Prix

A l’in­stant, j’ap­prends que mon livre TM a obtenu le prix Pit­tard de l’An­de­lyn, m’écrit l’édi­teur. Je lui réponds aus­sitôt et tape des mes­sages sur le clavier du télé­phone. Le pre­mier: “tu plaisantes?”. Il m’as­sure que “non”. “Bien”, lui dis-je une ser­pil­lière à la main, car la chaudière qui vient de lâch­er rend des litres d’eau — ils men­a­cent ma cham­bre. Tout en récu­rant, je pour­su­is le dia­logue. “Si tu peux prov­i­den­tielle­ment être présent à cette date, écrit l’édi­teur, soit le 4 mai, soirée de remise du prix?” J’empoigne mes bidons de fioul, 20 litres, encore 20 litres, et le dernier, dif­fi­cile à soulever dans un local de la taille d’une armoire envahi de vélos, 30 litres, et verse dans l’en­ton­noir géant, mais non, la machiner­ie ne redé­marre pas. Tout en expli­quant à l’édi­teur qui me demande quelle musique je souhait­erais pour la lec­ture des extraits du texte (de la tech­no abstraite ou une messe pour orgue), j’ap­pelle les frères Jésus, plom­biers attitrés des familles au vil­lage, et me trompe de numéro, entend un vieil­lard déclin­er son nom, auprès de qui je m’ex­cuse, et recom­pose, me trompe encore — cette fois c’est le livreur de fioul — enfin je joins le plom­bier qui dit: “Ale­jan­dro, je suis là, à côté, j’ar­rive!”. Le temps de finir les pom­pes quo­ti­di­ennes ( man­quaient 30 pour clore la série noc­turne), Jésus frappe à la porte. Excité, rapi­de, con­va­in­cu, il se pré­cip­ite dans l’escalier, dégonde la porte du local, me la passe, “prend ça…”. Fait gliss­er le seau rem­pli de flotte, la glacière, un cadre de vélo et le som­mi­er de Luv, puis enfile la tête dans la chaudière:
-Une torche?
Je monte, je redescends. Il éclaire.
-Un sèche-cheveux?
Que je trou­ve. Pour la ral­longe élec­trique, c’est plus com­pliqué (un sim­ple rouleau de chantier con­necte mes cinq ordi­na­teurs).
-Laisse, on va débranch­er la chaudière… là.
Jésus enclenche le sèche-cheveux, renonce.
-Tant pis, je vais purg­er. Le prob­lème tu vois, c’est que tu as de l’air dans les gosiers.
-J’ai été loin dix semaines.
-Quoi? Mais enfin, il ne faut jamais quit­ter le vil­lage! Tu fais quoi?
-Je tra­vaille.
-Mmh.
-Voilà… si on a un peu de chance…
Juste après le redé­mar­rage, j’écris à l’édi­teur, “je prends le bil­let d’avion, aller-retour Mála­ga-Genève, j’at­ter­ris l’après-midi du 4, je reçois le prix, je repars le matin, tu confirmes?”.

Publication

Faire de sa vie une image, se gliss­er der­rière l’image.

Amélie

Fasci­nant set DJ d’Amélie Lens (Live in the tun­nel ou encore Atom­i­um for The Cer­cle). Que ce soit dans une boîte à néon ou devant trois mille fans, la mécanique ron­fle. Ce que je voudrais, c’est l’in­ter­rompre et lui deman­der: “com­ment faites-vous cela?”. Car le dis­posi­tif, ses bou­tons, sa plate­forme et ses cou­ver­cles ne trahit rien du secret de fab­rique. Il est vrai que si je sais plus ou moins com­ment j’ai écrit H+, je serais inca­pable de me pronon­cer pour Con­stance — guide touris­tique à l’usage des aveugles.

Retour

Rues silen­cieuse, petit vent, l’eau coule dans la fontaine. J’al­lume le feu, j’ou­vre un vin.

Envol

Aéro­port de Mála­ga. Gala part à bord d’un microbus de l’as­sis­tance, entre un anglais à canne et une jeune espag­nole. Tou­jours dans ses ver­tiges, sans l’appui de mon bras, elle craint de ne pou­voir attein­dre la porte d’embarquement, située il est vrai à plus d’un kilo­mètre. Pour moi, je regagne la gare fer­rovi­aire en métro, mets en con­signe ma valise et fais le tour de la ville. Quoique j’aille sou­vent à Mála­ga, il est rare que j’en par­coure les rues cen­trales, de sorte que ces trois heures d’errement pren­nent la forme d’un péleri­nage sur les lieux fréquen­tés ces dix dernières années et aupar­a­vant. L’hôtel Ataraza­ñas en face des halles du même nom, si bruyant que l’on y ferme pas l’œil; le bar Lem­my, dans une rue borgne où nous avons enfin pu nous saouler, B. et moi, en 1997, de retour d’un voy­age au Maroc; les avenues qu’emprunte le marathon, où, fix­ant tel ou tel point, me revient en mémoire mon état de fatigue à ce stade de la course; et enfin, plus désolant, la librairie sur deux étages qui ouvrait sur les ram­blas (seule à pos­séder en ville un ray­on « philoso­phie »), désor­mais rem­placée par un Burg­er King. Mais encore ce phénomène neuf, du moins quant à son principe de général­i­sa­tion: des groupes de vis­i­teurs de toutes les nations de la planète guidés par un por­teur de fan­ion qui pérore et ges­tic­ule pour mon­tr­er Mála­ga (ville dont il con­vient de dire, toute agréable qu’elle soit, qu’elle ne présente aucun intérêt artistique).

500

A l’hôtel Eli­mar où je pré­tends pay­er nos qua­tre nuitées avec un bil­let de Euros 500.-, on me répond que ce n’est pas légal. Plus exacte­ment, dit la récep­tion­niste, per­suadée que le terme fera autorité :

-C’est illé­gal !

Comme je ne quitte la cham­bre que le lende­main et que par cour­toisie j’ai prévenu à l’avance, je monte me couch­er. J’annonce cepen­dant que le lende­main je reviendrai avec ce même bil­let, sauf à ne pas payer.

Le matin, comme per­son­ne n’a cru bon de faire du change, je pars sans pay­er. Je m’attends à ce qu’on me rat­trape (pré­cisons, la direc­tion à encais­sé le prix de la cham­bre sur la carte, reste à acquit­ter les ser­vices), d’autant plus qu’il me faut un taxi et que je peux dif­fi­cile­ment le faire appel­er par l’hôtel. Or, à peine descen­dues les march­es, je bute sur Anto­nio, le cul­ti­va­teur de mangues et chauf­feur de taxi. Il est là pour un autre client, mais il bippe : aus­sitôt déboule un col­lège, nous voici par­tis sans payer.

Bouquet

Dernier jour plein d’énervements. Le Napoli­tain qui louait l’été passé la mai­son de Flo­rence cherche à nous tor­dre : alig­nant de faux cal­culs truf­fés de détails de son cru, il en rabat sur la somme de cau­tion encore en sa pos­ses­sion alors qu’il devait la restituer avant Noël. Gala argu­mente en ital­ien, j’insulte en anglais. Puis il y a l’autre affaire, celle-ci en alle­mand : la Dodge a été rap­pel­lée (comme on dit) par le fab­ri­cant. Sauf qu’elle est à Agrabuey et que le garage agréé le plus proche se trou­ve à Schlieren, près de Zurich, soit à 1500 kilo­mètres. Sûrs d’eux-mêmes, les vendeurs (ils se suc­cè­dent à mesure que je les men­ace et les épuise) me répè­tent : « la mise en con­for­mité est gra­tu­ite ». Et moi : « envoyez un chauf­feur pren­dre livrai­son du véhicule ! A moins que vous préféreriez me pay­er les heures de conduite? ».

Axarquie 2

Sur son fond de ciel et d’eau, la ville est superbe. Dès l’aube, un soleil rouge lisse le quai. Gris, les sables virent jaune. Je sors sur le bal­con. A grandes enjam­bées, les habitués promè­nent leurs chiens, les draps tirés jusqu’aux oreilles, Gala dort. Comme elle se maquille et se coiffe avant de se couch­er, elle est belle. Je la regarde, puis me recouche et som­nole. Autour de neuf heures, nous déje­unons en ter­rasse de l’hôtel. Der­rière le muret, les quais, la plage, les vagues et des per­ro­quets sif­flants. Sur la table munic­i­pale, un cou­ple de retraités joue au ping-pong. Cha­cun a une ving­taine de balles en poche, de sorte que la par­tie est peu inter­rompue. Arrivent les ama­teurs de « pad­dle ». Ils glis­sent les planch­es en bas des toits des voitures, les posent sur la mer, s’agenouillent, pagaient. Gala, qui mange désor­mais un pain spé­cial sans gluten achaté au super­marché, attend que le bar­man le toaste. Je bois un café, un sec­ond café, un troisième. En fin de mat­inée, entre les goss­es à trot­tinette, les familles qui pal­abrent et les vélos, je coure mes dix kilo­mètres, Le reste de la journée, nous en faisons que boire (moi surtout), manger (poulpe, cala­mars, con­ques) et faire la sieste (tard, de plus en plus tard). A par­tir de vingt-et-une heures, lorsque les habi­tants finis­sent le tra­vail, nous recom­mençons à boire et manger, avec, juste avant de regag­n­er la cham­bre d0’hôtel, la halte oblig­a­toire chez le Chi­nois pour acheter deux bouteilles de Skol verte, la seule bière qui puisse se digérer.

Production

Entre les mains des vendeurs, les pro­duits se suc­cè­dent à une telle vitesse qu’il devient dif­fi­cile de savoir ce qui est pro­posé au client; par exem­ple un haut-par­leur:
-Syn­chro­nisé, sym­pa­thique… et le design, voyez! Ergonomique aus­si, léger.. env­i­ron 500 grammes, mais surtout imper­méable… pour les soirées piscine.
-Et les semelles, elles sont bien? Je veux dire: on peut courir sans avoir mal aux pieds ?
-Là, vous me posez une colle: on vient de recevoir le pro­duit! Un instant, je vérifie…

Tourisme

Hotel Eli­mar à Rincón, lourd et droit, sur la plage. A l’ouest, la rade de Mála­ga puis la côte des retraités anglais; à l’est l’Es­pagne des frais­es, des tomates et des Arabes sous serre: la mer de plas­tique. Notre cham­bre, la 606, est au dernier étage. Bâti pen­dant la crise par des maçons roumains et ivres, ce build­ing a hérité de toutes les tares de la spécu­la­tion immo­bil­ière des années folles: portes de guin­guois, trous dans le plâtre, joints tart­inés, plinthes qui gon­do­lent. Notre salle de bains est la plus mal foutue qu’il m’ait été don­née de voir: pour c…, il faut plac­er son fessier en tra­vers de la chiotte car celle-ci tutoie le mur, quant au bidet, on jur­erait qu’il a été jeté sur le car­relage comme un dé sur un tapis de jeu. Pour la vue, elle est splen­dide: nous sommes aux avant-postes. La mer d’Al­borán s’é­tale devant nos yeux. J’ou­bli­ais, l’hô­tel compte 300 cham­bres dont la moitié sont inachevées. Sans fenêtres ni bal­cons, tra­ver­sées des mou­ettes, les chiens y dorment.