Zumayakarregui Kala 4

Des pro­grès, mais la mer est déchaînée. Réveil­lé à midi, la marée avait com­mencé de mon­ter. J’ai tout de même ajouté un peu de pra­tique à la théorie: je prends de la vitesse, monte sur la planche et m’ori­ente sur la vague.

Zumayakarregui Kala 3

Je monte sur la planche, je glisse et je tombe. Pour cause, je n’ai pas ciré la sur­face. Pire, j’ai demandé au vendeur du mini long­board de racler la vieille cire (pour rai­son esthé­tique). La Lucer­noise me prête son puck de sex-wax. Je retourne dans les vagues. Ah oui, ça va déjà mieux! Et puis l’eau est claire, le sable vis­i­ble dans la pro­fondeur, le soleil moins timide. A la fin de la séance, j’ai réus­si qua­tre surfs. Encore dix ans de pra­tique et je devrais pou­voir dire : “je fais du surf”.

Zumayakarregui Kala 2

Ce matin vagues plus lour­des et moins chao­tiques. L’eau est froide. Seul à porter une com­bi­nai­son d’été, j’ai du bleu aux genoux. Je sors régulière­ment de la mer pour me réchauf­fer, mais il pleut. Quand le soleil revient, un arc-en-ciel se forme, puis un autre arc-en-ciel. Le ton­nerre gronde, l’or­age se lève, les palmiers en pots trem­blent, les arcs-en-ciels sont effacés. C’est à nou­veau la pluie. Nous sur­fons main­tenant une eau grise piquée de gouttes (enfin les autres, moi je nage et tombe, et nage et tombe). Après une heure de ce régime, j’ai l’im­pres­sion d’avoir cou­ru un marathon. Nuque, épaules, bras, les mus­cles sont douloureux. Je ramène le surf, je passe à la bière et au vin. 

Zumayakarregui Kala

Qui est le nom d’une des rues de la baie de Zarautz. Notre apparte­ment se trou­ve en face des anci­ennes douanes mar­itimes ou pois­son­nières; il est aujour­d’hui recon­ver­ti dans l”inutilité l’ab­surde admin­is­tratif avec per­son­nel impor­tant et fan­ion de l’Eu­rope. Pour le reste, quarti­er tran­quille, pro­pre, et même cos­su. A cette péri­ode de l’an­née, en grande par­tie fer­mé. Mais aus­si cher, y com­pris et surtout pour la loca­tion vacan­cière. Le pro­prié­taire — un ven­tripo­tent bar­bu et hilare qui me donne du “gamin!” — est reclus dans une cham­bre de bonne au coin de l’é­tage; nous dis­posons du reste de l’e­space, soit cinq pièces tra­ver­santes avec cui­sine et bar. Du bal­con, l’ou­ver­ture sur la plage per­met de juger de la force des vagues. Chaque matin, je sors le mini-long­board Bic du van, enfile la com­bi­nai­son de néo­prène acquise au rabais il y trente ans en Nou­velle Galle du Sud et vais à la mer. Le pre­mier jour, j’ai révisé sur un site de surf le duck-div­ing, la fig­ure qui con­siste à plonger avec la planche sous la vague pour aller chercher le large. Dernière fois que j’ai entraîné la tech­nique, j’é­tais en Aus­tralie, j’avais vingt-six ans. Per­suadé de maîtris­er la fig­ure, je m’élance. De retour sur terre ferme, penaud, une Lucer­noise (aus­si débu­tante que moi, mais moins naïve) me dit: “le duck-div­ing, ça ne marche pas avec les long­boards, il faut pass­er par-dessus la vague”. Soulagé, je repars dans les rouleaux et con­state que si je sais ma théorie (dans le salon, j’ai expliqué en maître tous les mou­ve­ments à Gala), j’ai à peu près tout oublié de la pra­tique. Cepen­dant, je ne coule pas. Je finis même par gliss­er sur quelques dizaines de mètres. 

Biscaye

Je prends Gala à l’aéro­port, courte sieste dans le van puis nous allons chercher auprès d’un vitic­ul­teur de Guer­ni­ca. la planche de surf achetée par petite annonce. En fin de journée nous arrivons sur la falaise de Elan­txobe. Le bus de Bil­bao nous précède à tra­vers l’u­nique rue du vil­lage. Les pas­sagers descen­dus, il avance sur une plate­forme mécan­isée. Elle tourne de 180°. Posi­tion­né en direc­tion de Bil­bao, le bus repart. Sous la plate­forme, l’auberge Itsas­min Ostat­ua. Edi­fice tra­pu avec une devan­ture de pierre. Deux portes-fenêtres par étage. Au télé­phone, j’ai demandé “une dou­ble pour Ale­jan­dro”. J’ou­vre la porte et le patron dit: “bien­v­enue Ale­jan­dro”. Vis­i­ble cent mètres plus bas, le port endigué. Les immeubles sont blancs avec des toits rouges. Du loge­ment ouvri­er des années 1950. Quelques vieilles bâtiss­es à véran­das, la plu­part aban­don­nées. Vivent là, accrochés au-dessus de la mer, deux cen­taines de Basques. Des jeunes chats jouent sous la pluie. A l’auberge, les instal­la­tions datent des années fran­quistes. Cer­tains meubles sont ceux-là même de mon enfance à Madrid : hor­loge murale nacrée, vais­se­li­er gitan, pots andalous. Le lende­main, la fille du patron sert le petit-déje­uner sous un col­lage de vieux bil­lets en pese­tas. Elle a cuis­iné une omelette et un cake, le café est excel­lent. Je paie, je remer­cie et je salue. Arrivé à la voiture, je vois que j’ai oublié mon oreiller. Je toque. L’auberge est fer­mée, la famille a repris pos­ses­sion des lieux. Dans l’escalier je croise des enfants, une grand-mère, un bébé. Mon oreiller sous le bras, je regagne la voiture. Les voisins sor­tent de la messe. L’église est per­chée au-dessus de l’auberge Itsas­min Ostat­ua, le mur de frappe du fron­ton appuie con­tre son transept. 

Télétravail

Désor­mais, on peut men­er toute sa car­rière pro­fes­sion­nelle en pyjama.

Travaux 2

Le tuyau enjambe un ravin. Il est ficelé aux branch­es des sap­ins. Quand elle dévale, l’eau de pluie le fait danser mais ne l’emporte pas. Nous voici de l’autre côté du ravin. La pente est aiguë. Evola remue les feuilles mortes, je coupe les racines, il faut encore sci­er les arbustes à fruits et bal­ancer les troncs pour­ris. Alors on peut avancer de quelques mètres. Pour recom­mencer. Peu après midi, nous atteignons la source. Le paysan a fon­du un reste de morti­er autour du tuyau. Le tuyau est scel­lé dans le bassin. C’est donc là que coule l’eau minérale que nous buvons. A tour de rôle tant l’eau est froide, nous net­toyons le bassin. Il peut y avoir plus de vingt ans que per­son­ne n’est revenu ici. S’il y a des bal­ançoires sur le ter­rain de Piedral­ma, c’est que le paysan a fait ses chantiers quand ses filles étaient petites. Elles sont aujour­d’hui adultes.

Travaux

Les dernières neiges ali­mentent l’Ara de leur eau; chaussé de bottes-pan­talon, je tra­verse à petits pas atten­tif à ne pas trop décoller les pieds de la sur­face immergée du pont. Le van reste sur l’autre ber, je viendrai dormir là, dans la clair­ière. Sur le ter­rain, je tra­vaille le potager. Je pioche un rec­tan­gle à légumes. D’abord, je me sai­sis de la herse. La terre est dure. Elle résiste. C’est à peine si les cinq dents de l’outil enta­ment la couche. A genoux, j’es­saie un tri­dent. Je me relève, j’empoigne la pelle car­rée. En fin de compte, c’est la pioche qu’il faut. Je soulève et j’a­bats. Je tire du manche, je dégage la motte et je la retourne. Je la scalpe. C’est épuisant. A demi-couché sur son parterre de cour­gettes, Evola net­toie les mau­vais­es herbes. Nous plaisan­tons. Ces min­istres de France (jeunots élevés en écoles privées) qui expliquent la “ratio­nal­ité économique” aux agricul­teurs. Ils essuient de jets d’œufs. Rien que bon sens. Les pouss­es de salade plan­tées, armés de scie ron­des, de séca­teurs et de cisailles nous enfonçons dans la forêt, nous remon­tons vers la source, le long du tuyau que le paysan a déroulé con­tre la pente pour aller capter l’eau où elle sourd du rocher. Trois heures plus tard, van­nés, nous rebrous­sons chemin. Nous sommes sur la ter­rasse, de la car­a­vane nous fixons le ter­rain en silence les mus­cles durs. 

Piedralma

Après une courte péré­gri­na­tion chez les admin­is­tra­teurs de Puente (soit banque dite “dig­ilosofía” c’est à dire ana­logi­co-ter­restre-klep­to­crate, sécu­rité sociale alen­tie et officine de poste épi­cière, tout trucs qui font suer), j’ar­rive dans la val­lée. Route coupée. Elle est sig­nalée inter­dite. Je déplace la bar­rière de la Garde Civile, roule sur le cail­lou, passe le morceau de voie effon­dré, déplace une autre bar­rière, vais seul. Travaux du jour, dégager la source d’eau potable. Le puits est en forêt à 200 mètres, mais pour l’at­tein­dre il faut pénétr­er dans la brous­saille, sci­er et net­toy­er. Ensuite, j’ai l’in­ten­tion de labour­er mon coin à patates. A six heures ce matin, il fai­sait encore orage. Le pre­mier soleil ne résout pas mon prob­lème: sur les berges de l’Ara l’herbe est ten­dre, elle patine, on s’y embourbe. Je laisse le van sur la route. Près de la riv­ière, dans une coupe som­bre, je trou­ve des kayak­istes français. Assis devant leurs camp­ing-cars, ils étu­di­ent les débits. Je les ras­sure quant à mon uni­forme mil­i­taire, nous dis­cu­tons. La veille, dis­ent-ils, le gorge était pleine, tout juste s’ils sont passés. Hec­tolitres à la sec­onde, syphons, coulée, j’y com­prends que dalle. “Ah! Vous allez sur le pont?”. Inqui­ets, ils m’ac­com­pa­g­nent. Je mon­tre mes bottes. Ils ne sont pas con­va­in­cus. J’en­tre dans l’eau. D’abord sans les sacs (bière et out­ils), affaire de tester. Quelques mètres et je ne peux plus ressor­tir le pied de l’eau sans bas­culer. Le courant est trop fort. Comme je ne peux appel­er Evola (zone blanche), je dois m’en retourn­er. Cent kilo­mètres roulés pour rien. Désœu­vrés, les Français m’ac­com­pa­g­nent. Arrêt du van, je déplace la pre­mière bar­rière. “Ah, on peut? Si la Garde Civile…”. “On peut, dis-je aux Français. Mais par­ler la langue, ça aide…”.

Ordre

Pas d’in­ven­tion spec­tac­u­laire sans con­di­tion intime — il faut réap­pren­dre l’ennui.