Problème fondamental

Voix offi­cielle. Du pou­voir. Dans notre sphère poli­tique, le gou­verne­ment. Comme sanc­ti­fiée. Hors théolo­gie, on dirait: faite vérité. Les des­ti­nataires, nous, le peu­ple, lui accor­dent crédit du sim­ple fait qu’elle est proférée par l’autorité.

Poussière

Trou­vé ce jour de Mon­ther­lant les pages de jour­nal regroupées sous le titre Va jouer avec cette pous­sière! Je les cher­chais de longue date.

Pain

Au milieu de l’après-midi, près du marché de San­t’Am­bri­o­gio, par une chaleur de trente degrés, une femme blonde et belle, grands cils, fort décol­leté, sert, pour accom­pa­g­n­er une salade de tomates et de “moz­zarel­la de buf­fala” un pain chaud. Gala s’é­clipse. De retour, elle a con­venu d’un ren­dez-vous. La nuit, elle vien­dra faire le pain avec la patronne.

Bus 37

Effet ravis­sant sur le corps, l’e­sprit et l’âme, d’un jeune man­nequin, une femme, mon­tée à bord du bus que nous emprun­tons avec Gala pour la Por­ta Romana.

Lâcheté

Dans les squares de Flo­rence, à portée des flots de touristes chi­nois, des nègres sapés à l’améri­caine, drogués et ivres, a demi-nus et vocif­érants, s’écroulent. De jeunes Ital­iens, ambu­lanciers empressés, sol­idaires, volon­taires, mal payés, avec un matériel de com­bat civ­il les embar­quent et les emmè­nent vers les con­forts de l’In­sti­tu­tion social­iste d’Etat.

Disparition

Aux dernières nou­velles, dif­fusées ce jour par la sta­tis­tique madrilène, l’Es­pagne se dépe­u­ple. Pourvu qu’au­cun polichinelle, avide de touch­er une plus-val­ue sur le tra­vail des mass­es, n’ob­ti­enne de con­va­in­cre que l’on peut “faire de la crois­sance” en repe­u­plant avec des va-nu-pieds prélevés sur les stocks du tiers-monde.

Débit

A ce jour j’ig­no­rais, sinon dans sa déf­i­ni­tion, ce qu’est une loghor­rée. Désor­mais, je véri­fie chaque soir son sens en écoutant par­ler la voi­sine con­tinû­ment, der­rière la haie (je ne l’ai pas encore aperçue), sans ponctuer ni repren­dre son souf­fle ni laiss­er la moin­dre occa­sion au mari d’in­ter­rompre le flux, tant elle débite sur un ton monot­o­ne et qua­si machinique vingt et trente min­utes d’affilée.

Campagnes

Aujour­d’hui encore, et mal­gré les dépré­da­tions, la beauté des sites de cam­pagne dans les alen­tours de Flo­rence donne un aperçu de la qual­ité de la vie que menaient avant la péri­ode des machines les gen­til­shommes, les paysans, mais aus­si le peu­ple, ne serait-ce que par la richesse des ter­res qui, arrosées et ensoleil­lées, pro­duisent en abon­dance fruits et légumes en même temps qu’elle offrent d’in­nom­brables pacages sur berges. Habitué à l’Es­pagne, con­ti­nent vide et brûlé, le con­traste est com­plet. De toutes parts la vigne monte à l’as­saut des collines et dans un même val­lon on trou­ve du blé, des pommes, de l’herbe, des tomates et du pois­son. De fait, cir­culer au milieu de cette nature morcelée et désor­mais con­stru­ite est une gageure. La vue ne porte pas. Devin­er est impos­si­ble. Les per­spec­tives sont cour­tes, ravalées, les trous et lacunes con­stants, les habi­ta­tions espiè­gles, organiques. Il s’ag­it d’épouser le paysage, de se laiss­er con­duire. Qu’une telle har­monie du vivant et de la terre favorise le goût de la cui­sine et l’esthétisme, il n’y a pas lieu de s’en éton­ner, mais alors, j’en viens une fois de plus à deman­der: com­ment se fait-il que l’Es­pagne n’amène pas à la philoso­phie? Peut-être que le sen­ti­ment de vide, dans sa bru­tal­ité, pro­duit sur les esprits de la pénin­sule une sidéra­tion que seul le mys­ti­cisme peut surmonter?

Minorités

En démoc­ra­tie, il n’y a que des indi­vidus et la majorité des indi­vidus. Majorité qui impose au nom du principe de gou­verne­ment représen­tatif le choix col­lec­tif aux minorités. Les reven­di­ca­tions des minorités à être représen­tées en tant que minorités sont soit absur­des (elles sont enten­dues, défaites par le vote de la majorité et respec­tées après défaite) soit anti­dé­moc­ra­tiques (elles pré­ten­dent pren­dre leur part de pou­voir con­tre l’avis de la majorité, après expres­sion de celui-ci). Le proces­sus aujour­d’hui à l’oeu­vre con­siste pour les gou­verne­ments nationaux post-démoc­ra­tiques et les pou­voirs supra­na­tionaux (qui jamais ne furent démoc­ra­tiques), à faire val­oir entre l’in­di­vidu et la majorité des indi­vidus, un troisième élé­ment, la minorité, afin de nier le sys­tème de gou­verne­ment représen­tatif en le con­frontant à la gabe­gie insti­tu­tion­nelle. Pour par­ler claire­ment, les défenseurs de ani­maux, les les­bi­ennes, les Noirs de France, les boud­dhistes ou encore les chas­seurs, en tant que minorités reven­di­ca­tri­ces qui étab­lis­sent leur pou­voir sur la cri­tique de la majorité, sont anti-démoc­ra­tiques, c’est à dire autoritaires.

Demain

Der­rière la haie fleurie, l’oie. Elle cac­arde. Dans le demi-som­meil, cela me fait songer à la dernière scène du Fan­tôme de la lib­erté. Le mot Révo­lu­tion en surim­pres­sion de l’im­age, une bande-son d’émeutes et des oies qui défi­lent, imper­turbables, dans la fos­se d’un zoo urbain. J’ai vu ce film de Buñuel chez ma grand-mère, il y a quar­ante ans. Bien aimé. Sachant le car­ac­tère de ma grand-mère, je com­prends aujour­d’hui, en pleine nuit, ici, à Gal­luz­zo, dans les faubourgs de Flo­rence, qu’elle a dû regarder avec moi par gen­til­lesse, sans com­pren­dre. Gala, à demi-nue, dort sur le drap. Les ven­ti­la­teurs tour­nent à haut régime. Il fait vingt-sept degrés dans la cham­bre. Sur la table de nuit, les litres d’eau que nous sommes allés pom­per à la fontaine munic­i­pale; dans l’estom­ac et qui enchante l’e­sprit, la bière arti­sanale achetée à la bou­tique des liq­uides en vrac. Plus tard, je con­state que j’ai oublié en Espagne, sur mon bureau d’A­grabuey, mes notes pour Naypyi­daw. Je peine à le croire. Pour­tant, j’avais écrit: Pren­dre Naypyi­daw. Le car­net est gris, au for­mat habituel, le même car­net, bleu, rouge ou gris (Migros ne fait plus le mod­èle orange) que j’u­tilise depuis vingt ans. De mémoire, je fouille les lieux proches. Boîte à gants de la voiture, poches du sac de sport, dossiers des impôts, étui de l’or­di­na­teur… Puis les lieux éloignés, l’ar­rière-bou­tique de Lau­sanne, la mai­son d’A­grabuey. Est-ce que le maire pour­rait récupér­er mes notes ? La semaine prochaine, il com­mence un chantier sur la façade. Encore faudrait-il que je sache où se trou­ve le car­net. Je déclare for­fait. J’écrirai autre chose. Et puis, n’avais-je pas décidé que je n’écrirai rien cette année? D’ailleurs, je n’ai plus de maisons d’édi­tion. Il n’y a plus de lit­téra­ture. Soit. Donc, que vais-je écrire? Le matin, je véri­fie les lieux que j’ai par­cou­rus de mémoire. Pas de Naypyi­daw. Sous les dossiers des impôts, Paléodé­mas­sifi­ca­teur et la dernière ver­sion de Hom­mema­chine, l’es­sai que je prévois — suite au refus des édi­teurs français — de traduire à l’es­pag­nol. Avant de me lever, d’étein­dre les ven­ti­la­teurs, de met­tre le café en route, je songe à cette réplique de la maman et la putain de Saint-Eustache. Les deux intel­lectuels, à cheveux, à pattes d’éléphant, à Saint-Ger­main, après avoir passé la journée au café à fumer:
-Bon, salut! Qu’est-ce que tu fais demain?
-Demain? Comme d’habi­tude, rien.