Mois : novembre 2022

Navarre 3

Encore de la peine à diriger, align­er, équili­br­er la camionette. Moi qui jamais n’ai su con­duire. Autre chose : tout ce qui allonge le corps, y com­pris le vélo, me sem­ble étrange. Dans ce cas, la pro­tubérance est de taille, plus de cinq mètres, sept avec le porte-bagages. J’a­joute que l’ac­cès au site de camp­ing d’Ar­itzi­gain se fait par une pente de 19% où se baladent les ânes. Une fois instal­lé, je suis le plus heureux des hommes. J’or­gan­ise un “monde en rac­cour­ci”, prof­ite de la fin du soleil, boit de la bière sous l’au­vent de toile, écoute son­ner les cloches au vil­lage voisin de Sun­bil­la. La nuit, l’an­goisse me rat­trape. La camion­nette prend les com­man­des. Elle desserre le frein à main, s’élance en bas du talus et s’im­mo­bilise con­tre le restau­rant. Je l’in­ter­roge: “que fait-on là?”. Elle répond d’un geste. Je vois! En par­tie haute, le ter­rain est trans­for­mé en marécage. Je ne dis pas non, mais me récrie: “la prochaine fois, aver­tis!”. La camion­nette: “Impos­si­ble, je viens d’ap­pren­dre que Calaferte va te ren­dre vis­ite et il arrivera par là, en marchant sur les eaux.”. 

Navarre 2

Seul sur un tertre d’herbe face à une mon­tagne dess­inée par une classe d’en­fan­tine, un cône façon Vanil noir. En plus tra­pu, le décor de cimes évoque les pré-alpes de l’Intya­mon dans notre Gruyère. Des ânes broutent autour de la camion­nette. Au restau­rant du camp­ing, la patronne m’in­stalle avec les ouvri­ers de la route. Elle sert de la tomate rose, de la laitue, un poulpe frit à l’ail, au dessert une Cua­ja­da (ser­ré de lait de chèvre) fumée au four, l’âiné des ouvri­ers — sans inter­rompre la con­ver­sa­tion qui est en basque — verse une gorgée de vin rouge dans nos tass­es de café.

Navarre

Je ne sais plus me lever. S’il le faut à une cer­taine heure, je ne sais plus me couch­er. Je me couche, je ne dors pas. La nuit passe, elle est blanche. Je m’en­dors; c’est l’heure. Déshabitué — onze ans que je vis sans horaire. Or, ce matin je dois pos­er une fenêtre avec Evola. Mau­vais jour. Il n’é­coute pas. Je dis: “j’ai ren­dez-vous avec Tol­do mon ami mex­i­cain dimanche soir à Hon­darrabía sur le golfe de Guipuzkoa, c’est un homme pressé, il atter­rit avec son Jet et repart, je ne sais pas com­ment cela se peut, je me tiens prêt, il a un moment, il télé­phone”. Cela dit le week-end dernier, alors que nous posions la fenêtre du salon. Mais Evola, après la négo­ci­a­tion sur le park­ing avec le tech­ni­cien du solaire, fait: “tu pars? mais…euh…combien de temps?”. Je ne suis pas sûr des dates, mais je pars et je sais quand, le 11 au matin. Evola: “alors tu pour­rais pass­er le onze au matin, avant de par­tir…?”. Ain­si, après avoir mal dor­mi, peu dor­mi, pas dor­mi, je dirige la camion­nette sur Puente, emprunte à l’aube l’au­toroute du désert, plonge dans le val, m’en­fonce dans le défilé, passe les tun­nels de roche. A mi-dis­tance, sur la route, un bloc de mille kilos tombé cette nuit. Je regarde crain­tive­ment vers le ciel. Passé la cen­trale hydro­graphique, j’en­tre sur le chemin de terre, je patine dans l’herbe des berges du Véral, arrête le moteur, me déchausse, tra­verse à pied le pont de Piedral­ma. Devant notre por­tail, deux chevreuils. Ils détal­ent la queue en pom­pon. Je frappe à la porte de la car­a­vane. — “Ah, tu es là? fait Evola. En fin de compte, j’ai com­mencé hier, il m’a fal­lu six heures pour la découpe. Me suis juste arrêté pour fumer.” Demi-heure plus tard la fenêtre alle­mande est posée, je repasse le pont et roule jusqu’en Navarre. Le soleil illu­mine encore lorsque je sta­tionne sur le terre-plein du camp­ing de Aritzi­gain au-dessus de la Bidassoa.

“Notr pays”

Les Suiss­es ont réal­isé cet exploit: être apa­trides dans leur pro­pre pays.

57

Moins intéressé par ce que je fais. Que cepen­dant je fais. Bien. De mon mieux. Répéti­tion. Sen­ti­ment de me répéter. Certes avec per­fec­tion­nement. Mais a min­i­ma. Cela peut-être la vieil­lesse. Jouer son pro­pre rôle. Dont on se demande si on l’a bien choisi. En sachant qu’il est indé­fectible. Tout juste trans­formable. A min­i­ma. D’où la ten­ta­tive de perfectionnement.

Château-d’Oex

Sou­venir entier à l’in­stant, comme je reni­fle seul dans ma cham­bre quar­ante ans plus tard, de l’odeur de bois coupé qui mon­tait de la sci­erie au-dessus de laque­lle je couchais en dor­toir, dans un “home pour enfants” de l’Ober­land, près de la rivière. 

Caractères

Capa­bles ni d’aimer ni de détester. Détester ils voudraient bien mais c’est inter­dit; aimer ils voudraient bien mais n’y parvi­en­nent pas.

Muses

Mau­vais com­pagnon l’écrivain. Occupé à soi-même pour trou­ver le monde, il aime celle qu’il aime mais se défausse lorsqu’il faut se livr­er. Ado­ra­tion des femmes-mus­es qui sont une source d’in­spi­ra­tion dans la recherche de soi. 

Envers-avers

Dimanche soir dernier, inten­sé­ment heureux. J’en cherche la rai­son. Ne trou­ve pas. Mais vois ceci: je peux faire ce que je veux si je le veux. Et j’ai, pour en décider, tout le temps néces­saire. Pas mal. Quelques heures plus tard, comme je me couche, la sen­sa­tion n’a pas dis­parue: inten­sé­ment heureux. Au réveil, étrange con­stat — une fois encore — devant la logique incom­préhen­si­ble des rêves: tous d’an­goisse, d’in­cer­ti­tude, d’anx­iété, et qui me lais­sent dans un état fébrile. La sen­sa­tion de la veille, effacée.

Art

Has­san Cobalt, gourou psy­chotech­nique déclarant face à un Jean-Michel Besnier aba­sour­di: “L’art? Ce n’est que du diver­tisse­ment”. Com­bi­en j’aime mieux Calaferte notant: “Heureux ceux pour qui l’art tient lieu de morale”.