Vers la Sarine

A Fri­bourg pour une tournée d’af­fichage. Exacte­ment, de sur­veil­lance du réseau. Trois cent pan­neaux répar­tis dans la ville de la Mot­ta à Vil­lars-sur-Glâne, de l’Alt à Pérolles. Je repère et je pho­togra­phie. Je note les répa­ra­tions. Same­di vaporeux et froid, alors que Lau­sanne flam­bait sous le soleil. Etrange jux­ta­po­si­tion dans cette ville des rues com­merçantes et des quartiers d’habi­ta­tion. Les unes pas­santes, les autres muets. Aux abor­ds de Beau­mont — blocs d’im­meubles dis­posés en quadrillage — une sen­sa­tion de vide saisit le marcheur. L’ensem­ble a des airs d’aquar­i­um en béton. Le brouil­lard est flu­ide au niveau des chevilles, les arbres plus noirs que la réglisse. De temps à autre appa­raît une sil­hou­ette, vieil­lard clop­inant, mère pous­sant un lan­dau, jeunes sous un abribus. Les bruits sont rares, les oiseaux en obser­va­tion. Un homme net­toie sa voiture à haute pres­sion. La main sur la gorge, la cas­quette tirée jusqu’aux oreilles, j’a­vance à grands pas. Face aux pan­neaux, je sors mon appareil, prend un cliché. Ain­si pen­dant trois heures, gag­nant ensuite la ville-basse, amon­celle­ment de chapelles, de portes, de pont et bâtiss­es dans son décor de mol­lasse et d’eau. Lieu enchanteur de la ville.

AVS

Chap­paz: “Alors je me prom­e­nais avec lui [Quin­odoz] et on s’ar­rête con­tre le mur d’une mai­son en sor­tant d’Evolène. Je l’at­tends, il par­le avec un homme qui était devant une écurie, à ratel­er du foin. Ils ont con­ver­sé un moment en patois, puis j’ai vu Quin­odoz rire et l’autre sourire d’un sourire rocailleux. Je l’ai inter­rogé: “Qu’est-ce que vous vous êtes dit?” — “Ils ont reçu l’AVS. Ils n’avaient rien demandé, mais main­tenant ils ont reçu l’AVS, sa femme a reçu soix­ante francs, lui a reçu hui­tante francs et il dit: “A Sion, ils sont devenus fous, ils ne savent plus que faire, ils nous ont envoyé de l’ar­gent. Il paraît qu’ils vont encore en envoy­er à d’autres chaque mois. Il sont devenus com­plète­ment fous.” A‑Dieu-vat!, entre­tiens avec Jérôme Meizoz.

TM3

Sor­tie offi­cielle du livre le 15 novem­bre. Aucune nou­velle de l’édi­teur. Ren­dez-vous pris avant cette date, je devais être, sur son invi­ta­tion, à Bienne où se tient ce dimanche 15 décem­bre un marché lit­téraire. J’at­tends la con­fir­ma­tion. Elle n’ar­rive pas. Je ne donne pas suite. Per­son­ne ne s’en inquiète. Peut-être con­vient-il de dis­tinguer — en Suisse d’abord — entre un édi­teur et un imprimeur de livres.

TM2

Quelques jours après la sor­tie en librairie de TM, comme je cherche des lignes qui lui seraient con­sacrées dans la presse, je trou­ve le texte disponible au télécharge­ment gra­tu­it sur un site indonésien. Rédigée par un robot, la notice de présen­ta­tion me présente (de même que les autres écrivains piratés, auteurs de livres sur la bio­mé­canique, la danse ou la cul­ture du maïs) ain­si: “écrivain de qual­ité dont le livre ici est impor­tant et qui a récolté beau­coup de cri­tiques très bonnes…”.

Monde

Pour rejoin­dre le monde, il faut com­mencer par quit­ter la société. A recu­lons, on gagne sa mai­son et sa cham­bre dont on ferme la porte. Alors, pour autant que l’on obti­enne le silence (toutes sortes d’ob­jets lancés à tra­vers le temps et l’e­space vous cherchent), on voit que c’est bien le lieu où chercher.

Neige

Venu d’Es­pagne pour une journée de tir dans le valais, elle est annulée. Le prési­dent su club appelle: “il est tombé un mètre de neige, l’ex­er­ci­ce est reporté”. La veille, journée tiède. Le lende­main, pluie douce. L’après-midi, comme je me rends à Leysin avec Gala, nous trou­vons une mon­tagne sans neige.

Dans la société

Tran­quille pro­liféra­tion des dénon­ci­a­teurs qui témoigne de l’as­som­brisse­ment de notre ciel.

Avion

Trois heures d’at­tente à l’aéro­port de Barcelone, les aigu­illeurs français blo­quant le ciel au-dessus de Mar­seille. Je ne me plains pas. Par­ti la veille en taxi d’A­grabuey pour dormir à Huesca et pren­dre le train du matin, il me restait selon horaire quar­ante-cinq min­utes entre l’ar­rivée à la gare Sants, au cen­tre de Barcelone, et la fer­me­ture des portes d’embarquement dont dix-sept à pass­er dans le métro. Sans les Mar­seil­lais, je restais au sol.

L’angoisse du gardien de but…

Tout écrivain qui vit assez longtemps finit par recevoir un prix, grand ou petit. S’il y a assez d’ar­gent à la clef (c’est cela, le prix), il faut l’ac­cepter. Sinon, une carte postale de remer­ciement suf­fit (assor­tie d’un “non”). Reste la ques­tion: pourquoi Peter Hand­ke, l’un des plus grand écrivains, accepte le Nobel? Si c’est pour l’ar­gent, je com­prends, mais alors que ne le dit-il pas?

Stoïcisme

Mon­ther­lant inquiète (“Port-roy­al”, “Va jouer avec cette pous­sière”). Et Drieu la Rochelle (“Jour­nal d’un homme trompé”). Le stoï­cisme inquiète, qu’ils revendiquent con­tre la société, oblig­és par après d’y ajuster leurs actes. Ce qui redou­ble l’in­quiè­tude (par­ti-pris, rup­tures, sincérités, enfin sui­cides). Gide, gan­grené par l’in­quié­tude, est plus ras­sur­ant: il aime l’amour et garde Dieu en réserve. Il y a Saint-Exupéry, aven­turi­er extra-lucide, cepen­dant rationnel. Sa force native dépasse toutes les forces don­nées, mais c’est le pro­pre d’un équili­bre aus­si périlleux, il annonce (c’est écrit) que le moment venu, il la tourn­era con­tre soi. Vien­nent ensuite, je ne nomme que les détachés, ces écrivains mondains qui aiment le sol et les hon­neurs (Sartre) ou cir­cu­lent dans les hiérar­chies (Mal­raux). Camus ou Nizan appa­rais­sent plus solides, décidés, francs, mais on ne peut savoir car ils meurent inaccomplis.