Demain

Der­rière la haie fleurie, l’oie. Elle cac­arde. Dans le demi-som­meil, cela me fait songer à la dernière scène du Fan­tôme de la lib­erté. Le mot Révo­lu­tion en surim­pres­sion de l’im­age, une bande-son d’émeutes et des oies qui défi­lent, imper­turbables, dans la fos­se d’un zoo urbain. J’ai vu ce film de Buñuel chez ma grand-mère, il y a quar­ante ans. Bien aimé. Sachant le car­ac­tère de ma grand-mère, je com­prends aujour­d’hui, en pleine nuit, ici, à Gal­luz­zo, dans les faubourgs de Flo­rence, qu’elle a dû regarder avec moi par gen­til­lesse, sans com­pren­dre. Gala, à demi-nue, dort sur le drap. Les ven­ti­la­teurs tour­nent à haut régime. Il fait vingt-sept degrés dans la cham­bre. Sur la table de nuit, les litres d’eau que nous sommes allés pom­per à la fontaine munic­i­pale; dans l’estom­ac et qui enchante l’e­sprit, la bière arti­sanale achetée à la bou­tique des liq­uides en vrac. Plus tard, je con­state que j’ai oublié en Espagne, sur mon bureau d’A­grabuey, mes notes pour Naypyi­daw. Je peine à le croire. Pour­tant, j’avais écrit: Pren­dre Naypyi­daw. Le car­net est gris, au for­mat habituel, le même car­net, bleu, rouge ou gris (Migros ne fait plus le mod­èle orange) que j’u­tilise depuis vingt ans. De mémoire, je fouille les lieux proches. Boîte à gants de la voiture, poches du sac de sport, dossiers des impôts, étui de l’or­di­na­teur… Puis les lieux éloignés, l’ar­rière-bou­tique de Lau­sanne, la mai­son d’A­grabuey. Est-ce que le maire pour­rait récupér­er mes notes ? La semaine prochaine, il com­mence un chantier sur la façade. Encore faudrait-il que je sache où se trou­ve le car­net. Je déclare for­fait. J’écrirai autre chose. Et puis, n’avais-je pas décidé que je n’écrirai rien cette année? D’ailleurs, je n’ai plus de maisons d’édi­tion. Il n’y a plus de lit­téra­ture. Soit. Donc, que vais-je écrire? Le matin, je véri­fie les lieux que j’ai par­cou­rus de mémoire. Pas de Naypyi­daw. Sous les dossiers des impôts, Paléodé­mas­sifi­ca­teur et la dernière ver­sion de Hom­mema­chine, l’es­sai que je prévois — suite au refus des édi­teurs français — de traduire à l’es­pag­nol. Avant de me lever, d’étein­dre les ven­ti­la­teurs, de met­tre le café en route, je songe à cette réplique de la maman et la putain de Saint-Eustache. Les deux intel­lectuels, à cheveux, à pattes d’éléphant, à Saint-Ger­main, après avoir passé la journée au café à fumer:
-Bon, salut! Qu’est-ce que tu fais demain?
-Demain? Comme d’habi­tude, rien.