Mois : novembre 2022

Toldo

Le matin, Daniel au télé­phone: “tu peux être à Hon­darrabía pour neuf heures?”. Je con­sulte ma mon­tre. Il pleut des vers­es, le ter­rain vague n’est que boue, le vent du large fou­ette les pins, le brouil­lard enve­lope le van et je suis sur le Mont Jaizk­i­bel: “Daniel, il est neuf heures moins dix!”. 

- Oui, je sais. Alors, dès que possible? 

Comprendre

Que la stratégie du coup d’é­tat per­ma­nent orchestrée par la tech­nocratie (virus, élec­tric­ité, nour­ri­t­ure, fémin­isme, immi­grés…) vise à saper les droits pour établir via les “solu­tions néces­saires” des potentats.

Euskadi

Van instal­lé au-dessus du port d’Hon­darra­bia sur le mont Jaizk­i­bel, je débar­que chaise et table, bois un thé, lis L’homme seul de Frochaux et bronze. Le temps est superbe, le lieu rem­pli de pique-niqueurs, les enfants jouent au bal­lon, c’est dimanche. Plus tard, matériel de sport sous le bras, j’emprunte le chemin de ronde de la forter­esse Guadalupe. La citadelle creusée de dou­ves doit béné­fici­er d’une vue sur la France, Hen­daye et Saint-Jean de Luz mais de l’ex­térieur impos­si­ble d’en juger et ce jour elle est fer­mée aux vis­i­teurs. Ce que l’on devine, c’est une struc­ture en quin­conce aux allures de bête archaïque. Elle est cou­verte d’herbe mousseuse, elle est enfon­cée dans la terre. Ici et là sur­gis­sent un pan de muraille ou un cha­peau de tourelle. La taille est d’un colosse, le poids inouï ain­si que le sen­ti­ment d’inu­til­ité. J’é­tudie les entrées afin de me cacher: je n’aime pas dérouler mes exer­ci­ces en pub­lic. Au bout d’une travée, près d’une grille à hers­es, je trou­ve le lieu idéal. Entre deux talus, j’en­traîne mes rou­tines tan­dis que sur le chemin haut défi­lent invis­i­bles les touristes. Le soir je décroche le vélo, descends à Hon­darrabía, j’achète une bouteille que je bois sur le port. Au retour, la pluie me rat­trape. J’ai sous-estimé la mon­tée : il y a près de cinq cent mètres de dénivelé depuis la mer. Puis j’ai oublié mes phares et mon casque. J’ar­rive sur le Jaizk­i­bel trem­pé. Tout le monde est par­ti ou presque; reste un cou­ple de Berlin et ses chiens à bord d’un MAN vert cam­ou­flage et des hip­pies arc-en-ciels dans un Duca­to en forme de meringue. La nuit, le télé­phone sonne. C’est Daniel. Qui est Daniel? L’émis­saire de Tol­do. “Tol­do t’ap­pellera demain matin”, dit Daniel. 

Navarre 6

Col de l’In­fer­nuko. Mérite son nom. Route de dévi­a­tion au sor­tir d’une val­lée trans­ver­sale de la Bidas­soa, elle se dresse sur des pentes de dix-neuf pour-cent jusqu’à une haute forêt mar­quée de coupes som­bres. Des mou­tons blancs à tête mar­ron sont au pacage. Au som­met, un pan­neau défon­cé par la chevro­tine indique: Eli­zon­do. Je con­nais, j’ai dor­mi dans l’église de ce vil­lage il y a trente ans. Je roule en bas de la mon­tagne, bois un Coca-Cola au super­marché et attaque le retour. Et quel retour! Les sept cent mètres de mon­tée débu­tent par une rampe de vingt-et-un pour-cent. A cinq à l’heure sur l’u­nique plateau, la roue lève!

Navarre 5

Com­posé dans le demi-som­meil un poème sur la mort. Ni volon­té comme il m’ar­rive pour me dis­traire durant les insom­nie ni jeu comme à l’oc­ca­sion je fais pour m’a­muser. Jamais d’ailleurs je n’avais com­pos­er sur la mort. Les deux pre­miers vers venus sous l’ef­fet de l’in­spi­ra­tion. Puis une pause et la suite. Longue de six stro­phes. Bal­ancées, musi­cales, imposantes. Poème dur. Som­bre. Lumineux. Effrayant. Que je récite pour mémoire. “Tente de retenir les pre­miers vers”, me dis-je. Je les répète — en vain: un seul en mémoire au réveil, le pre­mier et pas le moin­dre sou­venir des qua­trains qu’il déroulait.

Parents 2

Enfants mal élevés. Sans hési­ta­tion: fess­er les parents.

Parents

Par­ents qui deman­dent à leurs enfants s’ils veu­lent bien accepter l’or­dre qu’ils donnent.

Comprendre

Que les mod­èles des poli­tiques futures s’in­spirent des scé­nar­ios de Hol­ly­wood eux-mêmes le résul­tat d’idées enfan­tines organ­isées par des cerveaux mécaniciens. 

Comprendre

(Le cli­mat) — quand j’achète une Mer­cedes, je m’aperçois soudain que nom­bre de gens roulent en Mercedes.

Navarre 4

Quit­té le tertre après avoir har­naché le vélo. Il fait un temps de soleil et d’au­tomne, les mou­tons pais­sent, les aigles volent, le sen­tier qui amène à la Bidas­soa est con­stel­lé de châ­taignes. Der­rière le pont ancien, je trou­ve la Voie verte. Il s’ag­it du tracé que suiv­ait le chemin de fer d’époque, celui sur lequel j’ai marché en 1991, ce que je racon­te dans Soir Nuit Noir, réc­it de la même année, mais en trente ans tout est changé, le tracé liq­uide, éboulé, cat­a­strophique (les cinq cent kilo­mètres par­cou­rus trop vite, en chaus­sures de con­signe, en bas­kets neuves m’avaient mis les pieds en charpie) est semé de gravier, les tun­nels ont l’é­clairage automa­tique, les familles basques se promè­nent sur les Champs-Elysées. Comme je m’en rends compte, je me réjouis, j’ac­célère, je tiens une moyenne proche des trente kilo­mètres pour rejoin­dre la mer à Hon­darrabía quand une pierre fait sauter ma cham­bre. Elle expire, je suis à plat. Pas grave sinon qu’il s’ag­it de la roue avant. Mon­tée d’un porte-sacoches. Equipée d’un moyeu-dynamo. Que la jante est “tube­less-ready”. Que le pneu est de mod­èle clas­sique, donc inadap­té et impos­si­ble à dépareiller. Autrement dit: il ne fal­lait pas crev­er. Un heure plus tard, je con­firme: c’est un désas­tre. J’ai réparé des cen­taines de fois, mais là je n’y com­prends rien. L’idée que je pour­rais être n’im­porte où — dans l’At­a­ca­ma — en Laponie — loin, très loin — et que je suis là, au bord d’un aimable chemin basque, sous le soleil, m’en­cour­age: je jure de répar­er. Une ran­don­neuse s’ar­rête: “je t’aide?”. Quelle gen­til­lesse! Non — plus long de lui expli­quer que de per­sévér­er en soli­taire. Cepen­dant je n’y arrive pas. Les détails mécaniques fatigueraient les meilleurs esprits, moi le pre­mier, mais une chose m’ap­pa­raît : si je con­nais la théorie, en pra­tique je n’ar­rive à rien, je m’é­corche la main, je m’én­erve, je tords les spat­ules, je saigne. Le nez sur le pneu, je sens soudain une présence. Un cycliste. Habil­lé pour l’hiv­er, casqué, calme, et d’une ama­bil­ité! “Tu devrais…”. Le ton de la voix est celui d’un maître. Il a le savoir, je m’exé­cute. Au milieu du tra­vail, il recule de deux pas et dit : “étrange, la nuit dernière, j’ai rêvé que je crevais”. Et de m’ex­pli­quer que c’est impos­si­ble, lui, enfin son vélo, est équipé de “tube­less ready”. Moi, lui dis-je, je suis un imbé­cile, quand on m’a pro­posé des tube­less-ready, j’ai refusé. Rester dans la tra­di­tion, c’est ce que je voulais. — Oui, répond le cycliste, mais la tra­di­tion sur le pro­grès… je dirais… euh, achète une Fer­rari et fais-là tourn­er au char­bon, tu vois? La jante que tu as là, c’est une mer­veille, si je pou­vais me pay­er la même…”. Là-dessus nous finis­sons — lui surtout — et je m’empare de la pompe. Ma pompe. Elle ne marche pas. Il l’empoigne. Il con­firme: marche pas. Trente ans que je l’ai, lui dis-je. Il sort sa pompe. Elle marche. Il gon­fle mon pneu. Tan­dis que je remonte le porte-sacoches, le cycliste m’en­tre­tient de sub­til­ités tech­niques. Il faut se mon­tr­er cour­tois avec un ange tombé du ciel, je demande: et sinon, tu fais quoi? Le cycliste regarde autour de lui : je vais aller manger. Il indique sa direc­tion. Opposée à la mienne. Donc, lui dis-je, nous nous crois­erons sur le chemin du retour, car je vais à la mer. Cent kilo­mètres plus tard, je suis de retour sur mon tertre aux ânes et je n’ai pas revu le cycliste, ce qui est impos­si­ble, ce qui est vrai.