Voltaire

Pan­gloss aurait beau jeu de dire “cul­tivons notre jardin” dans un monde où les ter­res restantes sont indisponibles à ceux qui espèrent seule­ment se nourrir.

O*******e 2

 Les bancs furent rem­placés par des chais­es, les chais­es ne furent pas remplacées.

O*******e

Plusieurs clefs pour une porte sans serrure.

Clans

Force est d’admirer la stratégie des démoc­rates améri­cains. Ils jet­tent les minorités dans les rues, poussent au chaos, entre­ti­en­nent la dis­corde et blâ­ment la poli­tique « fas­cisante » du prési­dent Trump. Je pré­cise que je n’ai aucune sym­pa­thie pour le Répub­li­cain, mais je vois bien quel rôle joue un Biden. Le même qu’un Macron en France. Indi­vidus sans foi ni loi que l’on place à l’avant-scène et fait s’agiter devant les télévi­sions. L’heure du spec­ta­cle passée, une nomen­kla­ture de par­ti à la sol­de des multi­na­tionales prend le relais.

Ecriture (projets)

Plus dés­espéré que je ne veux bien le recon­naître. Je n’écris plus. Quar­ante ans que cela n’est pas arrivé. Aus­si, j’ai tra­vail­lé avec acharne­ment tout l’été. Fin août, j’avais sur mon bureau trois livres et la tra­duc­tion à l’espagnol de H+. J’ai mis à la poste. Pas de retour. Se voir remet­tre un prix est sat­is­faisant (pour TM). Je l’ai dit, je ne crache pas sur l’argent. Mais ce que souhaite un écrivain, c’est d’être édité, c’est d’être lu, c’est d’être com­men­té. Hier, je par­lais avec mon édi­teur parisien. « Quels sont vos pro­jets? », demande-t-il. La ques­tion est flat­teuse. Je m’avoue dému­ni. J’ai passé six mois à lire et com­pilé des notes autour de l’éthologie et de l’intelligence arti­fi­cielle afin d’écrire Robots et immi­grés. L’avènement de ce monde du virus a boulever­sé mes inten­tions. La thèse prin­ci­pale de mon livre, la réduc­tion de l’homme par­lant-riant-jouis­sant à un unité d’exécution des bass­es tach­es mer­can­tiles, si je la pub­li­ais main­tenant, appa­raî­trait comme le com­men­taire dés­abusé d’un état de faits que n’importe quel naïf peut con­stater de visu. Plus que cela, un com­men­taire pré­ten­tieux et académique dès lorsque je con­voque les théories annon­ci­atri­ces de ce désas­tre sans don­ner les moyens de le con­jur­er. L’alternative étant d’écrire un pam­phlet. Affaire de trois jours. Mais en ce moment, tant de per­son­nes cri­ent. A quoi bon ajouter une voix au con­cert ? Ain­si, je reviens à cette idée d’écrire SM, le troisième volet de la trilo­gie com­mencé avec OM et TM. Et c’est alors que je vois que je suis plus dés­espérée que je ne veux l’admettre : je ne trou­ve pas la force de le faire.

Beauté

Avoir une belle femme à ses côtés est une grande par­tie du bon­heur de la vie

Sociétés de la honte

Une civil­i­sa­tion s’achève ; une autre com­mence… Son car­ac­tère est inédit. Prob­a­ble et improb­a­ble. Il y a encore des hommes, c’est-à-dire des indi­vidus libres capa­bles d’agir en toute spon­tanéité, voici pour l’improbable. Et puis il y a les out­ils. D’une puis­sance iné­galée. La pre­mière cyberné­tique se tar­guait de pou­voir pro­duire une théorie com­plète du vivant comme point nodal d’un réseau. Le pro­jet, extra­or­di­naire­ment ambitieux pour son époque (la fin de la sec­onde guerre), rel­e­vait de la spécu­la­tion savante. Wiener a vite com­pris que l’ingénierie sociale allait pren­dre le relais et œuvr­er à la mise en pra­tique de cette philoso­phie sociale. Aujourd’hui, nous sommes affron­tés au prob­a­ble : un indi­vidu qui n’est plus qu’une inscrip­tion dans un sys­tème de don­nées-machine. Dit comme ça, le pro­pos peut sem­bler exces­sif. Il l’est peu. En occi­dent, les trois besoins fon­da­men­taux du vivant sont con­trôlés de longue date par le cap­i­tal con­cen­tré : l’eau, l’énergie, la nour­ri­t­ure. Le déni d’accès à ces néces­sités servi­ra sans peine à réduire à néant les dernières prérog­a­tives de l’individu: son iden­tité, son action, son opin­ion. Con­crète­ment : argent dis­tribué par l’Etat, sous con­di­tions : déplace­ments autorisés, sous con­di­tions ; accès à la nour­ri­t­ure, sous con­di­tions. Le mod­èle porte le nom de mon­di­al­isme ; il est com­mu­niste. Déc­la­ra­tion frap­pante du can­di­dat démoc­rate a la prési­dence il y a deux jours, à la veille de l’élection améri­caine : « notre but est de se débar­rass­er de la classe moyenne ». Une bête mul­ti­céphalique, une reine et des ouvri­ers sol­dats. Si j’étais cynique, j’achèterais des action Uber. Ces multi­na­tionales qui sont par­v­enues à con­juguer le virtuel et le réel seront les acteurs dom­i­nants du marché des prochaines années. Elles sont respon­s­ables de la réin­tro­duc­tion du régime d’esclavage dans les ex-démoc­ra­ties. Une masse paupérisée, essen­tielle­ment com­posée d’immigrés, four­mille dans les rues des villes pour quelques sous tan­dis que les monopoles qui organ­isent ce marché de dupes prô­nent des valeurs libérales. Reste donc l’improbable. La force juvénile et sans cesse renou­velée de l’homme. Ce qui fait civil­i­sa­tion. Ce qui fait qu’il n’y a plus, aujourd’hui, de civil­i­sa­tion, mais des sociétés de la honte. J’ai tou­jours cru à l’effet de la pen­sée. Qu’elle devi­enne un exer­ci­ce périlleux en cette péri­ode de cen­sure, prou­ve sa néces­sité. Là encore, la puis­sance effec­tive des out­ils sur nos vies, l’absence de failles dans le dis­posi­tif, dira si la con­tes­ta­tion est opérante. A défaut, la nou­velle civil­i­sa­tion tien­dra. Et ne dis­paraî­tra que par dégoût de soi comme dis­parut en son temps l’Union soviétique.

Srvar 2

Ville anci­enne par­cou­rue de brumes. Elles vien­nent du port, filent sur la place, ren­con­trent le clocher de l’église. Un chien aboie, se recouche. Au pied de notre immeu­ble, le serveur du restau­rant. Huit heures d’affilée, il pian­ote sur son télé­phone. Depuis une semaine, je ne lui ai pas vu un client. Nos pro­prié­taires, deux femmes fil­i­formes habil­lées de noir, m’expliquent : « pour obtenir les com­pen­sa­tions du gou­verne­ment, il faut garder ouvert ». Elles font pareil. Vont et vien­nent entre la ter­rasse (où trois qua­tre fois le jour prend place un client), le bar et l’arrière-salle. Lorsque je remonte à l’appartement, je les trou­ve à grig­not­er dans la buan­derie. Je ne m’attarde pas. Je suis grip­pé. La nuit dernière, j’ai dor­mi qua­torze heures et encore trois dans l’après-midi. Dimanche, je suis allé faire des exer­ci­ces de force sur la prom­e­nade. D’une part, je me suis blessé à l’épaule (j’avais aban­don­né cet entraîne­ment pen­dant le voy­age à vélo), d’autre part, il est prob­a­ble que j’aie pris froid. Je dis prob­a­ble, car même si les autres sportifs étaient en veste et bon­nets, il fai­sait une tem­péra­ture douce. Dans tous les cas, depuis, je rase les murs. Il a même fal­lu ralen­tir la con­som­ma­tion de bière (cette excel­lente Lasko slovène).

Srvar

Traf­ic intense sur l’au­toroute Milan-Bres­cia-Padoue. Sur deux pistes, une pour­suite inin­ter­rompue de poids-lourds hon­grois, slo­vaques, croates, polon­ais; sur la voie rapi­de, les voitures. Inutile d’e­spér­er lâch­er les gaz: sur trois cent kilo­mètres, j’ac­célère. Après Tri­este, le rythme baisse enfin. Lors de la halte café, la vendeuse de la bou­tique vante ses pro­duits locaux, sala­mi, parme­san, nougat, réglisse. Masque sur le men­ton, elle présente des bouteilles de vin. Chi­anti, Mon­tepul­ciano, Lam­br­us­co, ils sont cédés au tiers de leur prix. A la caisse, elle insiste pour que je prenne des plaques de choco­lat Lindt, là encore trois fois moins chères qu’en Suisse. Les inven­dus de l’été. A l’ap­proche de Kop­er, la nuit tombe. Devant un tun­nel, une pagaille de camions. Trois, qua­tre cent camions ten­tent de for­mer une colonne sous la direc­tion de deux patrouilleurs. Je range la voiture, attend mon tour. Gala sug­gère de dépass­er. L’autre piste est libre, mais peut-être en sens inverse. Un camion tente le coup. Je prends sa suite. Nous remon­tons l’embouteillage sur deux kilo­mètres. Au bout, la douane, dégagée: les camions allaient au port. Tan­dis que nous roulons au pas, je mesure nos chances de pass­er sans dif­fi­cultés en Slovénie car depuis le matin Ital­iens, Alle­mands et Autrichiens sont inter­dits d’en­trée sur le ter­ri­toire. J’ai en poche une invi­ta­tion en croate rédigée par la pro­prié­taire du bar Ver­sailles de Srvar. Devant, une Mer­cedes imma­triculée à Ljubl­jana. Le chauf­feur en prend pour son grade. Les bras croisés, le douanier laisse sa com­pagne ser­mon­ner et invec­tiv­er. Vient notre tour. Le cou­ple de fonc­tion­naires salue aimable­ment. Nous pas­sons. Heureux d’être de retour dans cette par­tie moins fréquen­tée du monde. Les pistes de l’au­toroute sont pleines de nuit. La voiture descend longue­ment, jusqu’à attein­dre la mer, et c’est à nou­veau la douane, cette fois croate. Une demi-heure plus tard, la route côtière débouche sur le petit port de Srvar. Une brume flotte sur la place de Venise. Alana nous attend sur la ter­rasse du Ver­sailles, comme sou­vent sans clients (il est 19h00). Elle tend les clefs de l’ap­parte­ment, fait signe au restau­rant Ami­ci de ne pas fer­mer, tout à l’heure nous vien­drons manger. Le lende­main matin, sous un soleil splen­dide, tan­dis que son­nent les cloches du cam­panile ancien et jouent les enfants, je prends con­nais­sance des nou­velles mesures de con­trainte poli­tique décidées par les can­tons — je viens de per­dre une fois de plus mon salaire.

Vers l’Italie

A Brig, je monte la Dodge sur le train. Arrivé quelques min­utes avant le départ du con­voi pour Iselle, de l’autre côté du Sim­plon, nous sommes les derniers clients. Le chem­ineau tend une chaîne et sif­fle, le wag­on s’ébran­le. Alors, la voiture qui précède recule et vient s’ap­puy­er con­tre la nôtre. Gala croit que c’est moi, que j’ai oublié de ser­rer le frein à main; je le crois aus­si, puis nous con­sta­tons que le pan­neau situé à la hau­teur de mon rétro­viseur n’a pas bougé. Le train entre dans le tun­nel. Il ressort côté ital­ien. A l’ar­rêt du con­voi, les femmes qui occu­pent la voiture devant nous démar­rent et s’en vont. Appel de phares. La con­duc­trice se range et descend. La voix d’une pocharde et les cheveux en bataille, la dame m’in­sulte, jure que c’est ma faute, que j’au­rais de ses nouvelles.