Année : 2020

Partes extra partes

Soit deux côtés: l’E­tat et la finance, d’autre part le reste de l’hu­man­ité. La finance trans­for­mait avec prof­it et sur con­trat votre avoir, l’E­tat pre­nait à son compte, après con­sen­te­ment et sur rétri­bu­tion, vos prérog­a­tives privées. Sit­u­a­tion révolue. Aujour­d’hui, les indi­vidus s’a­joutent à l’un des groupes ou à l’autre. Le pre­mier, celui de la finance et de l’E­tat, garan­tis­sant à ses mem­bres une sécu­rité rel­a­tive pour autant  qu’ils malmè­nent, con­trô­lent et en fin de compte détru­isent sur ordre les mem­bres de l’autre groupe.

Noms

Le Seuil refuse mon man­u­scrit; la femme qui me l’an­nonce s’ap­pelle Bel­loeu­vre. Moi qui con­nais un répara­teur de pho­to­copieuse nom­mé Noir­main, un mer­ce­naire nom­mé Battaglieri, un homme sale Pais, un aigu­iseur de couteau Taille­fer et un guide de mon­tagne Mon­tanés, je suis ravi.

Laibach

Slovénie — trois fois que je vis­ite le pays. Les gens les plus civil­isés que je con­naisse. Plus que cela: ils sont civil­isés et s’ef­for­cent, par esprit de per­fec­tion, à cor­riger les détails pour par­faire cette civilité.

Film

Assis à la table du café de Umag, sur le port quand s’a­bat une puis­sante averse. Les chenaux giclent, les grilles d’é­gout recrachent, les dalles sont noyées. Je lève les pieds, laisse pass­er le flot, puis vais dans la pluie pour pren­dre une pho­to des façades jau­nies par la lumière d’or­age quand trois gamines tra­versent la place en riant des caiss­es à sar­dines retournées sur la tête. 

Viceversa 2

Cette femme, Clau­dine Gaet­zi, qui impose un thème à votre con­tri­bu­tion lit­téraire et vous dit que pensez, que n’écrit-elle pas tous les textes de sa revue? Bien sûr: elle doit faire accroire à l’E­tat que la revue pub­lie les “écrivains suiss­es” donc représente la “lit­téra­ture suisse”. Moi, pour Fr. 4000.- la page, j’écris volon­tiers sur com­mande et sur la famille: “Ce dimanche-là, papa, qui déjà n’aimait plus maman…”. 

Viceversa

Est une revue de lit­téra­ture suisse pub­liée dans nos langues nationales. Je ne con­nais­sais pas. En août, je tombe lors d’une recherche des arti­cles cri­tiques pub­liés autour de H+ sur un compte-ren­du de mon texte: doc­u­men­té, bien écrit, élo­gieux. De quoi se réjouir. Coïn­ci­dence, un mois plus tard, la rédac­teur en chef, Clau­dine Gaet­zi, me demande une con­tri­bu­tion. Les pages don­nées à la revue seront accom­pa­g­nées d’un entre­tien et d’une séance de pho­tos. Le tout payé Fr. 400.-. Moins ras­sur­ant, le thème imposé: “la famille”. Sur laque­lle, je n’ai rien à dire et souhaite ne rien dire (à part: “depuis quand impose-t-on un thème à des écrivains?), mais je me con­va­inc qu’en lit­téra­ture on ne par­le jamais que de lit­téra­ture et que les thèmes, tous les thèmes, sont à la fois présents. Sur quoi, ayant ter­miné trois textes (OM, Paléoé­mas­sifi­ca­teur et Notr pays) et une tra­duc­tion au cours de l’été, je décide de don­ner à la revue des extraits de ce tra­vail et réor­gan­ise mon cal­en­dri­er pour me trou­ver en Suisse au moment de l’en­tre­tien et des pho­tos. Trois semaines passent, je suis à Lau­sanne, la ren­con­tre avec la pho­tographe zuri­choise est prévue pour le lende­main quand je reçois — à 20h00 le soir — un cour­ri­er de la rédac­trice. Elle dit: nous (qui “nous”?) sommes choqués par cer­tains des pro­pos que vous tenez dans votre Jour­nal d’In­con­sis­tance. Elle dit: par ailleurs, les extraits que vous nous avez fait par­venir ne trait­ent pas de la famille. Elle con­clut: “nous” annu­lons. N’est-ce pas extra­or­di­naire? Cette femme et son équipe, payés par l’E­tat, ne vous lisent pas ou du moins ne savent pas ce que vous écrivez; vous sol­lici­tent; imposent un thème façon “racon­tez vos vacances d’été”; se ravisent; et vous font la morale. Plus exacte­ment: font com­pren­dre qu’ils pensent juste et que leur idéolo­gie étant la seule accept­able, vous êtes un paria. Ain­si, il existe une lit­téra­ture offi­cielle en Suisse, une lit­téra­ture d’E­tat: cela ne sur­pren­dra pas, elle est social­iste, fémi­nine et totalitaire.

France-poubelle

Le gou­verne­ment de France s’arrange pour faire entr­er, et laver, et soign­er et rémunér­er plus de 3’000 éner­gumènes pak­istanais sans papi­er par mois depuis des années et quand l’un de ces envahisseurs découpe au hachoir des pié­tons dans Paris, la presse de pro­pa­gande titre (toutes, de con­cert, voir les quo­ti­di­ens) : “la police enquête sur l’i­den­tité réelle de l’as­sail­lant”. Déporter quelques trois milles fonc­tion­naires parisiens par mois au Pak­istan ne peut que prof­iter au retour de la démoc­ra­tie sur le ter­ri­toire français.

Nos sociétés de la honte

Com­ment font-ils? Ignorent-ils délibéré­ment le change­ment? S’ag­it-il d’une fuite intérieure? D’une démis­sion? D’une forme de néga­tion, non seule­ment de la lib­erté, mais du corps, de l’e­sprit. Ou d’une néga­tion plus fon­da­men­tale, la néga­tion de la vie? Oui, com­ment font les gens d’hi­er, qui se com­por­tent ces jours sans rien mod­i­fi­er à leur quo­ti­di­en? A con­stater le dur­cisse­ment des pou­voirs, je me réjouis d’être par­ti à vélo. De vagabon­der. Bien­tôt, cela ne sera plus per­mis. Et pour longtemps. Je compte en généra­tions. Le ver­rouil­lage déli­rant des espaces vitaux pro­gresse. Allez savoir si le Pro­gramme ne va plus vite que l’avaient prévu ses con­cep­teurs? Pour un temps, le flot de men­songes qu’assè­nent à l’u­nis­son les gou­verne­ments trahit encore l’in­quié­tude: les imbé­ciles que nous sommes vont peut-être com­pren­dre qu’ils ont affaire à un expéri­ence d’ingénierie sociale et pos­er un refus. A moins que l’ar­ro­gance ne l’emporte et que les man­dants de cette prise de pou­voir sur les con­sciences aient une foi totale dans leurs instru­ments de cap­ta­tion de la volon­té. Quoiqu’il en soit, il en est fini du vieux monde hérité des généra­tions vail­lantes. Nous sommes dans la merde, et pour longtemps, pris en étau entre une admin­is­tra­tion omniprésente et des essaims d’én­er­gumènes prélevés sur les stocks du tiers-monde. Dans cette équa­tion, je ne vois qu’une incon­nue sus­cep­ti­ble de prof­iter aux défenseurs de l’in­di­vidu : l’ar­gent. Il manque. Il va man­quer. Dans des sociétés — les nôtres — où plus des deux tiers des citoyens sont occupés à dépenser le gains pro­duit par le dernier tiers, le point de chavire­ment n’est jamais loin.  Alors quoi? Rien de neuf sous le ciel: une guerre pour les ressources. Voiture, mai­son, quarti­er, nour­ri­t­ure, femmes… vieille his­toire. Une chose est sûre: il faut quit­ter les villes. Où les éner­gumènes se charg­eront, pour le meilleur prof­it des gou­verne­ments retranchés (ils le sont déjà, ces enne­mis), de faire régn­er la loi maffieuse et piller les éner­gies dernières des autochtones.

Umag 2

Toute la nuit je me suis félic­ité. Sur la place, en front de mer, les vents ont emporté para­sols et devan­tures. Ce matin, des ouvri­ers venus en camion­nette répar­ent. Ma tente n’au­rait pas résisté: dernière imper­méa­bil­i­sa­tion il y dix-huit ans. Surtout, j’au­rais eu de la peine à m’en extraire pen­dant l’or­age. Même dans le lit de l’auberge j’ai souf­fert, craig­nant de me retourn­er, renonçant à me lever, à aller piss­er. Au réveil, impos­si­ble de lac­er les chaus­sures. Cette pente dans le vig­no­ble, au-dessus de Bercht­es­gaden, prob­a­ble­ment. Le vélo à l’ar­rêt, j’ai arraché sans pren­dre la peine de pass­er le petit plateau. Le soir, la douleur était mod­este, mais depuis j’ai roulé 405 kilo­mètres. Donc me voici au port. For­cé d’at­ten­dre. Pas le plus mau­vais endroit. De la cham­bre, je vois deux petites car­avelles, l’une blanche, l’autre de bois. Elles se bal­an­cent à quai. La place dal­lée de pierre plate à des airs de Sans Mar­co en minia­ture. L’am­biance aus­si est agréable, non­cha­lante. Méditer­ranéenne, si l’on était sur l’Adri­a­tique. Côté musique, la patronne du café Paris est ama­teur de new-wave, ain­si j’ai droit aux tubes des années 1980: The Cure, Kaj­a­gogo, Talk Talk, Sim­ple Minds…

Chemin croate

Entre Luci­ja et Seca, mer­veilleux chemin de cam­pagne sur les collines qui domi­nent la baie. Enser­ré entres des murets de pier­res, il tra­verse une terre provençale. Je baisse la tête pour pass­er sous les plants d’o­livi­er. Alen­tour poussent des man­darines, des pommes et des grenades. Au sol, ma roue lève des mûres.