vant. Lequel ne revien­dra pas. Ce qui, bien sûr, est une erreur d’in­ter­pré­ta­tion. Il y a tou­jours un avant et un après. Ils se suc­cè­dent. Infin­i­ment. Ain­si, cha­cun a la pou­voir de dire, quelque soit le moment de son con­stat, “autre­fois, ici…”. Pour­tant, comme je m’en­tre­tiens avec les autres vil­la­geois du chantier du bar, tous s’ac­cor­dent pour dire: “Oui, dom­mage, ce bar, c’é­tait bien, pourquoi changer?”.

Bien

Tout va bien. Quelle sat­is­fac­tion de pou­voir le dire! Si bien que je me le répète, et cela depuis deux, même trois . Nuit acro­ba­tique, tor­ride, le matin voiture grosse et chaude, tra­ver­sé la mon­tagne en écoutant du hard-rock à pleins tubes, de retour à la mai­son, un feu épais, de la bière suisse au frigidaire, que deman­dez de plus?