Mois : février 2022

Usine

Que l’in­dus­trie dans la forme car­i­cat­u­rale de l’u­sine prive l’in­di­vidu de son méti­er et de sa morale, les manuels d’his­toire nous le répè­tent à l’en­vi, mais en même temps qu’ils stig­ma­tisent cette perte d’hu­man­ité, ils van­tent son dépasse­ment dans la nou­velle société des loisirs, préven­tive, équitable, aux intérêts mutu­al­isés, aux idéaux com­muns. Or, ce que révèle la crise san­i­taire orchestrée par les chefs mon­di­aux de l’in­dus­trie que leur pro­pre “usine men­tale” a privé de morale et d’hu­man­ité, c’est que nul ne sort indemne de l’in­dus­tri­al­i­sa­tion de l’e­sprit. La peur infan­tile des pop­u­la­tions du bloc Nord, le sauve-qui-peut angois­sé des mieux éduqués, l’in­féo­da­tion pathologique au pou­voir et plus que tout l’ex­i­gence masochiste d’or­dres mon­trent que l’in­di­vidu fait mais ne sait plus ce qu’il fait, veut mais ne sait pas ce qu’il veut, est, mais ne sait qui il est. De là que, à la moin­dre sec­ousse — nom­mé­ment le théâtre san­i­taire — il se tienne apeuré devant son drame.

Ecriture

Pro­jets de livres: un Traité de la dis­pari­tion (j’y pense depuis quar­ante ans), une Phénoménolo­gie du demi-som­meil (trente ans que j’y pense), le dernier volet du trip­tyque com­mencé avec OM et TM, il doit s’in­ti­t­uler SM et un essai sur les Fonde­ments cyberné­tiques du Posthu­man­isme. Le reste est dispensable.

Balade

Eton­nante beauté des grands espaces minéraux ces jours. Les sept riv­ières qui coulent des Pyrénées dans la val­lée de l’E­bre ont pris des teintes froides. Elles tra­versent un silence inouï où l’on ne voit aucun homme. Dans le ciel tour­nent des fau­cons, les pins plient sous une rafale de vent. Lorsque j’at­teins les vil­lages, ils sont muets. Un vieil­lard assis sur un banc de pierre a les yeux fer­més, le men­ton sur la canne. Plus loin, un cal­vaire et un tracteur rouge mac­ulé de boue. Les pneus de mon vélo chuin­tent. Une femme se retourne. Elle ne me con­naît pas, elle salue et je suis déjà de retour sur la route des prés. Les murs de pierre sèch­es font labyrinthe. Sou­vent ruinés, ils divi­saient les ter­res à l’époque de la cul­ture vivrière entre voisins. En direc­tion de l’Aquitaine, les cimes qui couron­nent les pentes som­bres ont l’air enduites de sucre-glace. Je passe un pont romain, grimpe à tra­vers un bois. Une per­drix s’af­fole, remue le buis­son, c’est à nou­veau le silence.

Echappement

Que l’on ne peut pas sor­tir de ses gonds si l’on a été bien fer­ré. Mais le savoir aide. Fait jeu. En posi­tion entée, le plus petit mou­ve­ment donne déjà du recul. Par­fois, c’est assez pour se raison­ner. Devient alors vis­i­ble l’in­com­men­su­rable société. Archi­tec­ture aux mille effets d’in­té­gra­tion. Rares sont ceux qui trou­vent le chemin qui rejoint l’issue.

Stendhal 2

Cette écri­t­ure bru­tale, extra­or­di­naire qui sera plus tard la mar­que de style d’un Bernard Tra­ven dans ce roman épique qu’est La révolte des pendus.

Stendhal

Le roman­tique Stend­hal se fait compt­able au moment de racon­ter sa vie et procède avec une telle sécher­esse qu’il en devient à la fois drôle et trag­ique (selon les sujets). “Mme Genet, nonne juteuse de vingt-huit ans (mais sans esprit et avec l’âme étroite de la province) dit en secret à Mme… que j’avais don­né à enten­dre dans l’une des mes let­tres au quarti­er général que je l’avais eue.” Note de bas de page à laque­lle ren­voie le nom de Mme Genet : “ De ces femmes qui par­lent d’indé­cence et de fouterie parce que rien que cela les intéresse. Elle voulait en par­ler avec moi et être enfilée. 1815”. Et dans le reg­istre de la guerre: “En arrivant sur le pont, nous trou­vons des cadavres d’hommes et de chevaux, il y en a une trentaine encore sur le pont; on a été obligé d’en jeter une grande quan­tité dans la riv­ière qui est démesuré­ment large []. Toute la ville d’E­bers­berg achevait de brûler, la rue où nous passâmes était gar­nie de cadavres, la plu­part français et presque tous brûlés.” Ecrits intimes, 1809.

Cirque

Le clown Klaus Schwab a de l’as­cen­dant sur les mil­liar­daires car il a fait un petit cro­quis d’un monde dans lequel ils seraient justifiés.

Rêve 2

Mau­vaise piste pour le pas­sage de douane. Le garde mex­i­cain me fait signe. Je recule, avance, freine. La Dodge pour­suit. J’en­fonce le frein à main. La Dodge pour­suit. Je baisse la vit­re pour ten­dre mon passe­port. Il est rouge et brun, il est écrasé, il est dans un tor­chon. Le garde veut l’at­trap­er, je résiste car il y a le pis­to­let, sa crosse dépasse du tor­chon et la Dodge con­tin­ue d’a­vancer, elle avance sur le Mexicain. 

Terrain

Vis­ite à l’ar­chi­tecte des ter­res agri­coles des Val­lées occi­den­tales. L’homme a le physique tra­pu des paysans de mon­tagne, il porte une mous­tache affinée. Son bureau donne sur l’église de Fecho, une cigogne a son nid con­tre le clocher. ‑Le pont sur la riv­ière est cassé, lui dis-je. “Oh, ça oui, il est cassé”. ‑Depuis peu, me dit-on. “Oh, ça oui, deux ou trois ans”. ‑Tout de même! Vous pensez le répar­er? “Le répar­er? Non. Il n’y a pas l’ar­gent. Mais si vous obtenez l’ac­cord du garde foresti­er, vous pou­vez le répar­er”. ‑Sinon je ne peux pas tra­vers­er, pas rejoin­dre le ter­rain. “Oh, ça non!”. L’ar­chi­tecte tourne le plan, hoche la tête, me sourit: “c’est une belle terre ! Mais froide. Je me sou­viens, l’an­née dernière la route était coupée, je suis sou­vent passé par là, c’est l’en­droit le plus froid de la val­lée. Et puis il y a le ‘mul­ti­sport’ ”. ‑Cette sorte de chape? “Oui, un ter­rain de bas­ket ou de ten­nis, quelque chose comme ça. Inter­dit à moins de cent mètres de la riv­ière”. ‑Il est à côté “Oh, ça oui, à côté, juste à côté”. Décidé­ment l’homme est sym­pa­thique; je demande: ‑quel con­seil me don­ner­iez-vous? “Eh bien, allez voir le garde, par­lez-lui! Le mieux est de le ren­con­tr­er. Ne lui télé­phonez pas, allez le voir! Et pour les risques d’i­non­da­tion, il y a le maître des eaux. Celui-là, vous pou­vez l’ap­pel­er, c’est un gars de la ville, il a l’habi­tude du téléphone. 

Théâtre

-Bon­jour Michael! “Mon nom est Jean”. ‑Jean? Eh bien Jean, désor­mais vous serez Michael. Mon nom est Marc, même si ce n’est pas mon vrai nom. Vous com­prenez? Jean, avez-vous com­pris? Je com­mande. C’est moi qui com­mande. Moi, Marc. Voilà ce qu’il faut com­pren­dre. Main­tenant si je m’adresse à vous Michael, c’est que j’ai besoin d’une pièce. “Laque­lle?”. ‑La pièce man­quante. “La…? Mais encore?”. ‑Mais encore, mais encore! Quoi, mais encore? Jean, nous sommes dans un mag­a­sin, vous êtes le mag­a­sinier, je suis le client! Vous deman­dez quelle pièce? Je répète: LA pièce man­quante. Com­pris? Allons, servez ce client et revenez me voir! Je sais Jean… il fau­dra du temps pour trou­vez la pièce man­quante, mais croyez-moi Jean, vous la trouverez!