Je ne sais plus me lever. S’il le faut à une certaine heure, je ne sais plus me coucher. Je me couche, je ne dors pas. La nuit passe, elle est blanche. Je m’endors; c’est l’heure. Déshabitué — onze ans que je vis sans horaire. Or, ce matin je dois poser une fenêtre avec Evola. Mauvais jour. Il n’écoute pas. Je dis: “j’ai rendez-vous avec Toldo mon ami mexicain dimanche soir à Hondarrabía sur le golfe de Guipuzkoa, c’est un homme pressé, il atterrit avec son Jet et repart, je ne sais pas comment cela se peut, je me tiens prêt, il a un moment, il téléphone”. Cela dit le week-end dernier, alors que nous posions la fenêtre du salon. Mais Evola, après la négociation sur le parking avec le technicien du solaire, fait: “tu pars? mais…euh…combien de temps?”. Je ne suis pas sûr des dates, mais je pars et je sais quand, le 11 au matin. Evola: “alors tu pourrais passer le onze au matin, avant de partir…?”. Ainsi, après avoir mal dormi, peu dormi, pas dormi, je dirige la camionnette sur Puente, emprunte à l’aube l’autoroute du désert, plonge dans le val, m’enfonce dans le défilé, passe les tunnels de roche. A mi-distance, sur la route, un bloc de mille kilos tombé cette nuit. Je regarde craintivement vers le ciel. Passé la centrale hydrographique, j’entre sur le chemin de terre, je patine dans l’herbe des berges du Véral, arrête le moteur, me déchausse, traverse à pied le pont de Piedralma. Devant notre portail, deux chevreuils. Ils détalent la queue en pompon. Je frappe à la porte de la caravane. — “Ah, tu es là? fait Evola. En fin de compte, j’ai commencé hier, il m’a fallu six heures pour la découpe. Me suis juste arrêté pour fumer.” Demi-heure plus tard la fenêtre allemande est posée, je repasse le pont et roule jusqu’en Navarre. Le soleil illumine encore lorsque je stationne sur le terre-plein du camping de Aritzigain au-dessus de la Bidassoa.