Temps superbe, lumière. Les fenêtres s’ouvrent, la musique retentit sur la place, les gosses jouent, les pêcheurs trient leurs filets. Filiforme, les yeux soulignés de noir, la propriétaire : « le vent est modéré, mais un jour comme celui-ci, il peut souffler jusqu’à 120km/h. C’est un vent sec. Bienfaisant. Mais pas à 120km/h. Cela va durer trois jours. Ou six. Parfois neuf. Toujours un multiple de trois. »
Année : 2020
Coq
Tenté par un essai intitulé Le coq d’Asclépios (dans l’Apologie de Socrate, avant de rendre l’âme, Socrate que la Cité à contraint à boire le ciguë déclare - je cite de mémoire – « nous devons un coq à Asclépios ») qui montrerait l’importance de la parole donnée comme fondement d’une relation sociale orientée vers le bien commun par opposition au régime actuel de juridicisation des rapports.
Clans
Force est d’admirer la stratégie des démocrates américains. Ils jettent les minorités dans les rues, poussent au chaos, entretiennent la discorde et blâment la politique « fascisante » du président Trump. Je précise que je n’ai aucune sympathie pour le Républicain, mais je vois bien quel rôle joue un Biden. Le même qu’un Macron en France. Individus sans foi ni loi que l’on place à l’avant-scène et fait s’agiter devant les télévisions. L’heure du spectacle passée, une nomenklature de parti à la solde des multinationales prend le relais.
Ecriture (projets)
Plus désespéré que je ne veux bien le reconnaître. Je n’écris plus. Quarante ans que cela n’est pas arrivé. Aussi, j’ai travaillé avec acharnement tout l’été. Fin août, j’avais sur mon bureau trois livres et la traduction à l’espagnol de H+. J’ai mis à la poste. Pas de retour. Se voir remettre un prix est satisfaisant (pour TM). Je l’ai dit, je ne crache pas sur l’argent. Mais ce que souhaite un écrivain, c’est d’être édité, c’est d’être lu, c’est d’être commenté. Hier, je parlais avec mon éditeur parisien. « Quels sont vos projets? », demande-t-il. La question est flatteuse. Je m’avoue démuni. J’ai passé six mois à lire et compilé des notes autour de l’éthologie et de l’intelligence artificielle afin d’écrire Robots et immigrés. L’avènement de ce monde du virus a bouleversé mes intentions. La thèse principale de mon livre, la réduction de l’homme parlant-riant-jouissant à un unité d’exécution des basses taches mercantiles, si je la publiais maintenant, apparaîtrait comme le commentaire désabusé d’un état de faits que n’importe quel naïf peut constater de visu. Plus que cela, un commentaire prétentieux et académique dès lorsque je convoque les théories annonciatrices de ce désastre sans donner les moyens de le conjurer. L’alternative étant d’écrire un pamphlet. Affaire de trois jours. Mais en ce moment, tant de personnes crient. A quoi bon ajouter une voix au concert ? Ainsi, je reviens à cette idée d’écrire SM, le troisième volet de la trilogie commencé avec OM et TM. Et c’est alors que je vois que je suis plus désespérée que je ne veux l’admettre : je ne trouve pas la force de le faire.
Sociétés de la honte
Une civilisation s’achève ; une autre commence… Son caractère est inédit. Probable et improbable. Il y a encore des hommes, c’est-à-dire des individus libres capables d’agir en toute spontanéité, voici pour l’improbable. Et puis il y a les outils. D’une puissance inégalée. La première cybernétique se targuait de pouvoir produire une théorie complète du vivant comme point nodal d’un réseau. Le projet, extraordinairement ambitieux pour son époque (la fin de la seconde guerre), relevait de la spéculation savante. Wiener a vite compris que l’ingénierie sociale allait prendre le relais et œuvrer à la mise en pratique de cette philosophie sociale. Aujourd’hui, nous sommes affrontés au probable : un individu qui n’est plus qu’une inscription dans un système de données-machine. Dit comme ça, le propos peut sembler excessif. Il l’est peu. En occident, les trois besoins fondamentaux du vivant sont contrôlés de longue date par le capital concentré : l’eau, l’énergie, la nourriture. Le déni d’accès à ces nécessités servira sans peine à réduire à néant les dernières prérogatives de l’individu: son identité, son action, son opinion. Concrètement : argent distribué par l’Etat, sous conditions : déplacements autorisés, sous conditions ; accès à la nourriture, sous conditions. Le modèle porte le nom de mondialisme ; il est communiste. Déclaration frappante du candidat démocrate a la présidence il y a deux jours, à la veille de l’élection américaine : « notre but est de se débarrasser de la classe moyenne ». Une bête multicéphalique, une reine et des ouvriers soldats. Si j’étais cynique, j’achèterais des action Uber. Ces multinationales qui sont parvenues à conjuguer le virtuel et le réel seront les acteurs dominants du marché des prochaines années. Elles sont responsables de la réintroduction du régime d’esclavage dans les ex-démocraties. Une masse paupérisée, essentiellement composée d’immigrés, fourmille dans les rues des villes pour quelques sous tandis que les monopoles qui organisent ce marché de dupes prônent des valeurs libérales. Reste donc l’improbable. La force juvénile et sans cesse renouvelée de l’homme. Ce qui fait civilisation. Ce qui fait qu’il n’y a plus, aujourd’hui, de civilisation, mais des sociétés de la honte. J’ai toujours cru à l’effet de la pensée. Qu’elle devienne un exercice périlleux en cette période de censure, prouve sa nécessité. Là encore, la puissance effective des outils sur nos vies, l’absence de failles dans le dispositif, dira si la contestation est opérante. A défaut, la nouvelle civilisation tiendra. Et ne disparaîtra que par dégoût de soi comme disparut en son temps l’Union soviétique.
Srvar 2
Ville ancienne parcourue de brumes. Elles viennent du port, filent sur la place, rencontrent le clocher de l’église. Un chien aboie, se recouche. Au pied de notre immeuble, le serveur du restaurant. Huit heures d’affilée, il pianote sur son téléphone. Depuis une semaine, je ne lui ai pas vu un client. Nos propriétaires, deux femmes filiformes habillées de noir, m’expliquent : « pour obtenir les compensations du gouvernement, il faut garder ouvert ». Elles font pareil. Vont et viennent entre la terrasse (où trois quatre fois le jour prend place un client), le bar et l’arrière-salle. Lorsque je remonte à l’appartement, je les trouve à grignoter dans la buanderie. Je ne m’attarde pas. Je suis grippé. La nuit dernière, j’ai dormi quatorze heures et encore trois dans l’après-midi. Dimanche, je suis allé faire des exercices de force sur la promenade. D’une part, je me suis blessé à l’épaule (j’avais abandonné cet entraînement pendant le voyage à vélo), d’autre part, il est probable que j’aie pris froid. Je dis probable, car même si les autres sportifs étaient en veste et bonnets, il faisait une température douce. Dans tous les cas, depuis, je rase les murs. Il a même fallu ralentir la consommation de bière (cette excellente Lasko slovène).