Pour l’ouverture d’une Ecole de l’incrédulité. La plupart d’entre nous proclament leur infidélité. Débarrassés de la foi, ils pensent être indemnes de la croyance. Le consentement aveugle qu’ils apportent à la moindre annonce autoritaire, surtout si elle se réclame de l’expertise, permet de constater le contraire: jamais auparavant, et d’abord en raison de notre éloignement de la nature, nous n’avons été si crédules.
Mois : juin 2020
Trajet
Passé en France vers midi. La voiture est pleine: livres, bière (trente-six litres), quelques utilitaires de combat, des bananes. Bardonnex: “circulez!”. Longue route, température moyenne et ces paysages allongés, verts, humides — nous sommes en juin. Fermes de pierre, héritées; maisons de cartons, acquises. Anciens et Modernes, en bord de route, conquérants mal lotis. Situation peu vivable, noyée de bruit; l’esthétique est brouillonne. Propriétaires anciens, changement d’époque, propriétaires modernes, victimes. Ensemble de sujets auquel je songe en passant à bonne vitesse, cent-quarante à l’heure, sur le réseau automobile-économique. Dans le même temps, déchiffrant les panneaux de lieux, de villes, de directions, de désirs, fléchage de propagande qui organise cette région de moi connue, je revis des épisodes de ma vie ascendante, saoulerie dans la villa d’un fils à papa iranien avec des étudiants de Droit-volée 1986 au Pont de-la-Caille, bar des fous de Cruseilles avec l’Homme aux rats et à L’Est, au-dessus des collines, ma cure d’Eglise de Lhôpital achetée et rénovée et perdue (2005–2011), et finalement abandonnée à pied pour échapper aux gendarmes qui faisaient le siège pour prendre mon ADN. Les enfants, petits. Chaque jour, il fallait les amener à l’école; cent vingt-six kilomètres d’autoroute. Et les querelles avec Gala (couteau-cris-bock-sang), et les maçons roumains qui puent en chambre, rénovent autant qu’ils détruisent. Plus tôt dans l’ordre des réminiscences, comme je roule au large de ce château paysan où nous avions trouvé refuge en 1998 lors d’une traversée à vélo sous la pluie, je songe à cette fille, Emilia: elle faisait blocus, voulait à tout prix m’embarquer, me mettre au lit, elle voulait conclure. Suffit! Après deux mois dans la montagne vaudoise au prétexte du virus, je vais, je roule ma voiture, j’accélère sur la ligne. Avec un but: arriver. Chez moi. Hors de Suisse.
Mouvement 32 — fin
Quitté à quinze heures la montagne. Ambiance morose, inchangée, peut-être typique du lieu. Il y a deux mois, au lendemain de l’installation, il neigeait. L’été est venu sans modifier le silence architectural et humain. Je charge la voiture de nos habits, des livres (Habermas, apporté et remporté, sans l’avoir lu) et des armes, ainsi que des dernières palettes de bière acquises sous actions, trente-six litres. A Lausanne, je reprends possession de l’arrière-boutique. Le temps va, je déteste toujours plus cette ville. Quelle ville d’ailleurs? Conglomérat avec totem, communauté imaginaire et coloriée, aimant l’argent plus que la vie. N’ai qu’une impatience, me trisser. Comme je ne peux pas, je me calfeutre. Mon projet et de m’enfermer entre les murs, de ne ressortir que pour démarrer la voiture, passer les frontières, rejoindre ma maison en Espagne — ce qui est prévu pour jeudi. Or, voilà Monpère. Nous dînons dans une pizzeria. Alerte, content, sa femme hongroise en Hongrie, il met la mesure aux étranges phénomènes vécus ces dernières semaines, d’avis comme je le suis que le court-circuit est d’abord orchestré et politique. Il m’apprend aussi que son ami d’enfance B. est mort. Quel âge? “Septante huit et demi”, me dit Monpère. L’ an-demi établissant que B. était son aîné de six mois. J’ai vu B. une seule fois, en 1980, avec mon amie du jour, une camarade de classe du collège du Belvédère autrement dégourdie que je ne l’étais. L’homme étant mécano, il nous avait emmenés au motocross de Payerne. A ma question, Monpère répond: “Mort de quoi? De sa vie, B. n’est jamais allé chez un médecin ou chez un dentiste. De tout!”. Le soir, après une sieste comateuse, longue conversation avec Evola sur les voyages sous LSD, dans son cas plus de cinquante. Le matin, au milieu du chant des oiseaux de Grancy, tous utilitaires éteints, heureux de n’exister pour personne, de n’être pas, je dors et somnole dans la pièce-refuge entre les vases, les toiles, les peaux de chèvres jusque passé midi tandis que H. prépare pour la benne-poubelle sept à huit mille affiches non-collées qui représentent un partie de ce manque à gagner qui, depuis le 18 mars (jour de l’interdiction des manifestations) progresse vertigineusement, atteignant aujourd’hui un équivalent sonnant et trébuchant de quelque deux-cent mille francs.
Contribution
A la statistique générale des hommes. Depuis le 18 mars 2020, j’ai dormi 827 heures, bu 246 litres de bière et 3 litres de vins, fait 1020 pompes et 670 abdos, lu un livre et demi, et tiré 239 balles. J’ai serré 4 mains, embrassé 2 fois, pris 3 fois l’ascenseur contre 45 fois les escaliers, 13 fois la voiture, aucune le train, téléphoné 6 fois et reçu 17 appels.
Retour
Qu’est-ce qu’un immigré? Un individu qui accepte de quitter son pays faute d’y trouver les conditions de la bonne vie, a fortiori de les créer. Par générosité et calcul, des pays solides et aboutis, souvent occidentaux, accueillent ces transfuges. Que ces pièces rapportées fustigent, une fois installés, les possibilités offertes par des peuples hôtes (entendre “nous”) qui n’ont a priori aucune raison de partager avec un nouveau venu ce qu’ils ont acquis de plein droit relève donc du paradoxe. Ajoutons: les immigrés, gens sensés, le savent, le comprennent. Sauf quand des malfaisants, des nauséabonds, des sangsues nôtres, nées au pays, inculquent, après avoir isolé pour l’exploiter la frustration naturelle de l’immigré (nul ne souhaite quitter son pays — vous?), l’esprit de fausse identité, le faux héroïsme et la culture de fabrique, le tout vectorisé par des revendications caricaturales. A ce point de la tromperie, aujourd’hui donc, profitant du contexte anxieux qu’ils ont instillé dans les esprits, les Mondialistes augmentent la charge. Toute critique contre le pays en situation d’accueillir doit être encouragée, récompensée. Toute personne qui accueille d’emblée soupçonnée de le faire pour de mauvaises raisons. Face à un tel mépris de l’humanité, il n’y a qu’une voie d’issue: le retour immédiat et conditionnel (par le travail forcé les immigrés paient leur renvoi) vers les pays de naissance et de couleur, et ce pour toutes les races que les pourfendeurs capitalistes de la culture ont allégrement diffusées sur la planisphère depuis 1990, y compris, prioritairement, les néo-colonialistes blancs et désormais jaunes, féroces mangeurs de terre africaine.
Mouvement 32
Belle pluie grise. Qui ne change rien au silence mou de la station. Avant que je ne quitte la chambre, ayant mal dormi — il va être onze heures — Gala prépare un café d’encre, qu’elle boit, qui lui torpille le foie. Le reste du jour, elle rase les murs, s’efforce et peine. Lavé, remis sur pied, je travaille à la remonte des clients: “annoncez vos manifestations, donnez des affiches, nous sommes là!”. Quand mon termino sonne. Le médecin s’excuse: “Désolé Monsieur Friederich, j’ai un peu de retard.” Un peu? Une heure trente. Sauf que moi, j’attendais son appel, une consultation par téléphone, pour quatorze heures. Me suis trompé. Lui a raison. Logique. Bref, que veux-je? D’abord savoir pourquoi la gorge, les poumons, le ventre, le haut des couilles et mon cul brûlent. Il explique, fait la part de l’alcool, du dîner tardif et de… — j’oublie. Après quoi, je dis mon angoisse majeure: “je-ne-peux-pas mettre sur mon visage le masque des gouvernements, car je suis claustrophobeux, je souffre, j’étouffe, je meurs!” A raison, il m’oppose que ce n’est pas obligatoire. A quoi je rétorque, sans mentionner l’Espagne: “ici, non”. Je ne peux pas, insiste le médecin de Fribourg, car vous n’êtes pas dans la “population à risques”. N’est-ce pas extraordinaire toutes ces expressions qui disent qui vous êtes? Fin de la discussion thérapeutico-morale. Essayer-pas pu. Je me mets alors à mes corrections, toujours Notr Pays. Puis je veux aller faire du sport. Première fois en trois mois que c’est impossible: je l’ai dit, tombe une pluie grise à tendance drue. Donc, tout ceci, les singeries, sont faites en chambre. Heureusement (ping!), pendant les exercices un message arrive sur l’écran, c’est une copie de l’article paru ce matin dans Marianne sur H+ qui commence par ces mots, “Dans un brillant essai…”. Bon, bien. Car il faut se rassurer. S’aimer un peu. Puis c’est — déjà — l’heure de la bière. Et donc, tout va relativement bien, dans un monde en déconfiture, avec des foules neurodécérébrées qui clament à la surface de la planète leur bonne conscience pro-énergumènes tout en pillant des boutiques de chaussures à suspension, oui tout va bien, lorsque me parvient cette nouvelle : mon gérant de Fribourg vient de vendre un contrat d’affichage à un prix de faveur fou, concrètement moins de la moitié du prix. J’attrape le téléphone, m’emporte, hurle et lui raccroche au nez. Crétin! Non, pire: lorsque je demande, pourquoi mais pourquoi? Il dit: ces gens manquent de moyens ! Moyens! Moyens! Quels moyens! Alors que ma courbe cardiacofinancière est plate! Re-merde!