Bois

Par temps de brouil­lard, jours pais­i­bles, coupés du temps. Le chat miaule devant la mai­son. Dans son lit la riv­ière coule sur une demi-largeur char­ri­ant des eaux de pluie ter­reuses. Il a neigé sur les som­mets, mais avec des tem­péra­tures aus­si hautes le ciel ne blanchi­ra pas les rues avant décem­bre. Hier, Bus­tos a débar­qué une tonne de bois. J’é­tais allé le chercher à la ville, dans cette zone indus­trielle où il tra­vaille avec ses fils, des gail­lards velus, comme sor­tis de la grotte. En approchant de leur repaire, je vois qu’il n’y est plus; à la place, un ter­rain éven­tré.
-Bon dieu, dis-je à Gala, ils ont rasé!
En fait, je me trompais de trois numéros. Leur affaire est plus bas dans la rue. Les homme se tenaient dans le local. C’est une baraque posée plus que bâtie, sans porte, sans con­fort. Elle sert à la fois de bureau et de cui­sine, on y voit un lit. Un vieil­lard est assis. Il porte une cape. Son physique rap­pelle celui d’An­tonin Artaud dans Napoléon. Tan­dis que le père énonce “du mélange, mille kilos.. et du petit, vous en prenez? Alors deux sacs!”, un col­lègue grif­fonne la com­mande sur un bout de papi­er. Un des fils se tient devant la table. Il déballe des chew­ing-gum, bon­bons, ficelles au sucre et caramels, les reni­fle et les jette dans un sceau rem­plis d’é­pluchures. Quand l’autre a fini de not­er, Bus­tos fait:
-Voilà! On vient quand, main­tenant?
-Plutôt demain.
-Demain?
Les per­son­nes présentes dans le local s’in­ter­rompent.
-Le matin?
-Pas trop tôt.
-Onze heures.
Alors celui qui a noté la com­mande:
-12h30, après on mange.
Tous grog­nent pour approu­ver. Et Bus­tos:
-Mer­ci Alexan­dre (car je viens de lui rap­pel­er mon prénom).
Le lende­main, à l’heure dite, il recule le camion dans notre rue, lève le pont, ren­verse les mil kilos de bûch­es sur le pavé.
-Tu crois qu’il va neiger Alexan­dre?
Il encaisse, s’en va. Le silence revenu, le voisin passe la tête par la porte cochère de sa mai­son:
-Hé!
-Oui.
-J’ar­rive, on va ren­tr­er ça!
Il pose sa canne et pen­dant une heure porte mon bois.