Trafic intense sur l’autoroute Milan-Brescia-Padoue. Sur deux pistes, une poursuite ininterrompue de poids-lourds hongrois, slovaques, croates, polonais; sur la voie rapide, les voitures. Inutile d’espérer lâcher les gaz: sur trois cent kilomètres, j’accélère. Après Trieste, le rythme baisse enfin. Lors de la halte café, la vendeuse de la boutique vante ses produits locaux, salami, parmesan, nougat, réglisse. Masque sur le menton, elle présente des bouteilles de vin. Chianti, Montepulciano, Lambrusco, ils sont cédés au tiers de leur prix. A la caisse, elle insiste pour que je prenne des plaques de chocolat Lindt, là encore trois fois moins chères qu’en Suisse. Les invendus de l’été. A l’approche de Koper, la nuit tombe. Devant un tunnel, une pagaille de camions. Trois, quatre cent camions tentent de former une colonne sous la direction de deux patrouilleurs. Je range la voiture, attend mon tour. Gala suggère de dépasser. L’autre piste est libre, mais peut-être en sens inverse. Un camion tente le coup. Je prends sa suite. Nous remontons l’embouteillage sur deux kilomètres. Au bout, la douane, dégagée: les camions allaient au port. Tandis que nous roulons au pas, je mesure nos chances de passer sans difficultés en Slovénie car depuis le matin Italiens, Allemands et Autrichiens sont interdits d’entrée sur le territoire. J’ai en poche une invitation en croate rédigée par la propriétaire du bar Versailles de Srvar. Devant, une Mercedes immatriculée à Ljubljana. Le chauffeur en prend pour son grade. Les bras croisés, le douanier laisse sa compagne sermonner et invectiver. Vient notre tour. Le couple de fonctionnaires salue aimablement. Nous passons. Heureux d’être de retour dans cette partie moins fréquentée du monde. Les pistes de l’autoroute sont pleines de nuit. La voiture descend longuement, jusqu’à atteindre la mer, et c’est à nouveau la douane, cette fois croate. Une demi-heure plus tard, la route côtière débouche sur le petit port de Srvar. Une brume flotte sur la place de Venise. Alana nous attend sur la terrasse du Versailles, comme souvent sans clients (il est 19h00). Elle tend les clefs de l’appartement, fait signe au restaurant Amici de ne pas fermer, tout à l’heure nous viendrons manger. Le lendemain matin, sous un soleil splendide, tandis que sonnent les cloches du campanile ancien et jouent les enfants, je prends connaissance des nouvelles mesures de contrainte politique décidées par les cantons — je viens de perdre une fois de plus mon salaire.