Mois : mai 2023

Grande distribution

Super­marché d’en­seigne à Hyères. Gitans roumains couchés devant la porte coulis­sante, homme de la sécu­rité en box devant le por­tique, cour­sives sans clients. Musique en sour­dine, chantier élec­trique au ray­on fro­mages. Les prix sont indé­cents. Nous lorgnons les éti­quettes l’air vexé. En sor­tie de par­cours, un choix restreint dans le panier, dix caiss­es cou­vertes de capotes et bar­rées, deux scan­ners devant lesquels ten­dre ses pro­duits pour l’en­caisse­ment automa­tique. Je fais appel­er une employée. Elle va venir, me dit-on. Elle finit par venir. Elle avait un appel privé en cours. Le télé­phone remisé, elle s’in­stalle à la caisse, nous ren­voie peser notre piment maro­cain, fac­ture, remet sur le tapis roulant qu’elle débranche le pan­neau “fer­mé” et s’en va. Dans le couloir qui ramène au park­ing un Africain juché sur un escabeau frit une crêpe Suzette pour une grand-mère à chien.

Hyères-port

Un cen­taine de bateaux sont garés dans la Mari­na au-dessous du bal­con où je lis. Des voiliers, des yachts, des petits croiseurs. Les plus imposants ont leur piscine et leur voiture embar­quée, mais les promeneurs s’ar­rê­tent avec admi­ra­tion devant celui qui est mon­té de trois moteurs en ligne gros comme des baig­noires et de désign­er les moteurs, la main sur la bouche, en hochant la tête, l’air ravi. 

Adorno

En même temps qu’il con­tribue à la déf­i­ni­tion de la Per­son­nal­ité autori­taire pour ses com­man­di­taires de la C.I.A Adorno cri­tique dans ses Min­i­ma Moralia le poten­tiel total­i­taire de l’Amérique. Il s’au­torise ce jeu de dupes parce qu’en ver­tu de sa con­for­ma­tion anti-bour­geoise et anti-nation­al­iste il cau­tionne pleine­ment l’idée marx­iste d’un homme nou­veau, d’un homme à con­stru­ire selon un patron idéologique. Or, toute idée de con­struc­tion dirigée est par principe inhumaine.

Futur simple

Peut-on créer une machine dont le vivant est une pièce comme une autre?

Essai

Chaque matin dès dix heures, assis sur le banc de la cap­i­tainer­ie du port de Hyères occupé à écrire Mon­des en con­struc­tion. Acheté un cahi­er d’é­cole ligné dans lequel je note au sty­lo pas­sant selon la force du soleil d’un banc à l’autre (il y en a six au pied des façades). Con­scient d’en dire trop, mais com­ment ne pas citer en amont les préreq­uis du raison­nement pour s’aider à penser la thèse, ce jeu, cette autoex­ci­ta­tion, au-delà du bien et du mal, au-delà de toute morale, dont j’étab­lis qu’elle vaut instru­men­ta­tion des indi­vidus pour la société du futur? Le pre­mier jet qui n’est qu’un sup­port au raison­nement sera amendé lors de la réécri­t­ure. Pour le reste, inquié­tude lorsque je me dirige vers mon banc, sat­is­fac­tion après devoir lorsque j’en reviens et retrou­ve la ter­rasse de notre apparte­ment sur la Mari­na, ouvre la pre­mière bière du jour (une Hinano de Tahi­ti), pré­pare le repas (à base d’ail et de basil­ic frais), vais à la sieste et dors sur les idées.

Prémonitoire

Dans un squat, pièce vaste et sans mobili­er dont je suis le seul occu­pant. Par la fenêtre sur rue, j’as­siste à l’ar­rivée d’un camion rouil­lé long de cent mètres. Il sert d’habi­ta­tion nomade à des équipes de squat­ters hos­tiles. Dans l’escalier de l’im­meu­ble résonne un cri : “Alexan­dre, c’est toi qu’ils vien­nent chercher!”. Les sol­dats du camion tes­tent leurs explosifs. Je vais à la com­mode, ouvre les tiroirs. La mitrail­lette n’a qu’un chargeur de 5 balles. Je cherche mon Glock. Je mag­a­sine. Enfile mon gilet, passe le hol­ster et prends posi­tion. Un regard autour de moi : ” Ils veu­lent envahir cette pièce pour m’empêcher d’écrire”.

Jeu

Décidé d’écrire l’es­sai sur la notion de jeu auquel je viens de trou­ver après des jours de ter­giver­sa­tions un titre: Mon­des en con­struc­tion (titre), Poli­tique du jeu (sous-titre). Suis allé repér­er les bancs sur le port. Il y en a un à mi-dis­tance de la Mari­na et des plages qui poussé dans un mur d’im­meu­ble est peu con­voité. Acheté un cahi­er au marché aux puces à une Russe qui vient de racheter le stock d’une librairie pour écol­iers. Et ce same­di, afin de me débar­rass­er, j’ai mis au point le nou­veau pro­gramme de cours d’AD-autodéfense; demain après le petit-déje­uner j’i­rai donc sur ce banc écrire l’es­sai. J’ai une semaine avant le vol Nice-Barcelone.

Grave (suite)

Couché à vingt heures. Douleur con­stante. Artère sous pres­sion, res­pi­ra­tion rapi­de. Impos­si­ble de fer­mer l’œil. La douleur aug­mente. Tête dans l’é­tau, bras qui trem­ble. A deux heures du matin, je me lève pour aller dire à Mon­père d’ap­pel­er une ambu­lance. Je m’é­vanouis. La douleur dev­enue trop forte le cerveau s’est arrêté. Quand je reprends mes esprits, je suis au sol. A qua­tre pattes, retour dans le lit. Mon­père et Nara me veil­lent. Verre d’eau, spray de sec­ours. Encore deux heures d’in­som­nie. Je m’en­dors. Le matin, office de change du Petit-Chêne, achat d’une palette de bière et départ en voiture pour la Côte-d’Azur.

Travail

Cet après-midi, pre­mière séance de la nou­velle com­pag­nie AD-autodéfense, à des fins de répéti­tion, sur les bor­ds de la Sarine, à Fri­bourg. Huit amis ont répon­du à l’in­vi­ta­tion. Tout autour, sur les deux ter­rains de foot­ball, des Pak­istanais à la peau orange entraî­nent leur crick­et. Le cours que nous testons ‑notre futur pro­duit- se déroule sur trois heures. J’ex­plique, je démon­tre, mon col­lègue sert de plas­tron, il rec­ti­fie les pos­tures. Entre amis, nous buvons ensuite jusqu’à minu­it au café du Belvédère. Retour par le dernier train pour Neuchâ­tel chez Luv, con­voi arrêté par la police qui cap­ture à grand ren­fort de spec­ta­cle un jeune fou alcoolisé que je con­nais et que j’ai d’ailleurs félic­ité à notre arrivée à Fri­bourg, vers 13h00, comme il se pro­po­sait de pirater pour nous les WC de la gare CFF afin que n’ayons pas à pay­er le “franc du besoin”. Mangé des pâtes à deux heures du matin dans l’ap­parte­ment-stu­dio que loue Luv sous le build­ing de l’Of­fice Fédéral de la Sta­tis­tique, nuit affreuse, tran­spi­rante, sans som­meil, mal­menée par des douleurs cardiaques. 

Tourisme local

Vis­ite non­cha­lante des quelques attrac­tions qui ont mis Budapest sur la carte des touristes d’a­gence, Palais de la musique et fontaines acro­ba­tiques, édi­fices Jugend­stil et bains de faïences, cafés aus­tro-vien­nois ou, j’aime ces ves­tiges dix-neu­viémistes, kiosques à fleurs en bois. Arrêté devant le Par­lement par les pré­parat­ifs au voy­age du Pape qui fera son spec­ta­cle jeu­di avec la béné­dic­tion d’Or­ban, nous met­tons le cap sur Óbu­da pas­sant le pont Margrit en tram. Au som­met de la colline royale, pho­togra­phie de cou­ple dans une fenêtre de frise du château. Elle est prise par une Française à qui Gala fait remar­quer qu’elle par­le bien le français, à quoi la femme répond: “je suis Française”. Cliché avec vue sur le Danube que j’en­voie à Luv par télé­phone, laque­lle me dit: “j’ai la même”. De retour dans la zone sous con­trôle hol­ly­woo­d­i­en de Vaci ut, grand traf­ic de spéci­mens étrangers mi-hommes mi-femmes blancs ou jaunes ou noirs col­lec­tant à coups d’ar­gent numérique les habits-chif­fons des enseignes mon­di­ales, puis à nou­veau — à par­tir du cen­tre com­mer­cial Wes­t­end qui mar­que la fin de la ville-mar­ket­ing et l’en­trée dans la zone d’habi­ta­tion du dis­trict XIII — la déam­bu­la­tion au milieu des Hon­grois lents, alcoolisés, cireux et mal fagotés mais de chair et d’os, c’est à dire vivant leur des­tin plutôt que le régime d’ape­san­teur capitaliste.